Intérêt supérieur de l'enfant

intérêt supérieur de l'enfant

Introduction

L’intérêt supérieur de l’enfant est une notion régulièrement employée par les législateurs, internationaux, européens et nationaux au sein des textes de défense des droits humains. Cette notion demeure jusqu’à aujourd’hui juridiquement indéfinie. Elle est, dans ce cadre, instrumentalisée pour servir les besoins des adultes.

Celle-ci s’avère tout de même bénéfique en ce qui concerne la consécration de certains droits aux enfants. Ces droits défendent l’intérêt de l’enfant dans toutes les décisions qui le concerne de près ou de loin au détriment des droits des adultes.

C’est par ailleurs ce qui est déclaré au sein de l’article 22bis de la constitution belge :

“Dans toute décision qui le concerne, l’intérêt de l’enfant est pris en considération de manière primordiale.”

C’est ainsi que le présent article a pour objectif de retracer le parcours historique de cette notion, mais aussi d’analyser son application mondiale, européenne et nationale.

Le courant historique de la protection des droits de l’enfant

I. La conférence de la Haye de 1902

L’enfant et sa reconnaissance en tant que sujet de droit et la prise en compte de ses intérêts a débuté lors de la conférence de la Haye en 1902 relative à la tutelle des mineurs.

Lors de cette conférence les Etats ont placé la notion “d’intérêt supérieur de l’enfant” au centre des négociations.

Définition du sujet de droit

Reconnaître un individu comme sujet de droit, permet de lui reconnaître des droits et des obligations.

II. La déclaration de Genève de 1924

La déclaration de Genève a été adoptée en 1924 par la Société des Nations Unies. Ce texte international est le premier écrit international des droits humains. Il se concentre sur l’affirmation des droits de l’enfant.

Ce texte admet la nécessité pour l’enfant de bénéficier de la protection de ses parents et des adultes qui l’entourent. Cependant, dans cette déclaration, la notion “d’intérêt supérieur de l’enfant” n’est pas explicitement distinguée.

“Par la présente Déclaration des droits de l’enfant, dite déclaration de Genève, les hommes et les femmes de toutes les nations reconnaissent que l’humanité doit donner à l’enfant ce qu’elle a de meilleur, affirmant leurs devoirs, en dehors de toute considération de race, de nationalité, de croyance.”

Préambule de la déclaration de Genève

III. La Déclaration des droits de l’enfant de 1959

L’Assemblée générale des Nations Unies adopte la Déclaration des droits de l’enfant en 1959. Elle est le premier accord international détenant un consensus quant à l’octroi de droits pour les enfants.

Cependant, même si les enfants disposent de droits, la majeure partie d’entre eux ne peuvent être exercés.

Cette déclaration des droits de l’enfant met tout de même en évidence à l’écrit la notion “d’intérêt supérieur de l’enfant”. Elle l’amène  ainsi à devenir une “considération déterminante” à l’existence d’une loi.

“ L’enfant doit bénéficier d’une protection spéciale et se voir accorder des possibilités et des facilités par l’effet de la loi et par d’autres moyens, afin d’être en mesure de se développer d’une façon saine et normale sur le plan physique, intellectuel, moral, spirituel et social, dans des conditions de liberté et de dignité. Dans l’adoption de lois à cette fin, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être la considération déterminante.”

Principe N°2 de la déclaration des droits de l’enfant

La consécration internationale du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant

La Convention relative aux droits de l’enfant de 1989

I. Objectif et définition de la Convention

La Convention de 1989 est l’acte international le plus complet en matière de droits de l’enfant. Elle affirme sur la scène internationale les droits sociaux et économiques des enfants. En outre, elle pointe la protection des enfants en difficulté, en situation de handicap ou précaires. Accordant un principe international d’égalité juridique de la situation des enfants dans le monde.

Définition de l’égalité juridique

Tout être humain doit être traité de la même façon devant la loi.

Cette convention repose sur quatres principes qui nécessitent des éléments de définition.

A) Le principe de non-discrimination

Les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour que l’enfant soit effectivement protégé contre toutes formes de discrimination ou de sanction motivées par la situation juridique, les activités, les opinions déclarées ou les convictions de ses parents, de ses représentants légaux ou des membres de sa famille.

Article 2, §2 de la Convention

Le principe de non discrimination précise que tous les enfants dans le monde bénéficient des mêmes droits, qu’importent les caractéristiques économiques, sociales, culturelles, physiques, morales, etc.

Cependant, ce principe de non-discrimination n’indique pas que tous les enfants dans le monde doivent être traités de la même manière.

On considère qu’il est parfois légitime de discriminer de façon positive un enfant dès lors que la situation d’un enfant le justifie. Ce mécanisme se nomme le principe de “discrimination positive”. Un traitement préférentiel peut être apporté à un enfant pour permettre d’atteindre un équilibre des chances.

B) Le principe de droit à la vie, à la survie et au développement

1. Les États parties reconnaissent que tout enfant a un droit inhérent à la vie.

2. Les États parties assurent dans toute la mesure possible la survie et le développement de l’enfant.

Article 6 de la Convention

Le droit à la vie

Le droit à la vie est prévu par l’article 6 de la Convention. Il implique que les enfants doivent bénéficier de conditions de vie économiques et sociales saines. Ce principe permet aux enfants d’accéder à une vie plus longue dans des conditions de vie qui leur permettent de pallier à de potentiels risques qui affecteraient leur santé physique, mentale, etc.

“Le droit à la vie ne devrait pas être interprété de manière étroite . Il s’agit du droit des personnes d’être à l’abri d’actes et d’omissions ayant pour but ou résultat escompté de causer une mort non naturelle ou prématurée, et de jouir d’une vie digne”

Rapport du comité des droits de l’enfant en 2017

Le Comité des droits de l’enfant en 2017 rappelle la nécessité que les États mettent en place des moyens et des structures pour permettre ce droit à la vie.

Le Comité considère, notamment dans le cadre des enfants à la rue, qu’il est nécessaire que les États mettent en place des actions qui prennent en compte la situation socio-économique de ces enfants.

Ainsi, ces actions doivent être influencées par les conditions de vie des enfants, qui ne sont pas similaires à celles rencontrées dans la vie d’un enfant qui provient d’un milieu socio-économique élevé ou de classe moyenne.

Les enfants à la rue ont davantage de risques d’avoir recours à la criminalité afin de subvenir à leurs besoins. Le manque de soutien des Etats augmente ce risque.

Le droit à la survie et au développement

“Assurer la survie et protéger la santé publique sont certes des priorités, mais les États parties doivent garder à l’esprit que l’article 6 englobe tous les aspects du développement et que la santé et le bien-être psychosocial du jeune enfant sont interdépendants à maints égards. L’une et l’autre peuvent être compromises par des conditions de vie difficiles, la négligence, l’indifférence, les mauvais traitements et des possibilités limitées d’épanouissement.”

Rapport du comité des droits de l’enfant en 2006

La préservation des droits de l’enfant ne se limite pas à l’octroi de condition saines, stables et égalitaires avant ou pendant la naissance d’un enfant. En effet, il ne s’agit pas seulement de permettre à l’enfant de naître dans des conditions assurant la préservation de sa vie pendant une courte durée.
Le droit à la survie et au développement reconnu à l’enfant doivent permettre à celui-ci de vivre malgré les risques sanitaires, sociaux, économiques habituels.

En outre, un enfant doit pouvoir bénéficier d’une sécurité sociale pour se soigner tout le long de sa vie. Il doit aussi pouvoir avoir accès à l’éducation.

C) Le respect de l’opinion de l’enfant

1. Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.
2. À cette fin, on donnera notamment à l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’un organisme approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale.

Article 12 de la Convention

L’opinion des enfants doit être prise en compte par leurs parents mais aussi par les différentes institutions. Dans ce cadre, l’opinion des enfants est notamment prise en compte en cas de séparation des parents. C’est une affirmation qui est limitée au discernement de l’enfant.

La notion de discernement de l’enfant “est considérée en théorie comme déterminant la possibilité de tenir compte de sa volonté, que ce soit pour effectuer des choix, donner son opinion sur les questions qui le concernent, ou pour assumer des responsabilités” (Françoise Dekeuwer-Défossez – L’instrumentalisation du discernement de l’enfant).

Cependant, cette même juriste a démontré que cette notion de discernement est souvent instrumentalisée pour déterminer la responsabilité pénale d’un.e mineur.e.

En revanche, elle est très rarement utilisée dans l’intérêt de l’enfant et dans la prise en compte de son opinion.

D) L’intérêt supérieur de l’enfant

Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.

Article 3, § 1 de la Convention

La prise en compte de l’intérêt de l’enfant est donc reconnue par la Convention de 1989. Cependant, le texte conventionnel ne précise pas la définition de la notion d’intérêt supérieur de l’enfant. Le Comité des droits de l’enfant ne donne pas non plus de définition de cette notion.

“L’intérêt de l’enfant fait figure de « formule magique »”

Jean Carbonnier, Droit civil, 21ème éd., Tome 2, La famille.

Jean Carbonnier distingue le fait que “l’intérêt de l’enfant” est une notion bien souvent instrumentalisée grâce à son manque de définition par la loi. Cette notion est employée sans réel fondement normatif. Il faut donc, pour la définir, se baser sur les écrits doctrinaux et parfois la jurisprudence.

Nous reviendrons sur ce point dans une prochaine partie.

II. Le complément de la convention de 1989, par les protocoles facultatifs

1) Protocole facultatif concernant l’implication des enfants dans les conflits armés de 2000

1. Les États parties s’engagent à respecter et à faire respecter les règles du droit humanitaire international qui leur sont applicables en cas de conflit armé et dont la protection s’étend aux enfants.
2. Les États parties prennent toutes les mesures possibles dans la pratique pour veiller à ce que les personnes n’ayant pas atteint l’âge de 15 ans ne participent pas directement aux hostilités.
3. Les États parties s’abstiennent d’enrôler dans leurs forces armées toute personne n’ayant pas atteint l’âge de 15 ans. Lorsqu’ils incorporent des personnes de plus de 15 ans mais de moins de 18 ans, les États parties s’efforcent d’enrôler en priorité les plus âgés.
4. Conformément à l’obligation qui leur incombe en vertu du droit humanitaire international de protéger la population civile en cas de conflit armé, les États parties prennent toutes les mesures possibles dans la pratique pour que les enfants qui sont touchés par un conflit armé bénéficient d’une protection et de soins.

Article 38 de la Convention

L’article 38 de la Convention limite le recrutement d’enfants en temps de conflit armé. Seul.e.s les enfants âgé.e.s de 15 ans et plus peuvent être recruté.e.s par les armées, selon la Convention.

Cependant, il n’existait aucune norme qui prohibait le recrutement d’enfant. C’est dans ce contexte que le protocole facultatif concernant l’implication des enfants dans les conflits armés a été rattaché à la Convention de 1989.

Ce protocole comble les lacunes de la Convention de 1989, suite à l’utilisation massive des enfants dans les guerres civiles des années 90 dans la région d’Afrique subsaharienne. L’image choc d’enfant soldat, avec, en leurs mains, des armes militaires, a particulièrement influencé l’opinion publique. Cela a été source d’une prise de conscience législative internationale.

2) Protocole facultatif concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, 2000

“a) On entend par vente d’enfants tout acte ou toute transaction en vertu desquels un enfant est remis par toute personne ou de tout groupe de personnes à une autre personne ou un autre groupe contre rémunération ou tout autre avantage;
b) On entend par prostitution des enfants le fait d’utiliser un enfant aux fins d’activités sexuelles contre rémunération ou toute autre forme d’avantage;
c) On entend par pornographie mettant en scène des enfants toute représentation, par quelque moyen que ce soit, d’un enfant s’adonnant à des activités sexuelles explicites, réelles ou simulées, ou toute représentation des organes sexuels d’un enfant, à des fins principalement sexuelles.”

Article 2 du protocole

Ce protocole est le premier instrument juridique international contraignant en matière de prostitution d’enfant.

Dans ce cadre, les Etats se doivent de mettre en place des peines lourdes à l’égard des personnes incitant ou organisant la prostitution des enfants. Les États ont ainsi le devoir de condamner les auteur.e.s de ces crimes. Et enfin, ils doivent organiser l’aide aux enfants victimes de prostitution, afin de leur permettre de retrouver une vie normale et saine.

3) Protocole facultatif établissant une procédure de présentation de communications, 2011

Avant 2011, la Convention internationale des droits de l’enfant était le seul instrument juridique international des droits humains qui ne disposait pas de mécanisme de plainte individuelle. Ainsi, les citoyens des États signataires à la Convention ne pouvaient pas dénoncer le non-respect de la Convention par un État. La convention n’avait donc pas véritablement une force exécutoire au sein des États parties.

Ce protocole permet à un enfant de déposer une plainte auprès du Comité des droits de l’enfant, lorsqu’un État ne respecte pas ses droits reconnus dans la convention de 1989.

Il existe tout de même des conditions pour que l’enfant puisse effectuer une telle procédure :
➔ Dans un premier temps, il est nécessaire que l’enfant ou ses représentants n’aient pas obtenu gain de cause devant la juridiction nationale de l’État concerné.
➔ Ensuite, la plainte, devant le comité, doit être déposée dans un délai d’un an après l’échec de la procédure devant la juridiction nationale.
➔ Il est nécessaire que la plainte soit nominative, précise et ne constitue pas un abus de droit.
➔ Enfin, la plainte doit être écrite.

Définition abus de droit

L’abus de droit est un usage excessif du droit, qui va au-delà de ses limites.

III. Le rôle du comité des droits de l’enfant

1. Aux fins d’examiner les progrès accomplis par les États parties dans l’exécution des obligations contractées par eux en vertu de la présente Convention, il est institué un Comité des droits de l’enfant qui s’acquitte des fonctions définies ci-après.

Article 43, §1 de la Convention

Le Comité des droits de l’enfant est un mécanisme de contrôle de la Convention de 1989. Il vérifie la mise en œuvre des dispositions de la convention et des protocoles par les États.

Les États doivent fournir des rapports (tous les 5 ans) au Comité des droits de l’enfant afin de justifier de la bonne application de la Convention en droit interne.

Aussi, ce Comité effectue son contrôle dans le cadre de plaintes déposées par des enfants ou leurs représentants légaux.

Il est important de comprendre que le Comité des enfants ne peut pas véritablement imposer la bonne application de la Convention au sein des États signataires. Le Comité peut émettre des avis. Mais ceux-ci ne sanctionnent pas les États qui n’ont pas appliqué la Convention.

Cependant, la Cour européenne des droits humains ainsi que la Cour de justice de l’Union européenne s’inspirent des avis rendus par le Comité.

Ainsi, les décisions rendues par ces deux instances, sont influencées par les valeurs et principes défendus dans les avis.

Les États sont obligés d’appliquer et de prendre en compte les jugements de ces deux institutions.

Ainsi, les avis consultatifs rendus par le Comité sont appliqués à travers les décisions de justice des grandes Cours.

IV. Une efficacité relative de la convention international des droits de l’enfant

La Convention internationale des droits de l’enfant est un acte international élaboré par les pays occidentaux. Cet acte « universel », à destination mondiale, a été élaboré par une partie restreinte des Etats du monde. C’est un acte idéaliste et universel pensé par des auteurs méconnaissant les différences culturelles, économiques, sociales et de développement entre les États du monde.

Cette Convention internationale pose problème puisqu’elle nie les différences entre les États.

Selon une vision idéaliste on pourrait penser que les droits de l’enfant seraient appliqués indépendamment des différences culturelles entre les États. La vision pragmatique, celle que nous défendons, distingue que la vision utopiste des auteurs de cette convention ne peut être effective.

1) Une détermination de l’enfance limitée

Une première limite à cette Convention est celle de la détermination de la notion de “l’enfance”. L’article premier de la Convention internationale des droits de l’enfant ne définit pas réellement l’âge limite de l’enfance.

Au sens de la présente convention, un enfant s’entend de tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt, en vertu de la législation qui lui est applicable.

Article 1

Une marge de manœuvre est donc possible pour les Etats. Certains individus vont être considérés comme adultes bien plus tôt que dans les normes occidentales. Notamment en Iran, les individu.e.s âgé.e.s de 15 ans sont considéré.e.s comme adultes.

Au-delà de la notion de majorité, il existe aussi des nuances quant à la protection des enfants en fonction de leur âge. En Iran par exemple, il est commun que des petites filles de 9 ans soient mariées alors qu’en France ou en Belgique, l’âge requis est de 18 ans.

Cette latitude octroyée aux Etats par la Convention entraîne des différences notables quant à l’appréciation de l’enfance dans les pays du monde.

Le Comité des droits de l’enfant a d’ailleurs déploré ce manquement dans un rapport du 4 février 2016.

2) Inaction des états

Tous les Etats du monde n’ont pas ratifié la Convention. Nombreux sont les Etats qui ont émis des réserves quant à certaines dispositions de la Convention. D’autres États n’appliquent pas la Convention par manque de moyens ou par l’échec de leurs institutions.

La discrimination socio-économique n’échappe pas à la condition des enfants dans le monde. Les différences de traitement des enfants dans le respect de leurs droits sont dictés par les différentes classes sociales dans le monde occidental.

Mais aussi et surtout, les discriminations à l’égard des enfants sont béantes dès lors que l’on se réfère aux pays en développement. Cette Convention s’applique indifféremment du contexte socio-économique dans lequel sont plongées les familles ou bien même les États signataires de la présente convention.

Le Comité des droits de l’enfant a soulevé en 2017 la problématique des enfants à la rue. Ces enfants sont victimes de discriminations, de l’inaction des États et de leurs institutions. Le Comité a dénoncé la défaillance des institutions étatiques de la protection de l’enfance.

“Ces inégalités sont accentuées par la pauvreté matérielle, l’insuffisance de la protection sociale, l’inadéquation des investissements, la corruption et l’adoption de politiques budgétaires (fiscalité et dépenses) qui limitent ou réduisent à néant la capacité qu’ont les plus démunis de sortir de la pauvreté.”

3) Défaillance du mécanisme de contrôle de l’application de la convention

Le Comité des droits de l’enfant fonctionne selon le principe de “Soft Law”. Cela signifie qu’il rend des avis qui ne possèdent pas véritablement de force exécutoire. Il dénonce simplement l’inapplication d’une disposition de la Convention, sans pour autant obliger les États à la respecter.

Les Cours internationales et européennes des droits humains compensent ce point. Cependant, leurs décisions ne sont pas toujours mises en œuvre par les États. La force contraignante de ces décisions est relative.

Le protocole N°3 de la Convention établit une procédure de présentation de communications. Elle est aussi source de défaillance. La possibilité d’introduire une plainte collective n’a pas été retenue. Cette ouverture aux plaintes collectives aurait permis aux ONG par exemple, de déposer une plainte à l’encontre d’un Etat en cas de transgression des droits de l’enfant.

4) Problématique de la définition de la notion d’intérêt supérieur de l’enfant

“Selon la formule, devenue célèbre, du doyen Carbonnier, l’intérêt de l’enfant fait figure de « formule magique »  ,… au sein du droit de la famille, et de manière plus générale, serions-nous tenté d’ajouter, au sein de l’ordre juridique tout entier , notion aussi insaisissable qu’auréolée du prestige associé à la protection de l’enfance.”

Thomas Dumortier Journal du droit des jeunes

Comme précisé précédemment, le doyen Carbonnier a distingué la complexité de cette notion. Pourtant celle-ci est bien présente dans la Convention internationale des droits de l’enfant sans véritable définition. Elle a été appréciée tout le long des évolutions historiques des droits de l’enfant, sans pour autant avoir une définition normative.

L’intérêt de l’enfant a été instrumentalisé pour permettre une évolution bénéfique des droits des mineur.e.s. Mais dans ce même temps, ce flou bénéfique à l’évolution de ses droits est aussi destructeur pour l’enfant.

C’est une notion instrumentalisée pour servir des intérêts autres que ceux des enfants. Les intérêts des parents, les intérêts des institutions sont défendus grâce à cette notion dénaturée de son objectif.

“L’intérêt supérieur de l’enfant est un instrument juridique qui vise à assurer le bien-être de l’enfant sur les plans physique, psychique et social. Il fonde une obligation des instances et organisations publiques ou privées d’examiner si ce critère est rempli au moment où une décision doit être prise à l’égard d’un enfant et il représente une garantie pour l’enfant que son intérêt à long terme sera pris en compte. Il doit servir d’unité de mesure lorsque plusieurs intérêts entrent en concurrence”

Jean Zermatten

Les juristes et auteurs/autrices ont essayé de déterminer de nombreuses fois la définition de l’intérêt de l’enfant. Nous retenons ici la définition donnée par Jean Zermatten, juriste suisse.

L’instrumentalisation de l’intérêt de l’enfant

En bref, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) est une institution qui contrôle l’application uniforme des réglementations européennes.

La CJUE est composée de deux organes :
➔ La Cour de justice : qui traite des demandes préjudicielles introduites par les institutions étatiques.
➔ Le Tribunal : qui agit dans le cadre de recours en annulation effectué par les particuliers.

Définition de la question Préjudicielle

C’est une question formée par un Etat auprès de la Cour de justice de l’Union européenne, dans le but d’interroger un point de droit européen ou bien de contrôler la validité de celui-ci.

La CJUE peut rendre des décisions seulement dans le cadre des compétences de l’Union européenne.

C’est dans ce contexte qu’elle a rendu l’arrêt du 11 mars 2021 intitulé “M.A”. Cet arrêt traite des thématiques de l’expulsion de personnes non-citoyennes européennes et de l’intérêt de l’enfant.

I. Des sources européennes reconnaissant l’intérêt supérieur de l’enfant

Dans un souci de compréhension de la solution rendue par la CJUE, il est nécessaire d’avoir en tête les normes de droit applicables. Celles internationales mais aussi celles européennes.

A. La directive 2008/115/ CE
Définition de la directive

La directive est un acte législatif qui fixe des objectifs à atteindre auprès des États membres de l’union européenne. Cependant, les États membres ont une grande liberté de mise en œuvre. Ils doivent simplement respecter les objectifs et le “délai de transposition” sans obligation de moyen.

1) Aspect général de la directive retour de 2008

La directive “retour” est établie en 2008, par une procédure de codécision entre le parlement et le conseil européen. Cette directive vise à harmoniser les législations nationales au sujet de l’organisation de la fin d’un séjour irrégulier d’une personne non citoyenne de l’union européenne.

Définition du séjour irrégulier

“Le « séjour irrégulier » est défini comme la présence sur le territoire d’un Etat membre d’une personne qui ne satisfait pas ou plus aux conditions d’entrée sur le territoire prévues par le code frontière Schengen ou à d’autres conditions d’entrée, de séjour ou de résidence fixées par l’Etat membre concerné.”

La « directive retour », l’Union européenne contre les étrangers – Karine Parrot – Carlo Santulli.

Les États ont l’obligation de prononcer une décision de retour contenant ou non une précision quant au délai auquel le ressortissant devra quitter le territoire. Lorsque le ressortissant ne respecte pas le délai ou n’exécute pas cette décision, l’État doit procéder à son départ français du territoire. Dès lors que l’Etat a procédé à l’exécution forcée de la décision de retour, celle-ci est complétée par une interdiction d’entrée sur le territoire européen.

2) La directive retour et la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant

Les auteurs/autrices de cette directive ont rappelé l’attachement de l’Union européenne à la prise en compte de l’intérêt de l’enfant. Notamment dans le cadre de la procédure applicable au retour d’un ressortissant en situation irrégulière.

C’est ainsi que l’intérêt supérieur de l’enfant et le principe de respect de la vie familiale sont précisés dans les considérants de la directive. Cela pose ainsi les bases d’application des normes et des procédures dans le respect de ces principes par les États membres de l’union européenne.

“Conformément à la convention des Nations unies de 1989 relative aux droits de l’enfant, l’«intérêt supérieur de l’enfant» devrait constituer une considération primordiale pour les États membres lorsqu’ils mettent en œuvre la présente directive. Conformément à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le respect de la vie familiale devrait constituer une considération primordiale pour les États membres lorsqu’ils mettent en œuvre la présente directive.”

Considérant 22 de la Directive

L’article 5 et 7 de la Directive indique que les États doivent prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant dès lors qu’ils mettent en œuvre la Directive. Ainsi, ils doivent mettre en place des dispositifs permettant de combiner l’intérêt supérieur de l’enfant et la sortie d’un ressortissant non citoyen européen du territoire de l’État.

B. Charte des droits fondamentaux de l’union européenne

La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne a été proclamée en 2000. Le traité de Lisbonne en 2009 est à l’origine de la force contraignante de cette charte. Les États membres de l’union européenne doivent prendre en compte les principes de la charte lorsqu’ils mettent en œuvre le droit européen.

Cette charte est donc la source de droits sociaux, économiques, politiques, civils et personnels. Ces droits sont ainsi défendus par l’Union européenne et ses institutions. Elle accorde aussi un intérêt pour la protection des enfants.

En effet, l’article 24 de la charte reconnaît à l’enfant un droit à la protection de ses parents. Mais aussi, cet article oblige la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant lorsque des actes privés ou publics sont élaborés par les États ou leurs institutions.

2. Dans tous les actes relatifs aux enfants, qu’ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.

Article 24 § 2 de la charte

II. L’intérêt supérieur de l’enfant, instrument pour remettre en cause la décision de l’état belge

A. Une question d’interprétation du droit européen posée à la Cour de justice de l’union européenne

Le Conseil d’Etat de Belgique a introduit une question préjudicielle à l’égard de la CJUE le 6 février 2020.

Cette procédure est permise par l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’union européenne (TFUE).

“La Cour de justice de l’Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel:
a) sur l’interprétation des traités,
b) sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l’Union.
Lorsqu’une telle question est soulevée devant une juridiction d’un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu’une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question.
Lorsqu’une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour.
Si une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale concernant une personne détenue, la Cour statue dans les plus brefs délais.”

Voici la question posée par le Conseil d’Etat :

« L’article 5 de la directive 2008/115, qui impose aux États membres, lors de la mise en œuvre de cette directive, de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, combiné avec l’article 13 de la même directive et les articles 24 et 47 de la [Charte], [doit]-il être [interprété] comme exigeant de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, citoyen de l’Union, même lorsque la décision de retour est prise à l’égard du seul parent de l’enfant ? »

La CJUE a rendu un arrêt en date du 11 mars 2021 pour répondre à la question de droit posée par le Conseil d’Etat de Belgique.

B. Une obligation de quitter le territoire pour Monsieur A

Dans l’affaire présentée à la CJUE, la Belgique émet un ordre d’expulsion et une interdiction d’entrée sur le territoire, à l’encontre d’un homme non citoyen de l’union européenne.

L’Etat indique, pour justifier cet ordre d’expulsion, l’application de la directive “retour”. Le ressortissant ne respecte plus les conditions requises pour être présent sur le territoire belge. Et notamment parce qu’il a commis des infractions sur le territoire belge.

Le règlement du 15 mars 2006 établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) donne les conditions dans lesquelles un ressortissant d’un pays tiers à l’union européenne peut séjourner sur le territoire européen.

“Pour un séjour n’excédant pas trois mois sur une période de six mois, les conditions d’entrée pour les ressortissants de pays tiers sont les suivantes: (…) ne pas être considéré comme constituant une menace pour l’ordre public, la sécurité intérieure, la santé publique ou les relations internationales de l’un des États membres et, en particulier, ne pas avoir fait l’objet d’un signalement aux fins de non-admission dans les bases de données nationales des États membres pour ces mêmes motifs.”

L’article 5, § 1 du Code frontières Schengen

Lorsqu’un citoyen non européen est une menace pour l’ordre public d’un État, comme il est distingué dans le code frontières Schengen, il ne peut pas séjourner au sein d’un État membre de l’union européenne. Il peut se voir opposer un ordre d’expulsion et une interdiction d’entrée sur le territoire.

C. Une obligation limitée sous l’égide de l’intérêt supérieur de l’enfant

L’homme soumis à un ordre d’expulsion du territoire belge est le parent d’une enfant de nationalité belge. Cet enfant a donc la nationalité européenne. Un point particulier de cette affaire : le parent soulève le principe de la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant alors même que l’enfant n’est pas concerné par la procédure.

1) La prise en compte de l’intérêt de l’enfant dans les mesures d’expulsion

La prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant avait déjà été soulevée par la CJUE dans un arrêt du 8 mai 2018 intitulé “K.A”, dans le cadre de la directive “retour”. Cependant, la procédure d’expulsion était dirigée à l’égard du mineur, lui-même.

La CJUE devait déterminer si l’article 5 de la directive permettait au représentant légal de rester en Belgique malgré la procédure d’expulsion à son encontre.

L’observation générale N°14 de 2013 du comité des droits de l’enfant indique que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. Ainsi, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être pris en compte, dès lors qu’une situation touche de près ou de loin un enfant.

2) Instrumentalisation de l’intérêt de l’enfant pour permettre au parent défaillant de demeurer sur le territoire européen

C’est en se justifiant avec cette notion d’intérêt supérieur de l’enfant et celle du respect de la vie familiale que la CJUE a admis le principe suivant : “les États membres sont tenus de prendre dûment en compte l’intérêt supérieur de l’enfant avant d’adopter une décision de retour, assortie d’une interdiction d’entrée, même lorsque le destinataire de cette décision est non pas un mineur, mais le père de celui-ci.”

En outre, la CJUE a retenu la notion d’intérêt supérieur de l’enfant comme levier pour procéder ou non à une mesure d’expulsion ou d’interdiction d’entrée sur le territoire. Même lorsque l’enfant lui même n’est pas concerné par l’expulsion.

Sans prendre en compte, notamment, un trouble à l’ordre public créé par le comportement infractionnel d’un parent.

D. Pour conclure

L’arrêt de la CJUE en date du 11 mars 2021 est une illustration parfaite du manque de délimitation de la notion “d’intérêt supérieur de l’enfant”.

Cette notion a été étendue, instrumentalisée, dans cet arrêt pour permettre aux parents de citoyens européens d’invoquer leur parentalité pour demeurer sur le territoire.

Cela permet, notamment, à un homme, considéré comme trouble à l’ordre public, de rester sur le territoire européen grâce à sa qualité de parent de citoyen européen.

1) Nécessité de prendre en compte cet élément de trouble à l’ordre public

La jurisprudence de la CJUE a pourtant précisé des caractéristiques essentielles pour déterminer une menace d’ordre public. Notamment l’arrêt “k” en date du 2 mai 2018, précise que le motif d’ordre public peut être invoqué dès lors qu’il existe une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental pour la société.

Ainsi, l’homme concerné par l’affaire, est donc considéré par l’État Belge comme une menace d’ordre public. Nous pouvons difficilement croire, au regard des critères apportés par la jurisprudence européenne, que l’homme a commis une simple infraction pour se voir opposer une mesure d’expulsion.

2) Est-il dans l’intérêt supérieur de l’enfant qu’un père, menace à l’ordre public, demeure dans l’État belge ?

L’existence de l’enfant permet à son père de demeurer dans un Etat dans lequel il est considéré comme menace. Nous ne pouvons pas, avec certitude, démontrer que l’État belge avait des fondements suffisants pour déterminer que l’homme constitué, par son action, un trouble à l’ordre public.

Mais au regard de la jurisprudence précédemment citée, il reste une incertitude quant au caractère grave que représente les agissements du père.

3) Dans le cas où le père est responsable d’une infraction grave est-il véritablement légitime a utilisé son enfant pour s’en sortir ?

Le droit européen prône un système merveilleux de libre circulation des personnes.

Un système qui permet, il est vrai, aux familles de se regrouper et de vivre une vie familiale stable et heureuse.

Mais, avec cet arrêt de la CJUE, on constate une dérive de ce cadre juridique merveilleux. L’intérêt supérieur de l’enfant mérite d’être défini et limité afin de ne pas desservir sa cause. Il est de l’intérêt de l’enfant de grandir avec ses deux parents, dans des conditions de vie qui permette son développement. Mais, il est très certainement obscur d’étendre cet intérêt pour un père ayant un comportement infractionnel.

Nous terminerons par citer l’analyse de juristes français : Monsieur Philippe Malaurie et Hugues Fulchiron, dans leur ouvrage “droit de la famille”. Ces juristes déterminent que l’intérêt supérieur de l’enfant est “une construction hypocrite ou tout au moins biaisée : il est l’intérêt d’un adulte” .

Océane Kerisit

Références juridiques

  • Déclaration de Genève – 1924
  • Convention internationale des Droits de l’enfant – CIDE

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