L’invisibilisation des femmes

Invisibilisation des femmes

Aujourd’hui, des noms tels qu’Artemisia Gentileschi, Catherine Bernard, la reine Brunehaut ou Marie de France ne nous disent rien. Pourtant, ces femmes, à leur époque, étaient connues pour leurs talents artistiques hors normes.

Le concept dit « d’invisibilisation » constitue une des raisons expliquant notre ignorance quant à ces talents féminins dans l’histoire.

Concrètement, qu’est-ce que l’invisibilisation des femmes ?

Définition du dictionnaire

Le dictionnaire décrit l’invisibilisation comme « le fait de rendre invisible ».

Un comportement sociétal

Pourtant, « l’invisibilisation des femmes » n’est pas du tout un tour de magie. Personne ne disparaît dans une boite ou un chapeau à proprement parler.

L’invisibilisation des femmes représente plutôt la description d’un comportement sociétal.

Lauren Bastide est une experte en la question et la créatrice du podcast féministe La Poudre. Elle décrit ce phénomène comme « le fait que les vécus des femmes, les paroles des femmes, les pensées des femmes, le travail des femmes soient globalement occultés, silenciés, dans l’espace public ».

Domination patriarcale

Il va sans dire que le phénomène d’invisibilisation des femmes ainsi que son ampleur sont intrinsèquement liés à la domination patriarcale de la société. Cette domination ne permet pas une représentation visible et concrète des femmes. 

Un des passages de Virginia Woolf dans sa nouvelle Une chambre à soi illustre particulièrement le concept d’invisibilisation des femmes. 

« Pour la plupart de notre histoire, anonyme était une femme ».

Cette phrase décrit parfaitement le concept d’invisibilisation. Les femmes ont contribué et contribuent toujours de manière conséquente à l’histoire et aux progrès humains. Cependant, leur participation est très rarement considérée. Dès lors, elle ne fait quasiment jamais partie de la mémoire collective.

Dans toutes les sphères de la société

On peut appliquer le concept d’invisibilisation à tous les domaines : dans l’art, le sport, la politique, etc.

La pertinence de ce terme dans tous les domaines qui nous entourent démontre l’importance et l’ampleur de l’invisibilisation dans notre vie quotidienne.

Remarquons que le concept d’invisibilisation peut s’appliquer à une pluralité de minorités.

On parle, par exemple, de l’invisibilisation des personnes racisées, de l’invisibilisation des personnes portant un handicap ou de l’invisibilisation des personnes non-binaires.

L’idée reste la même que pour l’invisibilisation des femmes. On ne représente pas ces minorités et/ou on ne les reconnait pas comme faisant partie intégrante de notre société. Dès lors, on les représente peu (ou pas) dans différents aspects culturels.

Cet article traite uniquement de l’invisibilisation des femmes et de l’impact de ce phénomène dans plusieurs sphères sociétales.

Invisibles partout ?

Dans l’histoire

Certaines femmes telles que la reine Brunehaut ou la dramaturge Catherine Bernard étaient très connues à l’époque. Or, elles sont maintenant absentes des livres d’histoire.

Des mécanismes parfois malveillants les ont effacées. Entre autres, ne pas parler des femmes délibérément en suggérant qu’elles étaient moins méritantes que les hommes.

Un autre mécanisme d’invisibilisation est lié à la conception de la place des femmes dans notre culture. En pensant que la place des femmes a toujours été, au cours de l’histoire, à la maison, les historiens ont supposé que les femmes n’étaient pas actives dans plusieurs domaines.

Le postulat est donc le suivant.

« Puisqu’aujourd’hui, existe l’idée que la place des femmes est à la maison, alors, les femmes ne devaient pas avoir le droit de faire grand chose dans le passé, vu qu’on tend toujours vers le progrès. »

Cette conception de l’histoire est pourtant erronée.

Par exemple, la place des femmes était assez progressiste au Moyen-Âge. Et elle se dégrade à la Renaissance.

En appliquant cette supposition (« les femmes ne devaient pas avoir le droit de faire grand chose dans le passé ») à toutes les périodes historiques, les historiens ont constamment et quasi automatiquement relégué le mérite de leurs découvertes à des hommes.

De plus, cette idée a amené les historiens à simplement ne pas explorer la place des femmes dans l’histoire. Cela explique l’oubli de plusieurs femmes notables.

Aujourd’hui, les femmes sont toujours les grandes absentes des manuels et programmes d’histoire, avec peut-être Marie Curie comme exception frappante.

L’enjeu est pourtant crucial. En effet, une représentation des femmes permettrait de changer le statu quo. Dès lors, cela inspirerait les jeunes filles et femmes à devenir des actrices historiques importantes et les conforterait dans l’idée qu’une femme peut accomplir autant qu’un homme.

Dans l’art

Dans l’art, les femmes sont aussi largement oubliées. Pourtant, aucun raisonnement scientifique ne justifie ceci.

En effet, comme Camille Morineau, commissaire d’exposition, conservatrice du patrimoine et directrice artistique française, l’explique : « la pulsion artistique existe autant chez les hommes que chez les femmes. Il y a toujours eu des femmes artistes, mais on a tout simplement ignoré leur travail et l’histoire les a oubliées ».

On notera par exemple que seulement 0,78 % de la collection du Louvre sont des œuvres réalisées par des femmes. Ou qu’au Musée d’Art Moderne de New York, 4% des artistes exposées sont des femmes. Mais 76% des nus y représentent des femmes.

On constate donc que notre vision de « l’artiste » est particulièrement masculine, avec une catégorisation des femmes dans le rôle de modèles ou muses.

Cette tendance d’invisibilisation des femmes se confirme également dans la musique ou au cinéma.

Ainsi, en musique classique, seulement 1 % des œuvres jouées en salle sont des pièces de compositrices classiques. À Cannes, entre 1946 à 2017, seulement 7% des grands prix ont été remportés par des femmes. De plus, seulement une femme a gagné la Palme d’Or en 72 ans.

Dans les médias 

Une étude de l’INA (Institut National de L’Audiovisuel) sur l’invisibilisation des femmes dans les médias français a révélé que les femmes ont, en moyenne, parlé deux fois moins que les hommes au cours des 18 dernières années.

Le Global Media Monitoring Project a également révélé que les voix des femmes, sur une journée entière de médias, ne représentent que 24% du temps médiatique.

De plus, les femmes ont 5 fois plus de chances d’être appelées par leur simple prénom dans les médias. Cela infantilise les femmes. En outre, cela les rend plus difficiles à retrouver si on souhaite s’intéresser à leur propos.

Au niveau du sport, on cite les femmes comme expertes seulement dans 13% des cas. Et 7% des retransmissions sportives télévisuelles portent sur le sport féminin. Elles restent, en général, beaucoup moins citées que les hommes dans la thématique sportive.

Dans la cuisine

Les stéréotypes de genre pourraient suggérer que les femmes seraient présentes dans le domaine culinaire. Pourtant, il semble que grimper les échelons du monde culinaire est plus facile en tant qu’homme que femme.

En effet, seulement 5 cheffes détiennent les trois étoiles Michelin (moins de 4% des chef.fe.s triple étoilés).

On observe donc que l’invisibilisation des femmes ne se limite pas à certains domaines dits masculins. L’idée est plutôt, que même dans des domaines stéréotypiquement féminins (comme la cuisine ou l’équitation), le haut du panier, le prestige et la réussite sont réservés aux hommes. 

En bref, on reconnaît de l’invisibilisation dans tous les domaines

Dans notre vie quotidienne, les rues utilisant le nom d’un personnage notoire (historique, politique, culturel) portent principalement des noms d’hommes.

Moins de 5% de ces rues portent des noms de femmes.

Cette constante invisibilisation s’explique par différents mécanismes sociaux ainsi que certaines pratiques telles que le mansplaining ou le manterrupting qui tous les deux ont pour effet de limiter la parole des femmes.

Quelques pistes de solutions et d’espoir…

Premièrement, remédier à l’invisibilisation des femmes passerait principalement par l’éducation. Intégrer davantage de femmes dans les programmes et manuels d’histoires permettrait de lutter contre l’invisibilisation. De plus, cela encouragerait les jeunes à considérer les femmes comme actrices importantes de notre vie historique, culturelle et sociale.

Deuxièmement, il semblerait qu’un changement, bien que lent, existe. Par exemple, le temps de parole des femmes dans les médias augmente continuellement depuis quelques années.

En outre, le terme « invisibilisation » devient de plus en plus connu. Le phénomène est davantage pris en compte dans plusieurs sphères de notre société. Cela contribue à mettre en lumière plusieurs femmes ayant eu un impact notable.

Différents livres, podcasts et documentaires lèvent non seulement le voile sur ce phénomène, mais mettent également en avant des femmes trop longtemps oubliées.   

Emma Pecqueux

Références juridiques

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Ressources

A venir

Pour aller plus loin

  • Documentaire ARTE « Cherchez la femme », 30 épisodes de 3 minutes mettent en lumière des femmes notables oubliées
  • Documentaire « Miss Representation » de Jennifer Siebel Newsom, film de 1h30 sur l’invisibilisation des femmes dans les médias
  • « Femmes invisibles : comment le manque de données sur les femmes dessine un monde fait pour les hommes » de Caroline Criado Perez chez First Editions
  • Podcast « La Poudre » de Lauren Bastide, Podcast dans lequel des écrivaines, artistes, chercheuses et militantes se racontent et prennent le pouls des luttes féministes et antiracistes contemporaines. Ce podcast a donné lieu à la publication de deux ouvrages, disponibles en librairies.
  • Bande Dessinée « Culottées » de Pénélope Bagieu chez Gallimard, 2 tomes proposants une galerie de portraits de femmes qui ont marqué leur époque.
  • Mini Documentaire « Comment les femmes sont « invisibilisées » dans l’espace public ? » de Lauren Bastide pour BRUT

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