Le silence dans l'inceste

Cet article explore l’importance du silence dans les dynamiques de l’inceste. Il analyse comment ce silence est imposé, maintenu et transmis, tout en mettant en lumière ses impacts dévastateurs sur les victimes et la société. Une réflexion essentielle pour comprendre et déconstruire les mécanismes de domination et d’emprise liés à ces violences.

Voici le lien permettant de télécharger l’étude :

Introduction

La présente étude vise à explorer le silence qui entoure l’inceste.

Femmes de Droit propose la définition suivante de l’inceste : « une violence sexuelle réalisée par des parents ou membres de la famille même par alliance de la victime. Par membre de la famille, on entend père, mère, beau-père, belle-mère, mais aussi frère, sœur, demi-frère, demi-sœur, autres enfants des beaux-parents, cousins, cousines, oncles, tantes, grands-parents, compagnon ou compagne stable d’un des membres de la famille cités ci-avant. »

Ainsi, le silence nous intéresse, car le viol intrafamilial est mis sous silence systématiquement. Et l’absence de parole prend la forme d’un système, influencé par plusieurs dynamiques.

Ici, nous parlons des processus sociaux, personnels, familiaux et institutionnels. Nous cherchons à observer les causes et les fonctionnements du silence. Mais aussi, à connaitre le rôle des institutions dans ce système.

Les institutions dont il est question ici sont : la famille, la justice, l’école, les services sociaux et les médias.

La ressource principale ayant inspiré cet article est : Dorothée Dussy : « Le berceau des dominations, anthropologie de l’inceste » (Dussy, 2021).

Cet article ne constitue pas un plaidoyer pour une sortie du silence cathartique. Dans la mesure où il ne s’agit pas d’une injonction à s’exprimer sur l’inceste. En effet, ce serait une autre forme de violence envers les victimes. Par contre, notre intention vise à explorer le silence social qui entoure l’inceste. Et les dynamiques qui construisent et maintiennent ce silence dans nos sociétés.

Les causes du silence

Les causes du silence sont difficiles à pointer.

En effet, elles ne se réduisent pas à une seule explication. Le silence fonctionne comme un système multicausal. Cela veut dire qu’il y a plusieurs facteurs, qui s’entrelacent et se renforcent mutuellement.

Ainsi, ce silence est à la fois individuel, social et institutionnel. Il prend racine dans des logiques de pouvoir. Les victimes sont soumises à une injonction, implicite ou non, à se taire. Et la société se cache derrière le tabou, rendant l’inceste inaudible.

Ce schéma causal crée une dynamique où le silence constitue la seule réponse possible.

En pratique, plusieurs mécanismes permettent ce silence. L’autorité patriarcale au sein de la famille joue un rôle central. Elle crée un climat propice à la manipulation de la victime. La honte et la culpabilité pèsent aussi sur les victimes. Le silence s’impose. Il ne se limite pas à étouffer un acte criminel. Ainsi, il s’inscrit dans une logique systémique qui alimente l’inceste et l’amène à se reproduire.

Les mécanismes de contrôle

Les mécanismes ci-dessous permettent d’imposer le silence aux victimes.

Le silence constitue lui-même un mécanisme de contrôle. Effectivement, il permet l’impunité. Par conséquent, il protège les coupables.

Cependant, plusieurs autres mécanismes sous-tendent celui du silence, et lui permettent d’exister.

L’autorité patriarcale dans la famille

Le modèle patriarcal

Notre société se base sur un modèle patriarcal. Il s’agit d’un modèle dans lequel les hommes disposent du pouvoir.

Par conséquent, ils occupent les positions importantes dans les institutions, dont la famille. Or, les normes de cette société favorisent la masculinité et servent à maintenir la hiérarchie homme/femme.

Les rôles patriarcaux dans la famille

Dans la famille, cela se traduit par une valorisation de l’autorité du père, ou, à tout le moins, du parent agresseur. Celui-ci est souvent un homme, et toujours dans une position hiérarchique plus élevée que la victime.

Cette différence de rôles dans la famille amène un déséquilibre du pouvoir.

Ce déséquilibre, quant à lui, amène énormément de confusion chez les victimes. En effet, la personne qui leur fait du mal est la personne qui est censée les protéger.

De plus, l’autorité de l’agresseur.e le/la protège en partie de ses actes. En effet, elle le/la protège de la parole de la victime, mais aussi de celle des autres membres de la famille.

L’importance des rôles patriarcaux dans l’inceste

Les rôles ont beaucoup d’importance pour comprendre le fonctionnement de l’inceste et du silence.

L’incesteur.e occupe un rôle de protecteur.rice, mais aussi de pédagogue. Par conséquent, c’est à lui/elle qu’on obéit. Les relations et positions sont inégales.

Ces rôles sont associés aux statuts. Ils ne sont pas choisis par les individus. Dans la mesure où ce sont leur place dans la famille qui les leur octroie. Quand un.e membre de la famille commet un inceste, ces rôles et dynamiques familiales sont remises en question.

La confusion est une notion centrale. Les contradictions et la confusion qu’elles amènent ne permettent pas une prise de parole immédiate. De même qu’une prise de conscience. Ces contradictions participent au fait que la victime ne se sait pas victime.

L’autorité patriarcale contribue donc à invisibiliser et rendre silencieux ces crimes. La honte et la culpabilité se mêlent au respect et à la loyauté familiale.

Les femmes coupables d’inceste

Si l’écrasante majorité des auteur.e.s de violences sexuelles sont des hommes, ça veut dire qu’une minorité sont des femmes.

Ainsi, les femmes agresseur.e.s existent, mais elles, on les étudie peu. En effet, la société a du mal à admettre que des femmes commettent de telles violences.

La mère étant associée à un rôle doux et nourricier, nous percevons le fait qu’elle puisse agresser comme d’une gravité extrême.

Tout se passe comme si on s’y attendait de la part d’un homme, mais pas d’une femme (Ferey, 2019).

La particularité des agressions commises par des femmes, c’est qu’elles n’agissent souvent pas seules. Effectivement, elles agressent fréquemment avec un conjoint masculin alors que les hommes sont majoritairement seuls. Une moitié de ces femmes sont sous la contrainte, les autres ne le sont pas (Cortoni & Desfachelles, 2017).

Nous manquons cruellement d’études à ce sujet, particulièrement dans une perspective féministe. Il nous semble pourtant pertinent de préciser que le patriarcat joue aussi un rôle dans ces actes. Le patriarcat impose des normes de domination. Et les hommes occupent la position dominante.

Cependant, certaines femmes peuvent tout de même internaliser les dynamiques de pouvoir et les reproduire. La sexualité étant un outil de contrôle, ces femmes l’utilisent aussi sur des partenaires vulnérables (les enfants).

Aussi, nous savons que les auteur.e.s d’agressions sexuelles ont souvent été victimes. Que ce soient des hommes ou des femmes, les violences subies dans ce cadre patriarcal les ont conduit.e.s à reproduire ces schémas. En effet, le patriarcat façonne les normes pour tou.te.s.

Par conséquent, la solution réside dans une déconstruction de ce modèle et de ses normes violentes.

La honte et la culpabilité

La honte et la culpabilité se trouvent au centre du système de silence lié à l’inceste. En effet, la victime d’inceste se sent responsable de ce qui lui arrive.

Parfois, la première agression se marque par une certaine stupéfaction. La violence est telle qu’elle s’accompagne de sidération. Même si elle n’est pas ressentie comme telle, elle laisse la victime confuse.

Dès lors, les enfants sont en incapacité de nommer ce qui leur arrive et de le comprendre. Une personne qui devrait vouloir leur bien, leur fait du mal. Dorothée Dussy nous explique que cette première agression sous silence amène à taire les autres. De fait, la honte de ne pas avoir parlé plus tôt contribue à ne plus parler du tout.

De plus, après cette première agression, il arrive que la victime retourne d’elle-même vers l’agresseur.e. Elle est poussée par cette confusion qu’elle éprouve vis-à-vis de ce.tte membre de sa famille.

Notamment, cela se traduit par l’envie de ne pas déplaire ou décevoir l’autre. Mais aussi parfois par un plaisir charnel, qui ne dit pourtant rien du consentement.

Le consentement n’existe pas dans une relation entre un.e adulte et un.e enfant. Il s’agit d’une réaction qui n’est que physiologique.

Pourtant, ce plaisir alimente également la honte et la culpabilité. Et cela parce qu’il est perçu comme un gage de consentement par l’agresseur.e, par les autres et par la victime elle-même.

Ces sentiments se trouvent souvent renforcés par des mécanismes mis en place par l’agresseur.e. Il/elle fait peser une grosse pression sur la victime. Par exemple, il/elle lui fait comprendre qu’elle ne sera pas crue, ou qu’elle va briser la famille. Si la confusion était déjà présente, elle se renforce par ces dispositifs.

La responsabilité

La responsabilité est renvoyée à la victime pendant les violences, et à la sortie de celles-ci. En effet, l’incesteur.e tient l’enfant pour responsable des actes sexuels. Ainsi, il/elle retourne la situation : il/elle n’est pas coupable d’une agression.

Après dénonciation de l’inceste, la victime est encore une fois responsable. Donc des agressions, mais aussi de leurs conséquences. Cependant, cette attribution de la responsabilité représente une façon de s’en dissoudre.

En effet, l’inceste et le silence ne se limitent pas à la victime.

L’inceste constitue très rarement un secret absolu. Certes, personne ne parle. Mais, les autres membres de la famille participent au maintien du silence. Ils/elles ferment les yeux et taisent ce qu’ils/elles savent.

Le silence est un système. Par conséquent, les familles et les autres communautés ont un rôle à jouer dans son fonctionnement. Toute personne prise dans ce système contribue à sa perpétration. D’où l’importance de comprendre la responsabilité de chacun.e, pour en sortir.

La victime elle-même participe malgré elle au système silence. Elle ne choisit pas de le faire, mais subit plusieurs pressions sociales et familiales.

Cette omerta (ou loi du silence) amène celui des victimes, mais protège également les agresseur.e.s.

La victime est sous pression et culpabilise de sa propre complicité, alors qu’elle est en fait manipulée. Pendant ce temps, l’agresseur.e jouit de la protection de tou.te.s.

Ce qui le/la protège, c’est cette culpabilité collective. En effet, personne ne veut admettre participer à l’inceste et à son maintien. Personne ne veut briser l’ordre familial, aux dépens de la victime. Et un système qui protège les incesteur.e.s, est un système qui encourage le silence.

C’est difficile d’entamer des démarches de dénonciation lorsque nous savons que celui/celle qui sera protégé.e, c’est notre bourreau.

La peur des représailles

La honte et le sentiment de culpabilité s’accompagnent souvent de la peur. La peur paralyse, et empêche l’idée même de parler.

Les conséquences de la sortie du silence peuvent constituer une deuxième vague de violence. Il va sans dire que l’inceste représente un acte de violence ultime. On peut donc facilement envisager que sortir du silence et dénoncer son agresseur.e, amène à d’autres violences.

De plus, le repentir reste peu envisageable quand les auteur.e.s des violences ne sont même pas conscient.e.s d’être des agresseur.e.s.

Plusieurs formes de violences

Les violences sont multiples. Il est difficile de classer par type de violence quand l’inceste les transcende toutes.

De plus, il n’y a pas de hiérarchie entre elles. Elles s’entrelacent et se chevauchent. Elles fonctionnent ensemble dans le système d’inceste.

Cependant, pour plus de lisibilité, nous les découpons ci-dessous en différentes catégories.

La violence sexuelle

Dire l’inceste n’amène généralement pas des mesures immédiates. Le risque est donc que les viols continuent, voire s’aggravent par vengeance.

En effet, la victime vivant sous le toit de l’agresseur.e, la première mesure efficace à mettre en place est une mesure d’éloignement. Ne pas le faire amène un gros risque de continuité des violences.

Mais cela ferme aussi la porte à une autre sortie du silence. Cela pousse la victime à ne plus dire, car quand elle l’a fait ça n’a rien arrangé.

De plus, cela lui montre que sa parole ne peut rien contre la toute-puissance de son agresseur.e. Ce qu’elle va intégrer.

Et pour qu’une autre fenêtre d’opportunité de sortie du silence se présente, il faudra parfois attendre longtemps.

Ne pas profiter d’une fenêtre, ou le faire sans résultats amène à se terrer dans le silence. Cette « fenêtre » réunit plusieurs conditions. Si elles ne sont pas remplies, l’annonce est manquée.

Il est donc important d’accueillir la sortie du silence par des mesures de protection immédiates. Comme nous l’avons mentionné ci-dessus, l’éloignement est primordial pour faire directement cesser les violences sexuelles.

La violence physique

Dire l’inceste peut aussi amener des « punitions » physiques.

Les incesteur.e.s se vantent souvent de ne pas être des violeurs/violeuses. Et cela parce qu’ils/elles ne rentrent pas dans l’idéal-type que l’on se fait d’un.e violeur/violeuse.

L’idéal-type est un outil défini par Max Weber (Larousse). C’est un type, qui regroupe des traits extrêmes pour comprendre une catégorie.

L’idéal-type du violeur, c’est un homme qui force un rapport sexuel par la violence pure. Il s’agit aussi d’un homme qui agit par haine, qui n’apprécie pas sa victime. C’est la caricature du violeur, mais dans la réalité il prend plusieurs formes.

Dans le cadre de l’inceste, la position de domination de l’agresseur.e lui permet de ne pas avoir à user de cette violence directe.

En effet, la victime l’aime, le/la respecte et lui fait confiance. Il/elle est dans une position d’autorité liée à son rôle et à son statut dans la famille et dans la société. Ces éléments suffisent à asseoir sa domination, sans qu’il/elle doive l’imposer par la force.

Mais imposer, que ce soit par la force ou par le statut, reste de la violence. Imposer un rapport sexuel, que ce soit par la domination physique ou symbolique, reste un viol.

Certain.e.s incesteur.e.s usent tout de même de violence.

Et même s’il/elle n’a pas usé de violence avant, le fait de parler peut déclencher celle-ci. S’il/elle se sent en danger ou trahi.e, il est possible qu’il/elle en use.

La relation qui le/la lie à la victime constitue une relation de pouvoir. L’agresseur.e sentant son pouvoir s’échapper, c’est une manière de reprendre le contrôle, de rappeler sa position. La terreur s’installe alors chez la victime qui, encore une fois, n’ose plus parler.

La violence psychologique

La violence psychologique reste centrale dans la relation incestueuse. La victime est soumise à son agresseur.e. Elle est poussée à croire que les conséquences de la révélation seront de sa faute.

Malheureusement, les répercussions de la sortie du silence lui donnent souvent raison. Car l’homme de la famille est perçu comme un homme respectable. Que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de la famille. Il est donc difficile de l’envisager comme un violeur.

C’est ce qu’on peut appeler en psychologie sociale, une dissonance cognitive. Cette théorie de Léon Festinger (Festinger, 1957) nous explique qu’un individu doit disposer de croyances consistantes entre elles. Une croyance en implique toujours une autre. Si cet homme est un bon mari, père de famille, il ne peut pas être un violeur. Ces croyances ne vont pas ensemble, et amènent de la dissonance.

Cette dissonance est forte. Et pour la réduire, on peut mettre en place plusieurs stratégies. On peut ajouter des éléments consonants. Par exemple : en plus d’être un bon mari, c’est un homme travailleur, impliqué dans les associations de quartier… Ou on peut réduire les éléments dissonants. Par exemple : il a dérapé, c’est une erreur de parcours. L’être humain aura tendance à tout faire pour apaiser cet état de tension que lui procurent certaines situations.

Admettre l’inceste revient alors à admettre que cet homme irréprochable est un incesteur. Admettre devient donc extrêmement couteux. La famille préfère ainsi parfois se cloitrer dans le déni, par souci de préservation. Elle préfère éviter l’effondrement de ses repères et de ses croyances sur l’unité familiale.

Pareil pour la société, admettre des actes aussi abjects venant d’un honnête citoyen n’est pas concevable. Le silence est alors collectif. Ce système protège et permet au statu quo de pérenniser.

La violence économique

L’incesteur.e représente une figure d’autorité dans la famille. Il/elle est donc souvent responsable des ressources. Il est alors facile pour lui/elle d’utiliser sa position pour renforcer la dépendance financière de sa victime.

Sortir du silence est difficile lorsque l’agresseur.e est le pourvoyeur/la pourvoyeuse du soutien matériel nécessaire à la survie. Les alternatives doivent être mises en avant, pour ne pas que la victime pense à la peur de la précarité.

Aussi, la relation incestueuse est déjà perçue par l’agresseur.e comme un échange commercial. Il/elle réduit la victime à une « pute ». La situation est alors retournée, elle porte la responsabilité du viol.

Pour comprendre comment cette relation devient une relation commerciale, nous pouvons lire Colette Guillaumin (Guillaumin, 1992). C’est une sociologue féministe, qui a amené le concept de « sexage ».

Elle explique que la domination des femmes ne s’apparente pas à du prolétariat. Les prolétaires disposent librement de leur force de travail, les femmes non. Leur force de travail est accaparée, et leur corps comme machine également. Cette situation se rapprochant de l’esclavage, le terme « sexage », renvoie à celui de « servage ».

Nous comprenons alors que les femmes ne disposent ni de leur corps ni de l’usage qui en est fait. Elles ne disposent donc pas non plus de leur sexualité. C’est pareil pour les enfants. Et cela se justifie par des logiques commerciales.

Quand la victime sort du silence et amène son agresseur.e au tribunal, elle réclame des intérêts. Cela la réduit encore une fois à la même position que pendant les viols, ce qui peut être violent pour elle. Elle est alors perçue comme vénale. Elle est humiliée et renvoyée à une forme de responsabilité qu’elle n’a pas.

La violence institutionnelle

La peur de dire est directement liée à la complicité des institutions envers les agresseur.e.s. Les agresseur.e.s sont en effet, protégé.e.s par les institutions.

En revanche, la victime, elle, se heurte à des obstacles administratifs, judiciaires, financiers et psychologiques. La gravité de l’inceste est minimisée, et les conséquences pas suffisamment prises en compte.

Dire l’inceste coûte aux victimes, et parfois trop pour qu’elles décident de le faire.

Les institutions renforcent le système incestueux. En effet, elles participent à la marginalisation des victimes. La protection doit être immédiate, accessible et expliquée aux victimes. Il doit y avoir des issues à la sortie du silence, et les victimes doivent les connaitre.

Nous décrivons le fonctionnement des institutions dans la partie « Le fonctionnement du silence ». Nous y expliquons en quoi elles sont violentes.

Le tabou social

L’inceste constitue un sujet interdit dans la société. Les violences incestueuses sont donc invisibilisées.

Ce tabou n’est pas un simple malaise social. Il s’enracine dans le système de silence qui touche toutes les sphères de la société. Il provoque le silence, et le silence le renforce. Ainsi, le silence et le tabou se renforcent mutuellement.

L’interdit pousse au non-dit et au déni social. Il s’impose aux victimes, à leur entourage, aux professionnel.le.s de la santé, aux autorités, et même aux chercheurs et chercheuses.

Le résultat de ce déni social est la non-reconnaissance ou la minimisation de l’inceste. Nous ne repérons pas les indices d’un inceste. Ou nous ne les reconnaissons pas comme tels. Nous ne croyons pas à l’inceste, parce que nous ne voulons pas y croire.

Tout cela constitue une grande violence. La société protège alors les agresseur.e.s, pour se protéger elle-même de ces réalités. Il s’agit du même schéma que dans l’institution familiale.

Cependant, cet effet de protection n’est qu’un leurre. Ne pas voir et ne pas dire l’inceste ne l’empêche pas d’exister. Au contraire, cela permet l’impunité de celui-ci. En définitive, nous le laissons exister, perdurer, sans demander de comptes.

La dénonciation est alors d’autant plus difficile. La victime se retrouve face à de l’incrédulité.

Les institutions, censées la protéger, rejettent ou doutent de son récit, et le passent donc encore sous silence. Le déni et la minimisation contribuent au silence et par conséquent, à une continuité des violences de ce système incestueux.

La famille incestueuse

L’inceste n’arrive pas vraiment par hasard. Il survient dans une famille dite incestuelle. Cette famille incestuelle propose un climat incestuel aux enfants. Dans ce climat, les limites sont mal définies. Non seulement les frontières physiques, mais aussi les frontières émotionnelles. Cela amène une ambiguïté qui laisse l’inceste s’installer.

Une dynamique familiale dysfonctionnelle et l’institutionnalisation du silence

L’inceste est rarement un cas isolé dans une famille. Pour que l’inceste surgisse dans la famille, il faut qu’elle soit dans une dynamique de famille incestuelle.

Dans ces familles, l’inceste et le silence sont institutionnalisés. Elles perçoivent l’inceste comme une simple transgression sexuelle. Il est intériorisé par tou.te.s les membres. Et avec lui, l’interdiction de le nommer.

Le silence devient alors une loi tacite, une injonction inconsciente. L’inceste se répand dès lors dans la famille. Non pas à la manière d’une reproduction des schémas, mais plutôt comme continuité de ceux-ci.

Les dynamiques incestuelles qui existent dans les familles incestueuses ne sont pas nécessairement toujours sous forme de violences explicites. Elles peuvent se manifester par des intrusions dans l’intimité de l’enfant. Ou par l’intimité des parents exposée aux enfants. Des familles recomposées avec des âges qui portent à confusion (le fils qui a l’âge du petit-fils…).

Le climat incestuel nait de ces brouillages de frontière. Ce climat n’amène pas toujours au viol. Mais il peut le permettre.

Une réflexion sur la guérison familiale

La famille incestueuse indique qu’un.e agresseur.e en cache souvent un.e autre.

Cela amène à se poser la question de l’incarcération. Une peine de prison punit l’agresseur.e et empêche (un temps) sa récidive.

Cependant, l’inceste ne peut s’éradiquer de la famille par cette seule mesure. Il s’agit d’un problème systémique. Le système entier se trouve donc affecté par la dynamique incestueuse.

Bien sûr, il importe que l’acte d’inceste reçoive une réponse institutionnelle. Mais les mesures punitives ne suffisent pas. Il faut prévoir des mesures préventives. Ainsi que des mesures d’accompagnement de sortie du schéma.

Au-delà de la question de la punition, nous devons donc aussi nous poser celle de la guérison.

Comment éradiquer l’inceste de la famille dans son ensemble ? Comment changer sa dynamique ?

Peut-être que sortir du silence, et ne pas y revenir après la révélation des violences peut permettre de sortir de l’inceste.

En effet, même après la dénonciation des faits, le silence revient souvent. Que ce soit après un jugement ou non, on n’en parle plus. Cela reste un secret de famille, de village, une faute de parcours. Les victimes sont marginalisées, on ne les voit plus (ou toujours pas).

Mais encore faut-il avoir les outils pour sortir du silence. C’est ce que nous cherchons à toucher du doigt dans ce papier. Comment sortir du silence et obtenir des réponses adaptées ? Comment sortir du déni ? Pourquoi et comment transformer les institutions ? Et comment en parler ?

Le fonctionnement du silence

Le silence autour de l’inceste est un mécanisme social. Il n’est pas passif. Il se construit et se maintient à travers les sphères collectives, où les normes et structures de pouvoir participent à l’étouffement des voix des victimes.

Le silence se nourrit des défaillances des institutions censées protéger les victimes. Dans cette partie, nous explorons la responsabilité de l’inceste à grande échelle.

Le contrôle

Nous développons les mécanismes de contrôle dans la partie des causes du silence. Ici, nous revenons sur le fonctionnement de ce contrôle.

Si un mécanisme comme l’autorité patriarcale permet le contrôle, c’est par divers procédés. En effet, ces procédés permettent le silence. Nous les expliquons ci-dessous.

Le système silence participe et protège le système inceste. Ils sont interconnectés. L’inceste, produit par la domination, a besoin du silence pour prospérer.

L’intériorisation

Le silence, comme l’inceste, est intériorisé.

Nous avons vu que l’inceste est le fruit d’un système, d’une famille incestueuse. Dans un système, nous savons qu’il existe des schémas, des rôles, des « patterns », des règles…

Dans le cas de l’inceste, les schémas sont des schémas de domination. En effet, les rôles sont hiérarchisés.

De plus, la violence est tue et transformée. La victime intériorise ces schémas de domination, son rôle teinté d’infériorité, cette violence banalisée, et le fait que tout cela soit soumis au silence.

L’intériorisation constitue un processus puissant, car il s’ancre dans les individus. Elle permet la normalisation.

La victime intègre que l’inceste est son quotidien. Aussi qu’il est de sa faute, et qu’elle ne peut lutter ou parler.

L’apprentissage des normes dans la famille incestueuse produit encore une fois de la confusion. Les enfants de ces familles apprennent, comme tou.te.s les enfants, que leurs parents sont leurs protecteur.rice.s. Aussi, que l’inceste est interdit. Mais en parallèle, ils/elles subissent des viols au sein de leur famille. Et ces viols sont gardés sous silence. Ils/elles intègrent alors cette contradiction comme une norme.

L’intériorisation des violences comme normalité entraîne des répercussions telles que, certaines victimes n’ont pas conscience de l’être.

Il s’agit de leur normalité. Sans pour autant que ce soit normal d’un point de vue objectif. Indiscutablement, l’inceste n’est normal à aucun point de vue. Vivre l’inceste n’est pas une expérience de vie normale. Le déni, le secret, le silence qui l’entoure, n’a rien de normal non plus.

C’est pourquoi parler de l’inceste est important. Pour le faire sortir de sa normalité. On pense que le tabou permet cela, mais c’est le contraire. Il permet le silence, il permet l’inceste.

La complicité et la responsabilité de la société

La responsabilité collective est liée au fonctionnement en système.

Dans un système, il n’existe pas d’élément passif. Et dans le système silence, tout le monde participe. Que ce soient les familles, les institutions et le reste de la société.

Les victimes ne sont pas donc les seules qui doivent s’extraire de ce système. Il s’agit d’un travail qui nous concerne tou.te.s. Nous pouvons par exemple commencer par sortir du déni et du silence, en regardant la réalité de l’inceste en face.

Ainsi, nous comprenons le rôle des familles dans le système. Les proches se protègent d’un impact sur leur propre vie en niant les violences. Ils/elles protègent leur équilibre familial, leur image. Mais ils/elles se protègent aussi du choc qu’est la vérité, en la niant. Ils/elles participent donc aux violences, sans administrer les violences sexuelles directement.

Eux/elles aussi ont intégré leur rôle au sein de la famille. Le rôle de complice muet face à ce qui se passe. 

La société, ou plutôt les individus qui la composent, participent également au système.

Nous savons que l’inceste n’est pas qu’une légende. En effet, nous savons qu’il existe, si pas dans notre famille, dans d’autres.

Pourtant, nous ne le regardons pas. Nous ne le disons pas. Et pire, nous ne le croyons parfois pas.

Ce n’est pas l’inceste qui est tabou, c’est le sujet de l’inceste. Lui est bel et bien réel. Pourtant, le sortir du silence donne l’impression que l’on va le matérialiser. C’est toutefois le contraire.

Les institutions aussi participent au système. Pour développer plus en détail leur rôle, nous leur dédions une section ci-dessous.

La transmission culturelle du silence

Le silence nous précède. Il fait partie des normes culturelles liées à la dissimulation. Les normes, les valeurs, mais aussi les rôles font la culture.

Cette culture se transmet et s’intègre, notamment à travers le mécanisme de socialisation.

Il y a deux types de socialisation. D’un côté, la socialisation « manifeste » qui est volontaire et active, elle vise à structurer la personnalité de l’autre. De l’autre, la socialisation « latente » qui est un processus d’assimilation des normes sociétales ambiantes, sans forcément le réaliser. D’abord à travers les figures importantes de nos vies, puis de façon plus globale.

Cette socialisation joue un rôle important dans l’enfance, mais elle continue tout au long de nos vies.

Et c’est une bonne nouvelle, car un processus inachevé ne peut qu’être provisoire. Nous pouvons alors toujours remettre en question les résultats de ce processus, rien n’est gravé dans la roche (Castra, 2013).

Ce qui veut dire que ce mécanisme qui ancre la dissimulation dans nos comportements peut devenir un levier pour opérer le changement.

Nous transmettons le silence, mais si nous transmettions le contraire ? Les processus de socialisation peuvent subir des interventions à travers l’éducation et la sensibilisation. Si les modèles transmis valorisent la prise de parole, nous pouvons déconstruire la norme « silence ». Cela nécessite des efforts individuels, mais aussi collectifs.

C’est un changement qui prendra du temps, mais qui ouvrira la voie à des générations plus conscientes et mieux armées face à l’inceste.

Le rôle des institutions

Les institutions sont synonymes de lenteur, d’inaction ou de méconnaissance des violences. Rien n’est vraiment immédiat ou traité dans l’urgence. Nous faisons face à une certaine léthargie, qui donne une impression d’inaction. Et parfois, l’inaction est bien réelle.

L’inceste et le tabou d’en parler ne permettent pas une connaissance suffisante du sujet, et de la façon de le traiter.

Les institutions amènent d’autres défis par leur limitation. Elles sont spécialisées, et pourtant manquent de sensibilisation et de formation. Elles se rendent alors complices, par leur prise en charge si loin des réalités.

Le silence se renforce par ces mécanismes. Les différents systèmes se croisent et se soutiennent. Car ils se fondent sur le même modèle de société patriarcale que celui dans lequel nous évoluons.

La normalisation n’opère pas seulement chez les familles et les victimes. Elle survient même dans la société et dans ses institutions. Par conséquent, l’inceste est une violence normalisée dans les structures patriarcales.

Le système judiciaire

Un long processus

Porter plainte est un long processus. C’est aussi éprouvant, parce que les victimes risquent de se retrouver de nouveau, face à de la violence. Et c’est principalement lié au fait que les agent.e.s ne sont pas formé.e.s pour faire face à des victimes d’inceste. De fait, le système de justice est aussi masculiniste que la société (Dussy, 2013).

Un risque d’injustice

Il y a aussi un risque de ne pas obtenir justice. Si la plainte fait face à un non-lieu, cela peut encore une fois accabler la victime. Le non-lieu, c’est lorsqu’on considère qu’il ne faut pas poursuivre les faits. Souvent, c’est lié à la difficulté d’amener des preuves.

Comme l’inceste est fréquemment amené en justice des années après les faits, les preuves sont difficiles à obtenir. Le non-lieu peut s’avérer violent pour une victime qui décide de dénoncer.

Mais, pour en arriver à un non-lieu ou à un jugement, il ne faut pas que les faits soient soumis à la prescription. En effet, la Belgique connait une imprescriptibilité des violences sexuelles sur mineur.e.s mais uniquement depuis 2019. Or, en droit pénal, il existe un principe qui dit qu’il n’y a « pas de peine sans loi ».

Cela signifie qu’un.e juge ne peut pas prononcer une peine si la loi ne la prévoit pas. Si un changement de loi a lieu après les faits, c’est le droit le plus clément qui s’applique alors à la personne condamnée, si les faits datent d’avant la réforme.

Pour les actes commis après la réforme, c’est elle qui s’applique.

Dans les cas d’inceste, si les violences ont eu lieu avant l’abolition de la prescription et qu’elle était déjà écoulée, les faits ne peuvent pas être poursuivis.

D’ailleurs, il est intéressant de regarder du côté du Canada. En matière criminelle, il n’y a pas de prescription. Il existe des plaintes déposées dans les années 2000 pour des affaires qui datent des années 1950 (Bérard & Sallée, 2020).

L’aliénation parentale

Nous avons vu que le déni ne permet pas de réaliser que les enfants subissent des viols. La société préfère dire qu’ils/elles mentent ou qu’un autre parent les manipule.

Très souvent, elle accuse les mères qui dénoncent les agressions des pères. Elle leur trouves même des mobiles : elles sont vengeresses, elles veulent punir le père.

Mais ces mères qui dénoncent le font en pensant que leur enfant sera cru.e et protégé.e. Qu’il/elle ne devra plus affronter son agresseur. C’est, en tout cas, ce que promettent les campagnes de sensibilisation, dans les médias…

Malheureusement, la société accuse les femmes de manipuler l’enfant et de mentir, et c’est à elles qu’elle retire la garde. Elle utilise souvent l’aliénation parentale dans les tribunaux, alors même que des expert.e.s ont démonté le concept.

Et les répercussions sont terribles. La justice retire parfois la garde à la mère. Elle place ensuite parfois l’enfant, mais en fait le remet souvent au père. Si la mère refuse de présenter l’enfant au père, la justice la sanctionnera (Durand, 2024).

Les institutions remettent systématiquement la parole de l’enfant en doute. L’aliénation parentale n’est qu’un énième instrument de déni. C’est aussi, bien sûr, un outil de délégitimation que l’agresseur.e ou ses défenseur.se.s utilisent.

Nous devons cesser d’utiliser la notion d’aliénation parentale. La protection des victimes doit devenir centrale. Nous devons entendre et croire les enfants dans leur souffrance. De plus, nous ne devons pas isoler les mères qui n’essayent que de les protéger (Romito & Crisma, 2009).

Le système scolaire

Les écoles et leur personnel ne sont pas non plus équipés pour gérer les violences. Ils/elles ne savent pas détecter les victimes d’inceste ni réagir à ces situations. Les signes de violences ne sont pas remarqués et peuvent être ignorés ou mal interprétés.

Il est important que les professionnel.le.s dans le milieu de l’éducation soient formé.e.s. Ils/elles doivent être conscient.e.s de la réalité de l’inceste. En effet, ils/elles croisent forcément des enfants victimes, et ce tous les jours. Et ils/elles ne sont pas conscient.e.s de l’importance du phénomène. Pour réagir au phénomène, il faut le connaître et sortir du déni social.

Effectivement, l’inceste n’est pas un sujet que l’on partage explicitement sur les bancs d’école. C’est pourquoi il faut pouvoir repérer les signes implicites. Et pour pouvoir repérer cela, il faut y être formé.e et sensibilisé.e.

Pour les enseignant.e.s, il s’agit de savoir reconnaitre et réagir aux violences de manière appropriée. Pour les enfants, cela peut se faire à travers des programmes d’éducation sexuelle. Ils doivent être centrés sur le consentement et la prévention des violences.

Aussi, les enseignant.e.s ne sont pas lié.e.s au secret professionnel. Ils/elles ont cependant un devoir de discrétion qui les empêche de dévoiler publiquement des informations si ce n’est pas nécessaire. Mais lorsqu’on parle de violences sexuelles, ils/elles ont pour devoir d’assister les personnes en danger. L’enseignant.e, au même titre que n’importe quel.le citoyen.ne, doit s’adresser aux autorités compétentes. Il ne peut pas y avoir de conséquences néfastes sur son travail.

Les institutions sociales

Les institutions d’aide sont aussi parfois actrices du silence. Elles sont souvent sous-financées et surchargées de travail. Elles n’ont pas les moyens de venir en aide à toutes les victimes qui se présentent. Dès lors, une minorité de celles-ci sont accompagnées. Alors que nous savons qu’il n’y a déjà qu’une infime partie de celles-ci qui se présente dans ces institutions.

Or, les victimes qui ne sont pas prises en charge ne sont pas vues ni écoutées. De plus, elles ne sont pas comptabilisées dans les recensements non plus. Cette invisibilisation n’est pas volontaire, mais participe au problème.

Aussi, la peur de fragiliser les familles pousse ces structures à « faire crise » pour solutionner l’inceste. Cela permet de ne pas aller en justice et de « sauver » l’équilibre familial.

Cependant, cette réponse institutionnelle ne peut souvent qu’aggraver les choses.

La victime continue de vivre sous le même toit que l’agresseur.e et dépend de lui/elle. Elle peut subir les conséquences de sa prise de parole. Dire à un.e agresseur.e qu’il/elle en est un.e, et qu’il/elle doit cesser d’agir ainsi, ne change en rien la dynamique familiale. Donc la médiation ne peut pas être une solution viable.

La question se pose aussi lorsque l’agresseur.e est lui-même/elle-même mineur.e. S’il/elle est en position d’agresseur.e, c’est parce que quelque chose cloche dans sa famille ou dans son environnement. Ne pas adresser le problème, ou ne pas en chercher les sources ne peut pas arranger les choses.

De ce fait, il est important de venir en aide à tou.te.s les enfants impliqué.e.s. De comprendre la source de ces comportements pour les traiter.

Les institutions médicales

Les institutions de santé jouent un rôle très important. De fait, elles sont en première ligne dans la détection, la prise en charge et le suivi des victimes d’inceste. Cependant, dans les faits, elles présentent des lacunes importantes.

Si les professionnel.le.s sont en première ligne, ils/elles ne repèrent pas forcément les signes des violences. La raison principale étant le manque de formation et de sensibilisation aux spécificités de l’inceste.

Les professionnel.le.s ne reconnaissent pas toujours les symptômes physiques ou psychologiques. Dans ce cas, cela amène certainement à une réponse inadaptée. S’ils sont reconnus, mais que le.la professionnel.le n’a pas les outils, la réponse sera insuffisante et inadaptée.

Le secret professionnel peut aussi freiner l’action. Théoriquement, il s’agit d’un outil de protection de la vie privée et il est important. Mais le secret professionnel ne s’applique pas s’il y a danger.

Dans le cas d’agressions sexuelles, nous ne nous trompons pas si nous disons qu’il s’agit d’une situation dangereuse. Lorsque le danger est détecté, la communication avec d’autres acteurs/actrices tel.le.s que les services sociaux ou judiciaires ne doit pas être freinée.

La formation à l’inceste permettrait des ressources et des réponses adaptées. Ainsi, les institutions de santé pourront protéger et soutenir les victimes de manière appropriée.

Représentations médiatiques

Sur le traitement médiatique de l’inceste, il est intéressant de lire les travaux de l’anthropologue Léonore Lecaisne. Les représentations médiatiques sont importantes, car elles solidifient les croyances. Elles reflètent le sens commun, tout en contribuant à le construire.

Idéalisation de la famille

Aussi, les discours médiatiques valorisent un idéal d’unité familiale. En conséquence, ceci empêche la conscientisation des réalités imparfaites comme l’inceste. De cette manière, le mécanisme de silence se renforce.

En effet, les médias jouent un rôle central dans la construction des normes dans la conscience collective. La famille y est idéalisée, glorifiée, et sacralisée. Ainsi, ils la représentent comme un espace d’amour et de sécurité. Les conflits sont superficiels, mais surtout, toujours résolus. Cependant, les réalités, plus complexes, n’y trouvent pas leur place. Certaines familles sont dysfonctionnelles et violentes, notamment quand il y a de l’inceste.

La famille parfaite, idéalisée, est un mythe. C’est-à-dire que c’est un modèle intériorisé, qui sert de référence à ce que devrait être une famille. En conséquence, ces discours idéalisés dissuadent la prise de parole. On doit préserver cette image sacrée de la famille qui doit rester intouchée.

De plus, si la victime parle, on lui reprochera d’avoir causé la déchéance de la famille. Ainsi, ces images renforcent le tabou.

On perçoit l’inceste comme un acte marginal et pas comme le problème d’ampleur qu’il est pourtant. Cela contribue aussi au sentiment d’isolement des victimes.

Il faut représenter les réalités des violences intrafamiliales. Cela permettrait ainsi de favoriser une prise de parole au sens large.

Les victimes y trouveraient des représentations de leurs schémas familiaux. Elles se sentiraient alors beaucoup plus vues et entendues. Et par conséquent, le reste des individu.e.s pourraient être sensibilisé.e.s à la question. C’est un pas vers une prise de conscience collective.

Banalisation des violences

Les représentations médiatiques banalisent ou minimisent parfois l’inceste. Les médias constituent un outil puissant. Cependant, la manière de médiatiser est importante.

Actuellement, le journalisme a tendance à faire dans le sensationnel. C’est ce qu’il faut pour qu’une histoire soit digne d’être racontée, pour qu’elle attire l’attention. On rend donc les évènements exceptionnels.

Pour décrire un inceste, on va dire qu’il est « d’une rare cruauté »… Les détails sordides sont mis en avant, ce sont eux qui créent le sensationnel. L’inceste « ordinaire » n’est pas intéressant.

Mais cette manière de dire, de rendre singulière une histoire d’inceste, est une manière de taire l’inceste ordinaire.

Léonore Lecaisne nous explique aussi que la médiatisation d’un crime dépend de la mise en récit de la victime. Les victimes sont classées : il y a les « vraies » victimes et « fausses » victimes. Ce classement se déploie dans les médias, mais aussi dans un tribunal et dans les autres sphères sociales.

Lecaisne nous explique que les vraies victimes sont celles qui ont été désignées comme telles par d’autres.

Aussi, la manière de prendre la parole joue sur la perception. Une femme trop vocale, qui se retourne contre les institutions, n’est pas une bonne victime. Surement parce qu’elle renvoie à la culpabilité collective de la société sur ce qui lui est arrivé. En effet, personne ne veut admettre avoir un rôle dans ce récit.

Le rôle de la vraie victime ne peut exister que si l’agresseur.e occupe celui du monstre. Le monstre aussi tape dans le sensationnel, plus qu’un bon père de famille.

Tableau comparatif entre la vraie et la fausse victime selon les représentations.
Tableau comparatif entre la vraie et la fausse victime selon les représentations (Le Caisne, 2016).

Le registre de la langue

Le registre de la langue et du discours (ou du non-discours) utilisé pour parler de l’inceste joue aussi un grand rôle. Il agit sur la perception de celui-ci.

L’inceste fait partie du registre du familier. Il prend place dans la sphère privée, familiale. C’est aussi pour cela qu’il est invisible.

Pourtant, le discours médiatique qui l’entoure se situe, lui, dans le registre de l’extraordinaire. En effet, il décrit l’inceste comme une monstruosité rare, presque irréelle. Ainsi, on l’explique comme un phénomène exceptionnel.

Par conséquent, il n’est jamais mis en lumière à travers sa banalité quotidienne. Les médias contribuent alors au tabou de l’inceste ordinaire.

En outre, ce phénomène se rencontre dans l’écriture académique également. L’académique s’exprime de façon soutenue, intellectuelle et parfois abstraite. Ce langage n’est donc pas facile d’accès pour le grand public. Nous pouvons percevoir un écart entre le vécu et le quotidien de l’inceste, et les discours tout autour. Le vécu est rarement mis au cœur des discussions sur l’inceste, s’il y a discussion.

C’est pourquoi Dorothée Dussy dans « Le Berceau des Dominations » choisit d’employer un langage familier. Parce que l’inceste fait partie du quotidien, du domestique. C’est alors intéressant d’en parler en ces termes. D’utiliser cette langue qui s’ancre dans le vécu, dans la réalité. Elle permet dès lors une sortie de l’abstrait. Elle rend le phénomène plus compréhensible dans sa banalité et ses conséquences réelles. Cela permet de rendre plus accessible l’inceste, et de comprendre son registre à travers celui-ci. Et non pas à travers les lunettes académiques, et son langage élitiste et inhabituel.

Ainsi, nous nous rendons compte de la pertinence de questionner les représentations dominantes, même quand elles paraissent légitimes.

La tragédie privée (et pas le crime)

Lorsque nous allons traiter d’un inceste dans les discussions publiques, nous parlerons volontiers de tragédie privée. Pourtant, cette expression minimise la gravité de l’acte, du crime. Nous plaçons alors l’inceste dans son registre, qui est celui de l’intime. Mais l’inceste fait aussi partie de la sphère publique. Il constitue un crime, une violence systémique.

Quand l’inceste est discuté, il est renvoyé à une souffrance privée. Nous parlerons tout bas de l’ignominie commise par notre voisin sur sa pauvre fille. Jamais nous ne parlerons d’un crime. Ni de la banalité de celui-ci.

En outre, nous ne comprendrons pas non plus que cette violence est certes individuelle, mais aussi structurelle.

Dès lors, nous éclipsons l’aspect le plus brutal de ces violences. La violation manifeste de la loi n’est pas perçue. L’inceste est un drame isolé et incompréhensible.

Cette approche minimise les souffrances infligées. Mais surtout, elle entretient le mythe de l’inceste comme une anomalie, hors de la réalité sociale. L’inceste devient alors plus supportable, moins révoltant. Et le système social n’est dès lors pas remis en question.

Par conséquent, la honte de cette tragédie privée pèse injustement sur la victime. Sa souffrance est son fardeau personnel. Elle se retrouve seule. C’est ainsi que la société se décharge de sa responsabilité, et perpétue le silence et la violence.

L’importance de la parole

En premier lieu, voici un petit rappel de ce que nous avons déjà expliqué au début de ce papier. Cette étude ne constitue en aucun cas une injonction à la parole des victimes d’inceste. Il n’est pas question de presser ou culpabiliser celles qui ne souhaitent pas raconter leur histoire.

Notre objectif est d’abord d’essayer de comprendre les mécanismes qui sous-tendent l’inceste et le silence. Ensuite, de plaider pour une visibilisation de l’inceste dans nos sociétés. Nous mettons l’accent sur l’importance de briser le tabou autour des discours sur l’inceste. Car le plus gros tabou, ce n’est pas l’inceste, mais la parole autour de celui-ci.

L’inceste est malheureusement répandu, pourtant invisible. Mais pas parce qu’il est rare. Plutôt parce qu’il n’est pas, pas bien, ou peu discuté. Le silence invisibilise, et contribue à l’impunité.

Donc si ce papier était un plaidoyer, ce serait pour que la société considère vraiment la parole autour de l’inceste. Pour que l’inceste soit parlé et reconnu. Les discussions publiques sont primordiales pour déconstruire le silence et améliorer la prise en charge des victimes. Mais aussi pour prévenir l’inceste et comprendre comment l’éviter. Pour cela la parole doit être centrale et sans stigmatisation.

Les conséquences du silence à long terme

Si nous devons parler de l’inceste, c’est parce que ce sont de vraies personnes qui le vivent. Et elles en subissent les conséquences, ainsi que celles du silence.

Le silence est une absence de parole. Mais il est aussi une pression continue sur les victimes, qui sont marginalisées par celui-ci.

Le silence entraîne des effets dévastateurs, sur la santé mentale des victimes, mais aussi sur leur place dans la société.

Dans cette partie, nous allons explorer les conséquences à long terme du silence. Certes, il y a la souffrance immédiate. Cependant, l’identité de la victime est aussi profondément ébranlée. Ci-dessous, nous explorons les conséquences psychologiques et sociales, ainsi que ce que cela veut dire pour l’agresseur.e.

Les effets psychologiques

Il y a de nombreuses répercussions psychologiques pour les victimes d’inceste.

D’abord, nous pouvons citer l’amnésie traumatique. C’est lorsque l’évènement traumatisant va se loger dans la mémoire traumatique. En effet, le cerveau protège la victime en stockant l’évènement traumatisant de cette manière. Pendant le trauma, il opère une dissociation traumatique. Cette dissociation permet de survivre aux violences en s’en dissociant. Ainsi, la victime peut après se sentir confuse. Elle n’est plus sûre de ce qu’il s’est passé et de comment ça s’est déroulé. Les détails des évènements sont flous. En outre, cette confusion est parfois même utilisée contre elle, lorsqu’elle dénonce les violences. Mais lorsqu’un stimulus quelconque réveille le trauma, la victime s’en souvient avec une grande vivacité. Il est alors important de la prendre en charge correctement pour l’aider à traverser le réveil de ses traumas.

Mais en plus de l’amnésie traumatique, plusieurs troubles peuvent se faire sentir. Survivre à l’inceste peut amener à certains troubles de concentration. Les victimes peuvent également éprouver des difficultés à bien dormir. Elles développent parfois des dépressions et des troubles anxieux. Mais aussi des comportements autodestructeurs, en réaction au trauma. Tous ces effets impactent grandement la vie des victimes.

L’inceste amène des répercussions psychologiques, mais aussi sociales.

Les effets sociaux

L’inceste est un crime sexuel. Cependant, il n’est pas que ça.

Jean-Luc Viaux explique qu’il s’agit aussi d’un crime généalogique. La famille suit une logique de filiation. Ainsi, taire l’inceste permet de faire perdurer cette logique (Viaux, 2022).

La violence de l’agression n’impacte pas cette filiation. Ce sont les brouillements des rôles et codes familiaux « classiques ».

Soigner les répercussions des agressions sexuelles, ne permet donc pas de soigner la lignée. Cela renvoie à ce que nous avons vu dans « Perspectives de guérison familiale ».

Au-delà des impacts sociaux au sens large, l’inceste impacte la vie sociale de la victime. Elle se met parfois en retrait et évite les interactions sociales. Il peut y avoir des difficultés dans les relations intimes.

De plus, les effets sociaux sont présents pendant les violences et ils persistent après. Et cela même quand le silence est rompu. La victime se voit stigmatisée. En effet, elle est jugée et blâmée injustement pour ce qui lui est arrivé. La peur de ce jugement peut empêcher les prises de paroles.

Enfin, quand l’inceste est dénoncé, la marginalisation survient et peut être vécue comme une double peine.

C’est alors nécessaire de souligner l’importance des espaces de parole dans lesquels les victimes peuvent être accueillies. Ces espaces de paroles peuvent être « organisés », mais il peut aussi s’agir de proches. Dans les deux cas, le fait de parler sans craindre la stigmatisation est essentiel.

L’agresseur.e protégé.e

Nous l’avons vu au long de cette étude, la société protège l’agresseur.e en dépit de la victime. La dissonance est si importante, que reconnaître le bourreau comme tel coute trop.

Dorothée Dussy, dans son livre, nous parle de cette banalisation de l’agresseur.e. Elle amène l’étude de Phillipe Bourgeois sur les revendeurs de crack Portoricain.e.s dans l’East Harlem. La société stigmatise l’acte, le viol, et banalise le/la violeur.se. C’est le même mécanisme dans l’inceste. Les relations du/de la violeur.se ne sont pas modifiées. Les comportements à son égard restent les mêmes. Nous observons une séparation entre l’acte et l’acteur.e.

Dorothée Dussy précise aussi que si les agresseur.e.s étaient tou.te.s marginalisé.e.s, plus personne de parlerait à personne. En effet, le nombre de viols et d’incestes est extrêmement élevé. Cela nous montre clairement que même si on ne les voit pas, il y a énormément d’agresseur.e.s. Mais même si les violeur.se.s doivent répondre de leurs actes, l’objectif n’est pas simplement de les punir. Le modèle patriarcal fait du mal aux femmes. Mais, sans dissoudre les responsabilités individuelles, il fait aussi des hommes des violeurs.

Idéalement, la société devrait opérer un travail de fond. Il faut déconstruire les dynamiques patriarcales. Cela implique une prise de conscience collective. Si nous comprenons les structures, nous pouvons nous attaquer aux racines du problème. Les rapports de pouvoir doivent cesser. 

Briser le silence par la réappropriation (guérir peut-être, prévenir surtout)

L’objectif de la sortie du silence est d’offrir une prévention efficace.

En effet, la voix des victimes qui veulent parler doit être mise en avant.

De plus, la réappropriation de leur histoire permet de sortir de la honte.

Mais le pouvoir ultime de ces récits, c’est le pouvoir de guérison collective. Les victimes qui parlent rendent visible la réalité de l’inceste.

Elles permettent alors de déstigmatiser les victimes, mais aussi de faire prendre conscience. Faire prendre conscience à d’autres qu’elles ont vécu un viol. Et faire prendre conscience au reste du monde que cela existe et que ce n’est pas un phénomène rare.

Les victimes, mais aussi la société, doivent se réapproprier le discours autour de l’inceste pour briser le silence.

Pour les victimes, briser le silence peut être une étape vers la guérison. Mais, ça peut aussi être un acte de résistance face aux dynamiques de pouvoir qui les ont réduites au silence. C’est une prise de contrôle, de déconstruction de la honte. Cela transforme la sortie du silence en un levier de prévention.

Pour la société, reconnaitre l’inceste et son ampleur permet de mettre en place des mécanismes de prévention. L’éducation à ce sujet est primordiale. En effet, nous ne connaissons pas l’inceste dans sa complexité.

Le silence est un cri qui malheureusement ne permet pas d’alerter. Cependant, la parole, une fois libérée, mais surtout crue et entendue, peut tenir ce rôle.

Ainsi, la réappropriation des récits d’inceste amène non seulement à une possible guérison, mais surtout à une prévention.

Quelques perspectives féministes

L’inceste est un sujet féministe. Les mouvements et impulsions féministes jouent un rôle important dans l’institutionnalisation de la lutte contre l’inceste.

En effet, dans les années 80, les militantes féministes ont permis l’émergence de la reconnaissance des viols d’enfants. Elles se rendent compte du problème et de son ampleur en s’intéressant au viol et en mettant en place des structures d’écoute et d’accueil. Et elles remarquent que les victimes sont souvent mineur.e.s et les agresseur.e.s souvent dans leur sphère familiale.

Là elles réalisent que le tabou et le silence font que la société abandonne les enfants et ne les protège pas. Elles diffusent ensuite leur prise de conscience au sein de la société pour mobiliser celle-ci.

Et elles ont le monopole jusqu’à ce que d’autres acteurs/actrices portent la question dans les années 90.

Les militantes féministes subissent alors une marginalisation. Pour elles, l’inceste est indissociable des autres formes de violences. Et ces violences sont l’expression de la violence patriarcale. Mais la rhétorique féministe est remise en question.

Pour l’idéologie dominante, elle est en contradiction avec la réalité des agressions sur mineur.e.s. A travers le fait que les victimes ne soient pas seulement des filles, et les agresseurs pas seulement des hommes. Mais c’est surtout le début d’une période de « backlash » du féminisme (Boussaguet, 2009).

Car dénoncer la violence patriarcale ce n’est pas dire que seuls les hommes agressent et seulement les femmes sont victimes. Le système patriarcal est responsable des violences même dans ces cas-là, comme nous l’expliquons dans la partie « Les femmes coupables d’inceste ». Il est donc important que les féministes portent le sujet, et qu’il continue d’être un objet de leur lutte.

Sortir de la complicité

Nous faisons preuve de beaucoup de contradiction lorsque nous traitons de l’inceste. Évidemment, nous sommes tou.te.s d’accord pour dire que les enfants victimes d’agressions sexuelles doivent être protégé.e.s. Cela parait improbable de dire ou penser le contraire. Mais comment les protéger de quelque chose que l’on ne veut pas voir ?

D’autant plus que ceux/celles qui parlent ne sont pas perçu.e.s comme de vraies victimes. Ce sont des menteur.euse.s, ou alors ils/elles sont manipulé.e.s, peut-être fous/folles, sûrement consentant.e.s… Nous nous arrangeons pour qu’il n’y ait personne à protéger, poussé.e.s par le déni.

Le déni, c’est faire comme si ça n’existait pas. Mais nous permettons alors à la chose d’exister en secret, et surtout en toute impunité.

Pour expliquer cela plus clairement, nous permettons à l’inceste d’exister. Nous permettons l’impunité des agresseur.euse.s. Et nous permettons la non-protection des victimes. Nous sommes complices.

Surtout que le déni ne veut pas dire que nous ne savons pas. Nous savons, et c’est parce que nous savons que nous n’entendons pas les plaintes.

Sortir de la complicité est important. Et le geste primordial pour cela est de croire la personne qui dénonce les violences. Rien que ça, croire la parole de la victime, permettrait d’agir en conséquence. Si la norme était de croire, beaucoup plus de victimes s’autoriseraient à dénoncer (Durand, 2024).

Des ressources et des programmes de soutien

Pour plaider pour une sortie du silence, il faut rappeler l’importance d’être accompagné.e. Lorsqu’un.e enfant subit des violences incestueuses, plusieurs structures de soutien existent. En premier lieu, des structures officielles existent.

Le service d’aide à la jeunesse (SAJ) est un service public qui prend en charge les enfants victimes de violence. Cependant, ce service privilégie la résolution de conflits par la médiation. Le but étant d’éviter d’entrer dans l’appareil juridique. Lorsqu’on parle d’inceste, la médiation ne nous semble pas être une solution viable.

Le service de protection de la jeunesse (SPJ) intervient quand le Tribunal de la Jeunesse entre en jeu. Ceci arrive par exemple quand une des parties refuse l’aide du SAJ, ou que celle-ci n’a pas fonctionné. Le SPJ permet de mettre en œuvre les potentielles décisions du Tribunal de la Jeunesse.

Ensuite, les victimes ont plusieurs droits si elles décident d’entrer dans une procédure judiciaire. Elles peuvent demander une assistance policière. Les victimes peuvent se rendre dans une maison de justice. Un service d’aide aux victimes existe également et peut fournir une aide psychosociale ou pratique, ainsi que des informations. Et enfin, elles peuvent se rendre dans des services d’aide juridique publics ou associatifs (comme l’ASBL Femmes de droit).

Mais, le plus important est de recevoir une réelle prise en charge au niveau de la santé mentale. Les séquelles sont profondes à la suite de violences sexuelles. Plusieurs traitements peuvent se révéler efficaces. Nous conseillons donc une forme de thérapie et de suivis.

Mais si un soutien par des professionnel.le.s est important, un soutien social aussi. Les proches ont un rôle important. De plus, il existe des groupes de soutien auxquels les victimes peuvent avoir accès.

Mise en garde contre la psychanalyse

Nous conseillons vivement un accompagnement psychologique pour toute victime de violence sexuelle. Il nous semble cependant pertinent de mettre en garde contre la psychanalyse.

De fait, les psychanalystes contribuent à légitimer l’inceste. Ils/elles se basent sur la théorie œdipienne de Freud. Elle dit que le « désir d’inceste », est un fantasme qui participe à constituer notre développement. Le/la jeune enfant est alors un être ressentant du désir sexuel pour son parent. D’où l’interdit de l’inceste.  

La psychanalyse est extrêmement sexiste et patriarcale. Dans cette discipline, la femme n’existe pas.

Mais nous remarquons aussi cela par la différenciation faite entre les filles et les garçons. Le développement du petit garçon se fait par l’évitement de l’inceste maternel. Le développement de la petite fille se fait simplement grâce au « désir d’inceste » paternel. Le père lui permet de devenir une femme (hétérosexuelle évidemment), en la détournant de son premier objet d’amour (la mère).

La psychanalyse responsabilise l’enfant victime d’inceste. C’est son « désir d’inceste » qui amène parfois à la transgression.

Et la gravité des conséquences psychiques est minimisée. Car si cet.te enfant parle de viol, c’est qu’il/elle ne l’a pas vécu. S’il/elle n’en parle pas, c’est que c’est un trauma enfoui. Seul l’inconscient détiendrait la vérité.

Enfin, la psychanalyse détermine que la féminité n’est que destruction de l’homme. La femme est jalouse de l’homme, du phallus qu’elle n’a pas.

Ce discours est d’autant plus dangereux, car il est utilisé dans les tribunaux. C’est cette logique psychanalytique qui peut amener à juger d’une aliénation parentale, que nous avons développée plus haut (Robert, 2011).

Conclusion

Le système patriarcal permet l’inceste

Pour conclure, nous dirons que le silence qui entoure l’inceste est plus qu’une simple omission. Il reflète le système de domination sur lequel notre société se calque.

En effet, nous héritons de ce silence. Le patriarcat nous le lègue à travers ses normes et valeurs. Il permet aux violences sexuelles de prospérer. En particulier l’inceste, qui se cache derrière les tabous. La famille devient alors un espace de violence, de culpabilité et de déni.

Les institutions maintiennent le système

Ensuite, les institutions maintiennent ce silence. Elles protègent les agresseur.e.s au lieu des victimes. Les mécanismes institutionnels permettent au statu quo de perdurer. Mais surtout, empêchent l’émergence de réponses et de solutions appropriées.

Les institutions ne sont pas complètement ignorantes, bien qu’elles manquent d’éducation sur le sujet.

C’est révélateur de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons collectivement, en tant que société. Ce déni, ce manque de compréhension et de réaction nous sont symptomatiques. Nous faisons preuve d’une certaine complicité, que nous rendons aussi silencieuse que l’inceste.

Les institutions jouent un rôle dans la perpétuation de l’ordre social. Elles ont donc les cartes en mains pour participer à le renverser.

La honte des victimes… doit changer de camp

Aussi, la honte pèse sur les victimes. Ainsi que la culpabilité, la peur, le trauma… Mais la honte doit changer de camp. La victime ne doit pas se retrouver doublement isolée.

La stigmatisation est un poids supplémentaire. Elle nourrit d’ailleurs le silence et l’invisibilisation. Nous devons offrir un cadre sécurisé et bienveillant aux victimes. Et non pas un cadre de culpabilisation et de responsabilisation.

La solution ? Sortir du silence !

Donc, sortir du silence est impératif. Notre façon d’appréhender et de traiter l’inceste dans sa globalité et dans sa complexité doit être revue.

Nous devons nous séparer du déni. Cela passe par une remise en question des structures de pouvoir patriarcales et des normes sociales. Ainsi que par une mise à jour, une réforme institutionnelle.

En effet, nous avons un rôle à jouer. Nous en jouons en fait déjà un. Pour qu’il soit bénéfique, nous pouvons commencer par faire preuve de vigilance.

Nous pouvons également nous éduquer et transmettre nos connaissances. Que ce soit sur l’inceste directement, mais aussi sur le pouvoir ou les rapports de genre.

À notre échelle : informons-nous, croyons les victimes, ne détournons pas le regard, mais, mettons en lumière. Créons un environnement bienveillant, dans une culture de l’écoute.

En ce sens, briser le silence est un acte de résistance face au système dominant. Mais c’est surtout une volonté d’aller vers une société plus juste. Ce n’est pas qu’une démarche individuelle pour les victimes. C’est un impératif sociétal.

Nicole Bitha Fionda

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