La place des hommes dans le féminisme

La place des hommes

Lorsqu’on est un homme, trouver sa place au sein du mouvement féministe peut s’avérer délicat. En effet, comment se positionner lorsque les combats menés, les discriminations dénoncées ne nous concernent pas directement ? Comment accepter d’aller parfois à l’encontre de ses propres intérêts ?

Les actions et les luttes féministes ont permis de mettre en lumière les discriminations que subissent les femmes au quotidien, interpellant de nombreux hommes sur des sujets qu’ils semblaient ignorer.

Récemment, l’affaire Weinstein et le mouvement #metoo ont été des électrochocs. Ils ont rappelé que le féminisme est un combat qui reste d’actualité, partout dans le monde tant que l’égalité de droits et de faits entre les hommes et les femmes n’est pas atteinte.

Mais alors, quelle est la place des hommes dans le féminisme ? Comment être un bon allié ? Qu’y a-t-il à gagner ?

1. La déconstruction

C’est peut-être le travail le plus dur et le plus important. Vouloir être un allié du féminisme ne signifie pas uniquement l’affirmer de temps en temps dans une conversation. Cela demande des efforts plus importants.

Première étape

La première étape est une réflexion sur son propre comportement et aux privilèges que l’on a en tant qu’homme. En effet, si l’on prend l’exemple d’un homme hétérosexuel, cisgenre, blanc, de classe moyenne supérieure, il ne pourra jamais connaître ou ressentir ce que vit une femme*. Il ne peut pas non plus comprendre ce que cela signifie de vivre avec le poids du sexisme, du racisme, de la LGBTphobie etc.

Il faut donc commencer par prendre en compte le fait qu’en tant qu’homme, on appartient à un groupe dominant et que les logiques patriarcales peuvent se refléter dans nos comportements. Ce peut être involontaire même si l’on a les meilleures intentions du monde.

Cela veut également dire accepter de perdre ces privilèges. Par exemple, consacrer plus de temps aux tâches ménagères signifie perdre du temps de loisir.

La chroniqueuse Axelle Minne, sur le site de la RTBF, donne des exemples de questions qui aident à réaliser cette déconstruction :

« Quelle est ma première réaction lorsqu’une femme me relate une expérience qu’elle qualifie de sexiste ? A quelle fréquence est-ce que je prends les devants quant à l’organisation du quotidien dans mon foyer ? Est-ce que j’ai déjà critiqué une femme sur la seule base de son sexe ? Est-ce que je prends mes responsabilités contraceptives au sein de ma ou mes relations sexuelles ? Est-ce que mon comportement change lorsque je m’adresse à une femme qui m’attire physiquement ?. » [1]

Et ensuite ?

Il est également très important d’apprendre, réapprendre, désapprendre.

La déconstruction est un travail d’une vie. Cela se fait à travers la lecture de textes, de bds, l’écoute de podcasts, le visionnage de documentaires, de films et par un soutien aux luttes féministes.

2. Être actif sans être oppressant

1) L’écoute

Devenir un allié du féminisme signifie également qu’il faut apprendre à écouter les femmes*.

N’ayant pas la même expérience de vie qu’elles, il faut savoir la laisser s’exprimer, accepter de se taire ou de ne pas toujours avoir raison notamment sur ce qui concerne le sexisme et le féminisme. 

Cela ne veut pas dire que l’opinion d’un homme ne compte pas. Par contre, un allié du féminisme n’est pas là pour gagner un combat mais dans une démarche de soutien.

Par exemple, beaucoup d’hommes s’offusquent du principe des réunions non-mixtes. Elles sont pourtant nécessaires. Ce sont de véritables outils d’émancipations.

Elles offrent à des groupes dominés la possibilité de se retrouver sans crainte de parler, de faire de la peine ou de dire les choses à moitié pour ne pas vexer. Également, ces réunions permettent d’aller plus vite et d’enrichir ensuite les réunions mixtes.

Par ailleurs, des réunions non-mixtes existent pour d’autres groupes comme des réunions fermées aux blancs.

2) Ne pas faire de mansplaining, manterrupting ou bropropriating

On le voit souvent dans le milieu associatif féministe, de nombreux hommes rejoignent la cause avec de très bonnes intentions. Malheureusement, ils font souvent des maladresses.

Mansplaining ou mecsplication

Un des premiers écueils à éviter est le mansplaining.

« Le mansplaining, c’est quand un homme explique à une femme d’un ton condescendant, sur un sujet qui la concerne elle, qu’elle a tort de penser ce qu’elle pense, de dire ce qu’elle dit » [2].

En pratique, cela peut dire que certains hommes ont l’impression de mieux comprendre ou connaître une expérience sexiste que les femmes*.

Un homme peut, en effet, se sentir plus légitime qu’une femme pour parler de maternité, allaitement, violences gynécologiques… Il se permet également parfois d’expliquer à une femme pourquoi tels ou tels combats seraient moins importants que d’autres, pourquoi telle expérience n’est pas sexiste… Ces comportements contribuent à fragiliser les confiances en soi. Ils renforcent, en outre, une auto-censure chez les femmes.

Le site Madmoizelle reprenant l’auteur Hugo Schwyzer cite quelques questions à se poser afin d’éviter un mansplaining :

  • « Est-ce que vous savez combien la femme à qui vous parler en sait sur le même sujet ?

  • Est-ce que vous utilisez votre prétendue expertise pour prouver quelque chose sur votre virilité ?

  • Quand elle parle, est-ce que vous écoutez ce qu’elle est en train de dire ou êtes-vous simplement en train de répéter votre prochaine réplique ?

  • Est-ce que vous parlez de votre propre expérience, ou bien êtes-vous en train d’universaliser vos propres sentiments ? Est-ce que vous lui expliquez sa propre expérience ?

  • Est-ce que vous savez vraiment de quoi vous parlez ? » [3]

Manterrupting et bropropriating

D’autres concepts similaires existent comme le manterrupting (le fait d’interrompre plus souvent une femme) et le bropropriating (lorsqu’une femme se fait déposséder de son idée par un homme).

Ces différents comportements peuvent s’expliquer par notre éducation. En effet, les hommes ont toujours été encouragés à s’exprimer d’avantage que les femmes censées être plus discrètes et à l’écoute. 

3. Agir au quotidien

Maintenant il faut agir ! Tous les jours, concrètement, se faire violence, sortir de sa zone de confort, se demander si l’on agit correctement….

Ainsi, l’organisation ONU femmes [4] et de nombreux sites féministes ont rédigé des conseils pratiques pour les hommes souhaitant être de bons alliés. Voici quelques exemples :

1) Dans ses actes

Au travail (comme employeur ou collègue)

Ne pas faire de mansplaining, manterrupting, ou bropropriating en réunion. Lors d’un entretien d’embauche, ne pas demander à une femme si elle compte avoir un enfant, se rappeler que ses capacités sont généralement plus grandes que ses talents à se vendre… 

Chez soi

Réduire la charge mentale de sa partenaire, faire sa part des tâches ménagères, de l’éducation des enfants, ne pas attendre de récompense pour chaque action ou initiative.

Dans l’espace public

Réagir si l’on est témoin d’actes sexistes, d’insultes, d’agressions

Dans sa sexualité

Penser au plaisir partagé et non pas à son seul plaisir comme cela est trop souvent montré dans la pornographie et la publicité.

2) Dans ses paroles

Ne plus laisser passer les blagues sexistes.

Comme le démontre Anne Cécile Mailfert dans son TED X à l’école Politechnique en 2015, les blagues sexistes tuent [5]. Celles-ci consolident les stéréotypes sur les femmes*. Par exemple, le slogan «Téléchargez aussi vite que votre femme change d’avis » de Numéricable renforce l’idée qu’une femme* ne serait pas capable de prendre de bonnes décisions et d’être ferme. Ce genre de stéréotypes réfrène l’accès des femmes aux postes de pouvoir. Pire, cela peut également suggérer l’idée qu’une femme, étant incapable de prendre une décision, ne saurait pas vraiment si elle est consentante ou non. Un homme pourrait décider de choisir à sa place et donc commettre un viol. Cela s’appelle le continuum des violences faites aux femmes. 

Ne plus pratiquer, ni cautionner le slutshaming, body shaming, etc.

Ces pratiques sont, en effet, extrêmement insultantes et dégradantes.

4. Mais qu’est-ce que j’y gagne ?

Pour l’auteur Michael Kaufman dans une interview au journal 20minutes, « Tout le monde, hommes et femmes, a tout à gagner dans l’égalité femmes hommes ».  Un chemin qui passe par «  une meilleure éducation des garçons » et par « des politiques plus volontaristes sur le terrain des droits des femmes » [6].

Le site Blooming you dans l’article « Que gagnent les hommes avec le féminisme ?” a ainsi listé une série de bénéfices [7] :

Une meilleure santé

Les normes sociales imposées par le patriarcat peuvent créer du stress chez les hommes et nuire à leur santé. «On le constate dans les études scientifiques, les hommes sont plus sujets aux suicides, aux dépressions, au burn-out et aux addictions diverses comme l’alcoolisme. Les hommes ont besoin de se défaire des griffes du patriarcat et de sa vision primaire du masculin et de la virilité. Ils se doivent pour eux-mêmes de redéfinir ce qu’est qu’un homme et ce qu’est la virilité. [8]»

Une meilleure relation de couple

Une enquête de l’Université de Rutgers en 2007 révèle que « les hommes considèrent qu’être en couple avec une femme se déclarant féministe garantit une relation plus stable, ainsi qu’une plus grande satisfaction sexuelle» [9]. Également, une étude de l’Université d’Indianapolis démontre que « les hommes hétérosexuels qui s’intéressent de près aux luttes féministes sont susceptibles d’avoir une vie de couple plus épanouissante et une sexualité plus satisfaisante. » [10]

Une vie de famille heureuse

Lorsque les tâches sont partagées égalitairement au sein du foyer, il y a de nombreux avantages. Par exemple, les femmes ont un meilleur quotidien, les enfants sont plus heureux chez eux et à l’école, les pères se sentent plus épanouis et en meilleure santé.

Plus de sécurité

De manière générale, sortir d’un modèle patriarcal rendrait la société moins violente. Les hommes plus impliqués dans les tâches ménagères et dans l’éducation des enfants ont également tendance à être moins violents.

Des bienfaits pour la planète

Il a été prouvé que les femmes ont des comportements plus écologiques que les hommes et leur empreinte carbone est plus faible. Une étude sortie en 2016 dans le Journal of Consumer Research démontre qu’en Chine et aux États-Unis, les hommes associent l’écologie avec la féminité et peuvent adopter des comportements polluants s’ils sentent leur virilité menacée.

Conclusion

Devenir un allié du féminisme passe donc par de nombreux changements de comportement, de discours, d’idée…. En effet, ce n’est pas quelque chose de forcément évident ou de confortable lorsqu’on est un homme. Au contraire, il s’agit d’une remise en question profonde sur soi, de repenser aux actes sexistes qu’on a pu commettre et essayer de débusquer ceux que l’on fait encore. Néanmoins, il ne faut pas non plus attendre de récompense pour chaque geste adopté.

Par ailleurs, une des dernières recommandations pour être un bon allié serait de savoir utiliser sa position de privilégié et sa plus grande légitimité à s’exprimer en tant qu’homme pour diffuser des travaux, textes, récits, arts féministes et mettre en avant la parole des femmes* dans l’espace public. Car l’inaction rend complice et renforce le système patriarcal établi. Il n’est donc jamais trop tard pour devenir un allié du féminisme. Les avantages étant nombreux et positifs pour l’ensemble de la société, ça vaut la peine d’essayer.

Louise Delette


[1] Axelle Minne, Chers hommes, seriez-vous des futurs alliés ? RTBF, 3 mai 2019

[2] Sophie Riche, “Je veux comprendre le mansplaining”, Madmoizelle, 29 mars 2017

[3] Ibid

[4] Lignes de plaidoyer pour le programme : « Devenez un homme féministe en 30 jours », ONU Femmes

[5] Anne Cécile Mailfert, Les blagues sexistes ça tuent, TEDxÉcolePolytechnique, 2015

[6] Interview de Michael Kaufman par Anissa Boumediene, «Les hommes doivent comprendre qu’ils ont tout à gagner dans le féminisme», 20 minutes, 7 juin 2018

[7] https://www.bloomingyou.fr/gagnent-hommes-feminisme/

[8] Ibid

[9] Ibid

[10] Célia Héron, Comment être un homme féministe, Le Temps, 12 juin 2019

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