Yann Moix et la masse populaire blâmant la victime

TW : maltraitance physique, psychologique et sexuelle, morceaux de témoignages de victime.

Depuis lundi, j’ai très fortement envie de démissionner de l’humanité. Dès qu’on se met à blâmer une victime pour sa prise de parole, j’ai envie de claquer la porte, de partir au loin, de me couper du monde quelque chose de sérieux, fort et profond se joue en moi.  

Je suis témoin de la violence sociétale vis-à-vis de la parole de la victime, et cela me touche. Alors, j’ai envie d’aller dans ma grotte à moi pour me protéger.

La présomption d’innocence

Yann Moix, son histoire, son livre, son père se retrouve aux cœurs de débats, d’empoignades, d’arguments douteux et propos scandaleux à mes yeux.

On le blâme lui, tout comme on mettra directement en doute toute accusation de subi pédo-criminel par un mineur avec, comme base argumentaire, « l’affaire d’Outreau » et la sacro-sainte présomption d’innocence.

Et non, je ne remettrai pas en cause cette présomption. Parce qu’il ne s’agit en réalité pas de justice mais de la thématique du témoignage et de notre empathie.

Témoignage des victimes

D’ailleurs, la remise en question des propos des victimes sort plus vite que son ombre et l’affaire d’Outreau est le « Lucky Luke » argumentaire. On remettra en cause la parole de la victime au lieu de parler du fond et de la réalité.

Un (non-)allié féministe ?

Soyons clair : Yann Moix se situe à l’opposé de ce que l’on pourrait qualifier d’allié des causes féministes.  Quels que soient les courants qui investissent ce terme qui m’est cher et les convictions qu’ils vont porter, leurs nuances parfois subtiles ou limpides comme de l’eau de roche, monsieur Moix n’est pas notre allié.

Et là, vous sentez déjà que je vais être du côté de cette personne qui bien souvent m’a fait fulminer, donner envie de jeter mes coussins, pantoufles et tout autres accessoires à portée de main sur son image pixelisée.

La maltraitance

Je vous avoue que je ne voyais pas pointer la polémique par le coté qui agite le net et les médias actuellement : la maltraitance.

Déjà parce qu’il l’a abordée à plusieurs reprises et donc, le sujet me semblait assez clair.

Dans la présentation mise en avant par les éditions Grassets, l’auteur nous explique que son livre suit la chronologie scolaire et qu’il se divise en 2 parties. La première évoque le huit clos familial et la seconde le rejet souffrant des filles qu’il a subi à l’école. Dans ma toute grande naïveté, je pensais que ce serait cette seconde partie qui serait mise en avant. Eh oui, ne nous a-t-il pas précédemment unies dans ses déclarations polémique au sujet des femmes ? Eh bien non. C’est la maltraitance qui prend toute la place.

La polémique

J’ai eu l’occasion de lire sur différents sites d’actualité, réseaux sociaux et force de constater : tout un tas de phrases qui n’ont pas leur place à mes yeux se sont déversées et la mèche fut allumée par le père de l’auteur.

Évidemment, selon lui, Yann ment. A-t-on souvent vu un parent dire « Oui, j’ai fait. Je le regrette » ? Même la célèbre Alice Miller, qui a travaillé de long en large sur la violence, n’a pas reconnu ses propres écueils parentaux.

Certes ce monsieur admet qu’il fut sévère mais c’est un catalan, c’est normal. Je me suis dit que cette idée à du agacer, blesser, énerver plus d’un ou d’une catalane[1]. Sa preuve ultime que c’est un enfant qui fut bien traité est que, jusqu’à ses 30 ans, le loyer de son appartement fut assumé par le couple parental.

Croyances populaires

Je vais vous résumer les propos que j’ai lus, car je ne suis pas une petite fourmi qui va vous inonder des captures d’écrans. Le principe m’énerve. L’intérêt des commentaires sur le net est à mon sens qu’il s’agit d’une parole libre, décomplexée, sans les filtres que la société nous impose dans les « enchanté » en face à face, où la retenue à sa place.

La foule, ainsi décomplexée du net qui dit, lâche sa pensée : « oui, le père a raison, il dit vrai ». En effet, selon eux, si Yann avait été battu, le voisinage aurait réagi. Et puis, la foule virtuelle n’était pas là pour constater les violences. Et donc, ils ne sont pas en mesure de savoir la vérité de ce qui se passe derrière une porte.

Menteur ?

Et puis de toute façon, Yann, comme nous le rappelle ces gens, est un menteur patenté. J’avoue ne pas avoir suivi tel un détective son actualité, donc je ne vois pas clairement la référence aux mensonges.

Détestable

Et d’ailleurs, nous le rappellera bien des personnes, c’est une personne qui invite à l’insulte, qu’on déteste, qu’on a envie d’envoyer valser loin de soi. Et puis une vraie victime de maltraitance invite à la compassion et non au rejet, à la détestation ou à la haine.

Absence de jugement

Et puis de toute façon, on ne règle pas ses comptes sur la place publique. Et n’oublions pas que s’il avait été vraiment battu, il aurait déposé plainte contre ses parents et un jugement aurait un lieu. Et si c’était vrai, le jugement aurait pu reconnaitre ses parents coupables. Sans oublier que non, ce n’est pas possible cette histoire d’excréments.  

Espace bienveillant

À mes yeux, le plus gros problème, c’est d’avoir pu lire ce genre d’assertion sur des espaces militants pour une bien traitance des enfants.

Aucun d’entre elles et eux n’a daigné regarder le 7 à 8 où notre chroniqueur si clivant raconte son histoire et répond aux questions. Dans cette dizaine de minutes, nous avons une description précise de ce que cela fait un coup. Et, oui, cela fait ça : d’abord on ne sent rien, puis la fraicheur et la douleur. Je n’ai pas eu de coup de câble comme lui mais de ceinture en cuir.

Arrive alors cette question qui ouvre l’hypothèse sur son comportement de chroniqueur détesté et détestable comme une reviviscence de la maltraitance. Là, il y a cet instant de suspension, l’impact de la question se voit à l’écran et se ressent avec empathie. Un humain admet que peut-être, il y a un lien. Quasi toutes semblent avoir oublié cette séquence qui déjà à l’époque m’a marquée : la remise en place de Patrick Sébastien dans On n’est pas couché.

L’amnésie se généralise.

La maltraitance en France

En France, la maltraitance infantile tue 2 enfants chaque semaine sous les coups d’un parent. Il y a des chiffres établis sur la base de déclarations qui se résument à  22% des français témoignent de faits que l’ont peut qualifier de maltraitance, 16 % ajoutent qu’elles avaient un caractère sexuel, 8% qu’elles étaient (aussi) de type psychologique, 5% de type violence physique, et 3% de négligence répété[2]. Si ces chiffres s’obtiennent sur la base testimoniale, c’est parce que la justice, les services sociaux, etc. bien que s’améliorant ont encore beaucoup de travail à faire.

On ne peut, et on ne doit pas étouffer la réalité du sujet sur les bons vieux « je ne sais pas, je n’ai rien vu, je n’étais pas là » hérités probablement de la maxime de Saint-Thomas. Car il ne faut pas oublier, selon la même source, que 80% des victimes ne disent rien.

Au sein des foyers

La violence au sein d’un foyer est sourde, aveugle et silencieuse. La violence au sein des familles est le pire des huis clos. Quand les portes du foyer s’ouvrent, elle se retrouve camouflée si ce n’est sous le fond de teint, c’est sous les euphémismes des gens qui voient les marques. Les gens ne veulent pas voir la réalité.

Se protéger ?

La psychologie sociale s’est penchée sur ces questions de notre rapport à la violence. Et soyons clairs : l’humanité a encore du boulot à faire ! Plus il y a de témoins, moins il y a d’action qui émergent. Et puis, ne pas vouloir voir, c’est se protéger.

Pourquoi certains ont se besoin ? Je ne le comprends pas. Quand j’ai emménagé dans ma maison, j’en entendu la première nuit des violences infligées aux enfants et j’ai entamé un abonnement avec les services de police. Quand plus tard, ce fut un couple avec un compagnon violent, devinez ! Quand, récemment, j’ai entendu une femme dans ma rue évoquer l’agression qu’elle venait de subir, là encore, j’ai fait ce qu’il faut : joindre les services de police. Parce que c’est ce que nous devons faire !  

Il y a toutes ses phrases qui justifient à peu près tout dans l’inaction comme « ça n’arrive qu’aux autre ».

Je peux comprendre que l’on trouve incroyable ces révélations vis-à-vis de sa merde. Cela semble fou. Mais la violence familiale est une alinéation dans la relation. Et, c’est vraiment là que j’ai eu envie de démissionner de l’humanité.

Mon expérience

J’ai une expérience personnelle marquée au plus profond de mon corps sur la maltraitance : le voisin, qui m’a vue à moitié nue au sol sur le palier de notre immeuble en position fœtale, n’a rien fait si ce n’est refermer la porte. La musique du voisin d’au-dessus se faisait plus forte quand mon père hurlait. Puis, il y a ce repas avec mon père, ma mère et certains de leurs amis qui rigolaient à table sur mes sous-vêtements souillés, montrés, mis en scène, exposés là entre les chips et les cacahuètes en clamant « Ma fille c’est : jaune devant, brun derrière ». Ces mêmes souillures qui étaient, en fait, une de mes tentatives inefficaces pour dégouter mon père de mon corps du haut de mes 14 ans.

J’ai entendu les adultes présents en rire. J’ai vu des tas d’adultes refuser l’évidente clarté cristalline de l’enfer que je subissais.

Pourrais-je arrêter de haïr le psy qui a encouragé mon père à plus de sévérité ? C’est ma réalité, mon enfance. Il serait facile de se dire que ma réalité n’est pas la vérité. En effet, je vous rassure, ce n’est pas ce que je dis. Et mon histoire est bien différente de celle de Yann Moix. Je vous dirais simplement : lisez des centaines de témoignage, prenez ce temps. Parce que quand Yann Moix raconte les profs qui ne réagissent pas : c’est vrai. Quand il parle de ses sous-vêtements exposés à table, je l’ai vu faire. C’est réellement une possibilité et qu’on aime ou pas cet homme pourquoi douter ? Parce que c’est incroyable ? Non, parce qu’on ne veut pas envisager la nature de la cruauté.

Les signes

Les témoignages foisonnent sur les différents aspects qu’il évoque. Quand ce dernier nous raconte qu’il s’est chié dessus de peur. Eh bien, c’est un signe de maltraitance d’ordre sexuel.

Et l’exposition de ses sous-vêtements, la brouillade de son être à coup de merde est une maltraitance sexuelle. L’exposition de l’intime dans une dynamique humiliante est une triste réalité trop de fois lue et relue dans des témoignages dans ses dimensions les plus surprenantes.

Quant à sa description d’un coup, rien qu’à l’entendre, mes muscles se contractent comme à cette époque maudite. Oui, l’absence de sensation, le petit temps suspendu, le claquement frais et la douleur irradiante. Chaque muscle de mon corps se souvient de l’impact esquintant mon enfance. Yann Moix a été décrit dans sa méchanceté déjà présente dans l’enfance. Sachez-le, c’est encore un signe autant que celui de l’enfant en repli sur lui. Il a décrit sa façon de se protéger encore adulte. Cela m’arrive encore et cela arrive à bien d’autres victimes devenues adultes.

L’emprise

La maltraitance va de pair avec l’emprise. Parce qu’il faut un mécanisme complexe pour garder son enfant sous ses fers invisibles. Alors oui, ses parents ont payé son loyer. Et vous savez quoi ? D’autre reçoivent des livres, de la musique… Aujourd’hui c’est surement un super smartphone derniers cris. C’est encore un signe ! Et puis dans tout ce témoignage qualifié a tort de déballage, on oublie cette déclaration du seul autre témoin du huit clos : le frère de Yann Moix, Alexandre

Le ménage en place publique ?

J’ai envie de poser un dernier point. Celui que j’ai beaucoup lu. On ne fait pas son ménage familial sur la place publique. Il ne s’agit pas de ménage. Il parle de lui, de son histoire, de son point d’observation.

Et je vous rappellerai qu’un procès, qui est tellement mis en avant dans son absence par certain, se fait sur la place publique. C’est d’ailleurs tout son intérêt : la justice est quasi toujours publique sauf si c’est pour protéger une victime mineure.

Yann Moix ne nous invite pas à un procès public. Non. Rangeons cet argument au placard. Il raconte la maltraitance et, qu’il en ait conscience ou pas, c’est un acte militant. Car c’est l’absence de prise de conscience sociétale sur la réalité quotidienne qui fait que le système grippe, et se montre sous-efficace.

Le devoir de doute ? Réellement ?

Je rajouterais que cet homme a tellement de signes de la maltraitance, de ses conséquences que le fameux devoir de doute m’interpelle. Les violences qu’il a subi au long court est ce qu’on qualifie poly traumatisme : de ses difficultés relationnel, a son comportement détestable et détesté, il coche les cases que pointe M. Salomana, ou les autrices et auteurs du Soi Hanté. Même le fait que ce travail de prise de conscience se soit fait tardivement… encore un signe !

Non, nous n’étions pas là. C’est tout le fond, la forme et la problématique de la maltraitance. Personne n’est là et de toute façon? on regarde ailleurs.

J’ai lu un argument qui m’a énervé plus que les autres. C’est celui d’un homme qui nous rappelle qu’aujourd’hui la parole des victimes est plus importante que celle des accusés qui défende leur innocence. Qu’on aurait sacralisé la parole de la victime. C’est un épouvantail argumentaire courant pour faire taire les victimes et ranger sous le tapis la question de la maltraitance.

La vérité judiciaire

J’ai vu des articles passant de phases affirmatives à des phrases hypothétiques car la parole des victimes n’a, en réalité, pas à sa place dans notre société. Ces phrases sont des prises de position. C’est dans la nuance stylistique qu’on ménage la parole de la victime comme une affirmation qui lui appartient et le devoir d’enquête qui fera une vérité judiciaire sur la question.

La vérité judiciaire n’est pas la vérité du vécu mais l’équation des preuves et leurs conséquences. En réalité, la parole des victimes est toujours peu prise en compte. L’absence de fait judiciaire jugé, entériné est le porte-étendard de la muselière dénonciatrice qui révèle le problème systémique qui se joue.

La violence infligée aux enfants

La violence infligée aux enfants est une réalité. La détection, la formation aux signes qui invitent au questionnement est trop faible. Il est interpelant que les formations pour des personnes qui travaillent avec des enfants soient si faiblardes sur cette question. Chaque professionnel.le formé.e pourrait inviter l’équipe à se questionner sur un enfant et ensemble, à être attentifs. Et ainsi, chacun.e avec ses pointages permettrait aux différents intervenants de la petite enfance d’agir.  

L’enfant vit son quotidien comme une norme qu’il considère comme universelle. Comment imagine-t-il un monde différent ? Par ailleurs, il survit à la maltraitance. Il a bien autre chose à faire que la quête de qu’est-ce que la normalité. Il faut donc lui parler, la mettre en scène pour que ce vécu anormal puisse possiblement devenir quelque chose qu’il travaille dans sa tête.  La maltraitance n’a pas de classe sociale. Si on sait que des facteurs risque existent, il y a des cas pas si rares où ces facteurs sont absents et la violence présente.

Conclusion

Quand on évoque un témoignage, si la société se doit à la prudence, le devoir d’information se doit aussi d’être clair :  les fausses accusations sont tellement faibles qu’il est toujours plus probable que cela soit vrai que faux. Et si à chaque article, on évitait de se servir d’un cas X ou Y comme argument d’autorité, on ferait une avancée.

On peut aborder médiatiquement le sujet avec prudence. Accueillons la parole de la victime, faisons preuve de pédagogie sur la réalité et au lieu de pointer le cas personnel, allons vers la question générale qu’il pose.  

J’aurai encore souvent envie d’envoyer ma pantoufle dans l’image pixelisée de Yann Moix pour tous les autres sujets. Mais arrêtons de réduire sa parole à des mensonges parce qu’on ne l’aime pas. Informons-nous non par sur son histoire mais ce qu’elle nous apprend de la question de fond ! Et constatons que c’est un sujet digne de toute l’attention et la mobilisation chez chacun.e d’entre nous. On se doit d’améliorer les outils, leurs usages et la formation. C’est la leçon à tirer des témoignages (et non pas évaluer la parole d’autrui). Le sujet d’Orléans n’est donc pas est-ce vrai ou pas mais comment faire pour que l’enfance soit mieux protégée tout en étant encore une enfance fait de liberté éducative pour ceux qui prennent soins des enfants.

Ce fut long mais j’ai moins envie de démissionner de l’humanité.


[1] Oui, j’utilise une règle de grammaire qui n’est peut-être pas franchement habituelle mais que j’aime bien. On n’a pas l’habitude mais ainsi soit-elle, c’est comme ça. Donc catalane est grammaticalement juste, en fonction de la grammaire choisie. Je ne le fais pas systématiquement parce que moi, comme tout le monde, j’ai des réflexes grammaticaux acquis depuis l’enfance.

[2] J’ai choisi les chiffres français puisque c’est en France que cela se passe.

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