Manipulation ou aliénation parentale ?

Aliénation parentale

Aujourd’hui, il suffit de taper sur google “manipulation parentale” pour tomber sur une flopée de pages associant la manipulation à l’aliénation parentale. Or, nous verrons ici en quoi ces termes ne sont absolument pas synonymes.

1. L’aliénation parentale, un infondé scientifique

Tout d’abord, il s’agira dans un premier temps de démontrer les origines du pseudo-syndrome d’aliénation parentale (SAP), pour expliquer son infondé scientifique. Qu’il s’agisse du SAP, du Syndrome de Münchhausen par procuration, du Syndrome de Médée, etc. (tous sans fondements scientifiques), le but est toujours le même : discréditer le témoignage d’une mère dénonçant les violences du père sur les enfants.

A. Les origines de l’invention du SAP

Le syndrome d’aliénation parentale a été inventé dans les années 80 par Richard Gardner. Selon lui, les femmes seraient programmées pour protéger leurs enfants. En effet, elles se méfieraient des hommes qui les entourent et de leur agressivité.

La crainte du père agresseur se transmettrait de mères en filles. Elle irait même jusqu’à se fixer dans leurs cerveaux. Il affirme que cette empreinte cérébrale peut amener les filles à croire qu’elles ont été agressées. Et donc à dénoncer faussement leur père.

Tout en qualifiant ce phénomène d’hystérie, les risques de fausses allégations augmenteraient selon lui dans les cas où une thérapeute spécialisée dans les violences sexuelles sur enfants serait impliquée. Ce risque serait surtout dû au fait que les thérapeutes croient systématiquement les enfants qui dévoilent une agression commise par leur père.

R.A. GARDNER, « A theory about the variety of human sexual behavior », in Psychotherapy with Sex-Abuse Victims: True, False, and Hysterical, 1996

“An element operative in the development of this induced delusion is the ECBP. The more the notion of sex abuse spins around in the mother’s brain, the more deeply it becomes entrenched in the brain circuitry, and the more likely it is to become a fixed belief. The child too may develop the same delusion, especially after years of « therapy, » the purpose of which is to encourage ongoing hostility toward the alleged perpetrator (hitting dolls, drawing pictures of him in jail, etc.) and extracting ever more details about the abuses. Ultimately, a folie-à-deux is produced in which both the mother and the child have developed a delusion that may persist throughout life, so powerful is the ECBP.”

Gardner explique qu’en situation de séparation ou de divorce, il n’est pas rare que les parents se critiquent. Lorsque l’un des parents critique l’autre parent devant son enfant, et que celui-ci en vient à croire la dénonciation du parent, le processus d’AP (aliénation parentale) débute.

Le SAP est quant à lui plus précis. En effet, il renvoie non seulement au processus d’endoctrinement du parent, mais aussi à la contribution de l’enfant à la campagne de dénonciation. Lorsqu’un enfant dit du mal de ses parents, et à plus forte raison (selon Gardner) lorsqu’un enfant dénonce les violences de son père, celui-ci avance qu’il est fort probable que l’enfant souffre d’un SAP, conséquence de sa mère aliénante.

Gardner, 1985

“In this new disorder, I not only saw programming (« brainwashing ») of the child by one parent to denigrate the other, but also self-created contributions by the child in support of the alienating parent’s campaign of denigration against the alienated parent. Because of the child’s contribution I did not consider the terms brainwashing, programming, or other equivalent words to be suf icient. Furthermore, I observed a cluster of symptoms that typically appear together, a cluster that warranted the designation syndrome. Accordingly, I introduced the term parental alienation syndrome to encompass the combination of these two factors that contributed to the development of the syndrome.”

En cohérence avec son analyse de l’hystérie des mères, il soutient que le SAP peut prendre la forme de fausses allégations d’agressions sexuelles. En outre, il prétend que 90% des enfants qui dénoncent une agression souffrent d’un SAP. Ces fausses allégations seraient le produit de la vengeance des mères contre les pères.

R.A. GARDNER, « Parental alienation syndrome (PAS): sixteen years later », The American Academy of Psychoanalysis, 2001

« In the early 1980s, when I first observed the PAS, mothers were the alienating parent in about 90% of the cases. »

Il avance également : “au milieu des années 1980, j’ai commencé à observer un nouveau phénomène, à savoir des accusations d’abus sexuels par des enfants SAP qui avaient de fortes chances d’être fausses. C’était surtout le cas si l’accusation apparaissait après la séparation et après l’échec des autres manœuvres d’exclusion du SAP. La plupart des accusations étaient dirigées contre les pères par les mères. […] Il y a beaucoup de choses dans ces accusations qui me font douter de leur validité. Certaines d’entre elles sont manifestement grotesques, voire impossibles. […] Croire ces enfants, c’est croire qu’un père, dans la trentaine ou la quarantaine, a changé d’orientation sexuelle, passant de l’hétérosexualité à la pédophilie.”

R.A. GARDNER, « Parental alienation syndrome (PAS): sixteen years later », The American Academy of Psychoanalysis, 2001

“In the mid-1980’s I began seeing a new phenomenon, namely, sex-abuse accusations by PAS children that were highly likely to be false. This was especially the case if the accusation emerged after the separation and after the failure of other PAS exclusionary maneuvers. Most of the accusations were directed at fathers by mothers. […] There are many things about these accusations that cause me to be very dubious about their validity. Some of them are patently preposterous, even impossible. There is often significant variation from one rendition to the next. Many include borrowed-scenario elements, taken directly from the programming parent. To believe these children is to believe that a father, in his 30s or 40s, switched his sexual orientation from straight heterosexual to pedophilia.”

B. Pourquoi le SAP n’est-il pas reconnu par la Communauté scientifique ?

Jennifer Hoult est une avocate américaine (Jennifer Hoult, « The Evidentiary Admissibility of Parental Alienation Syndrome: Science, Law, and Policy », Children’s Legal Rights Journal, vol. 26, no 1, 2006). Elle a minutieusement analysé les fondements et “mécanismes” du SAP. Cette analyse est pertinente lorsqu’il s’agit de comprendre pourquoi le SAP n’est pas reconnu par la communauté scientifique et pourquoi de nombreuses recommandations internationales conseillent les pays de ne pas y avoir recours.

L’étude des causes du SAP est juridique, non médicale

Gardner a affirmé que la cause du SAP était la programmation maternelle découlant des lois qui menacent de retirer les enfants à leur mère. (Gardner, Judges Interviewing Children In Custody/Visitation Litigation, VII(2) N.J.Fam. Law, 26ff, 9 (1987)).

Gardner a affirmé, sans preuves, que les processus juridiques provoquent le SAP et rendent les mères et les enfants psychopathiques. Le droit de la défense intensifierait donc selon lui la psychopathologie en général. (Richard A. Gardner, « Does DSM-IV Have Equivalents for the Parental Alienation Syndrome (PAS) Diagnosis? », American Journal of Family Therapy, 31(1):1-21).

Ainsi, les causes du SAP sont analysées selon Gardner en fonction des lois et non de symptômes médicaux. Cependant, comme le rappelle Jennifer Hoult, il n’a fourni aucune preuve que les lois ou les litiges peuvent causer ou causent une pathologie médicale. Ni aucune preuve que les femmes et les enfants deviennent psychotiques à cause du principe du contradictoire. Il est donc difficile, face à ce constat, de considérer le SAP comme un
véritable syndrome.

N.B. : Le principe du contradictoire, ou droit de la défense, garantit aux parties qu’elles ne seront pas jugées sans avoir été entendues. C’est un des principes les plus importants du droit.

Le diagnostic du SAP est basé sur les symptômes d’une tierce partie.

Jennifer Hoult affirme également qu’une pathologie médicale est correctement diagnostiquée en observant les symptômes de mauvaise santé chez la personne qui en souffre.

Pourtant, les critères de diagnostic différentiel (« DDC ») de Gardner pour le SAP diagnostiquent les mères sur la base de l’examen de leurs enfants. En outre, ils imposent le traitement des enfants sur la base de l’examen de leurs mères. (R.A. Gardner, Differential Diagnosis of the Three Levels of Parental Alienation Syndrome (PAS) Alienators, déclarant “qu’alors que le diagnostic du SAP est basé sur le niveau des symptômes chez l’enfant, la décision du tribunal concernant le transfert de la garde devrait être basée principalement sur le niveau des symptômes de l’aliénateur et seulement secondairement sur le niveau des symptômes du SAP chez l’enfant ».)

Le SAP cause prétendument un « énorme chagrin » au père rejeté. Pourtant, il reste le seul membre de la famille à ne pas être diagnostiqué comme souffrant du SAP.

Le SAP pathologise l’exercice par les femmes de leurs droits

Les critères de diagnostic du SAP pour déterminer le traitement d’un enfant sont axés sur les actions légales de la mère. Par exemple, il faudrait évaluer la mère pour la fréquence à laquelle elle se plaint à la police ou au service de protection de l’enfance. Ou encore la fréquence à laquelle elle décide d’éloigner l’enfant. Or, le “DDC” de Gardner n’évalue pas le comportement du père. Il est évident que lorsque ce dernier est violent, la mère sera encline à éloigner l’enfant et joindre la police ainsi que les services sociaux.  Cela relève de l’exercice de ses droits.

C. Les recommandations internationales

Haut Commissariat des Nations Unies

Le 9 décembre 2021, le Haut Commissariat des Nations Unies publie une recommandation à destination du gouvernement espagnol. Cet avis a été rendu par des experts de l’ONU déclarant que le système judiciaire ne permettait pas de protéger efficacement les enfants contre les pères violents. Même dans les cas où il existe des antécédents de violence domestique ou des preuves d’abus, les décisions judiciaires favorisent souvent les parents de sexe masculin. Et cela, y compris lorsqu’il existe des motifs raisonnables de les soupçonner d’être abusifs envers les enfants et leurs mères. Cela se fait au nom du pseudo-SAP.

Parlement européen

Le Parlement européen a émis une résolution  le 6 octobre 2021 sur les conséquences des violences conjugales et des droits de garde sur les femmes et les enfants. Elle fait également part de sa préoccupation sur le recours fréquent au concept d’AP.

Conseil de l’Europe

Enfin, dans son rapport explicatif sur la Convention d’Istanbul, le Conseil de l’Europe décrit les intentions de l’article 31 – Garde, droit de visite et sécurité.

Ainsi, “cette disposition vise à veiller à ce que les autorités ne rendent pas des ordonnances relatives aux relations personnelles sans prendre en considération les actes de violence couverts par le champ d’application de cette convention. Elle concerne les ordonnances judiciaires qui régissent les relations entre les enfants et leurs parents et d’autres personnes de leur famille. Tout comme d’autres facteurs, les actes de violence à l’encontre du parent fiable ou de l’enfant lui-même doivent être pris en compte lorsque des décisions sont prises concernant les droits de garde, la fréquence des droits de visite ou les relations personnelles.”

En France

Par conséquent, on constate bien un consensus international quant à l’absence de fondement et la dangerosité du SAP.  Cependant, on observe une forte utilisation de ce syndrome au niveau national. En France comme en Belgique.

Dans ce sens, la Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants (CIIVISE) en Francea été créée le 23 janvier 2021. Elle a publié son premier avis le 27 octobre 2021. Dans cet avis, la CIIVISE a formulé trois recommandations pour protéger les enfants et le parent protecteur.

En outre, depuis le 21 septembre 2021, la CIIVISE a réalisé un appel à témoignage ayant permis d’en recueillir 9 000. La quasi-totalité des témoignages recueillis sont des appels de mères dont l’enfant a révélé des violences sexuelles de la part de son père. Les mères se retrouvent dans la grande majorité des cas mises en causes et accusées d’avoir manipulé leur enfant. Cela se passe le plus souvent dans un contexte de séparation.

D. L’aliénation parentale et les fausses allégations

Au regard de ce qui vient d’être décrit précédemment, on ne peut que déplorer l’ampleur de l’utilisation du SAP. En effet, en considérant l’ensemble des résultats des études les plus fiables menées à ce sujet, on peut considérer qu’entre 2 à 8% des accusations de viol reportées à la police seraient fausses.

Pourquoi donc, à la vue de ces chiffres, s’obstiner à réfuter les allégations d’inceste venant du parent protecteur ?

Reconnaissance des accusations de violence sexuelle dans les procédures judiciaires

De plus, une étude de l’Université Georges Washington a été réalisée par la professeure de droit américaine Joan S. Meier. Cette étude se base sur 4338 jugements qui concernent la résidence d’enfants de parents séparés. De fait, elle vient contrebalancer la théorie de Gardner. En effet, 4 338 jugements de 2005 à 2015 ont été analysés. Ce sont les accusations de violences sexuelles sur les enfants qui sont les moins reconnues (15 %). Et elles ne le sont presque jamais quand l’aliénation parentale est mobilisée par le père (2 %, 1 sur 51).

Ainsi, lorsque l’AP est utilisée par le père comme moyen de défense, la probabilité que le juge reconnaisse la violence est divisée par 2. Et presque par 4 quand il s’agit de violence contre les enfants.

En outre, l’accusation d’AP par les pères a également une incidence sur la résidence des enfants. Ainsi, lorsque la mère accuse le père de violence, le père obtient la résidence chez lui dans 26 % des cas quand il ne se sert pas de l’AP. Or, ce chiffre monte à 44 % des cas lorsqu’il mobilise ce pseudo-concept.

Elle constate par ailleurs que même lorsque les violences sont reconnues, et que l’AP est utilisée, la résidence est transférée dans 43 % des cas (6 sur 14).

Que nous apprend cette étude ?

Dès lors, cette étude montre que les mères qui signalent des cas de violence (en particulier des violence faite aux enfants) perdent la garde de leurs enfants à une fréquence stupéfiante.

En effet, les accusations d’AP conduisent les tribunaux à ne pas prendre en compte les preuves de violences paternelles envers les femmes et les enfants En outre, elles contribuent à retirer des enfants aux parents (principalement les mères) qui veulent les protéger et à placer. Ou encore à fixer leur résidence chez l’agresseur. Cela se passe même lorsque des juges reconnaissent l’existence de violences.

En pratique

Ainsi, les femmes qui présentent des preuves de violence envers les enfants sont plus susceptibles d’en perdre la garde, que les femmes qui signalent “uniquement” de la violence conjugale.

Pour résumer, ces données confirment les nombreux témoignages de femmes qui dénoncent l’ignorance par les tribunaux de la violence au sein de la famille. Par conséquent, cela met potentiellement les enfants en danger. En outre, elle confirme également que les accusations d’AP sont efficaces pour occulter la violence.

2. Quelles sont les différences entre la manipulation et le SAP ?

Dans le cas où une mère qui dénonce l’inceste du père (rappelons qu’au vu des études, il s’agit d’une vraie dénonciation dans 92 à 98% des cas), se voit retirer la garde au nom de cette prétendue aliénation, soi-disant synonyme de manipulation, on ne peut que s’interroger.

Ruse voire mensonge

En effet, selon Fabrice d’Almeida, la manipulation résulte de méthodes allant de la ruse jusqu’au mensonge. Le mensonge est donc un des principaux outils de la manipulation. Or, on le voit, l’aliénation parentale, si elle se base sur les droits de la mère à protéger son enfant, ne se fonde aucunement sur des techniques de ruse ou de mensonge employées par elle envers son enfant.

Afin de fonder l’aliénation parentale de manière concrète, encore faudrait-il prouver l’existence de ces mensonges. Et donc de ces fausses allégations.

Irrespect

La manipulation désigne aussi une dynamique d’irrespect entre deux individus. L’un cherche à déstabiliser l’autre pour tourner une situation à son avantage.

Il s’agit donc pour le manipulateur ou la manipulatrice, afin d’obtenir une situation favorable pour lui, de nuire à l’autre. Dans la manipulation, le manipulateur ou la manipulatrice agit dans son propre intérêt. Voilà toute l’incohérence de la similitude avec le SAP.

Mère « trop protectrice »

Une mère aliénante, selon les critères de Gardner, est une mère trop protectrice qui voit le “mal” partout. Non seulement le SAP ne se fonde sur aucune source scientifique, mais il est également directement issu de stéréotypes sexistes visant à décrire les femmes, et a fortiori les mères, comme des hystériques incapables de discernement.

Nul doute que la manipulation parentale existe, même si l’on ignore son ampleur. Néanmoins, l’aliénation parentale, raison pour laquelle tant de mères se voient perdre la garde de leur enfant, n’a rien à voir avec la manipulation. Celle-ci relève d’une ruse perverse que le simple fait qu’une mère soit trop protectrice ne peut justifier.

3. Qui est donc le manipulateur dans le cas d’une dénonciation d’aliénation parentale ?

Condamner la manipulation parentale, oui, mais condamner le vrai manipulateur.

En effet, regardons le faible taux de fausses allégations et l’ampleur du nombre de mères perdant la garde de leur enfant en matière d’inceste.

Ne faut-il pas se demander si le parent incestueux n’est pas le vrai manipulateur ?

En effet, celui-ci se servirait du mensonge pour nier les allégations, toujours sur la base du SAP. Il tournerait ainsi la situation au désavantage de la mère et à l’avantage du sien. Jusqu’à ce que celle-ci perde la garde de l’enfant devant le juge. Il s’agit là d’une manipulation devant les tribunaux.

Mentir pour ne pas se voir condamner, pour continuer à nuire à son enfant, ainsi qu’à la mère.

Il est temps de renverser la norme. Protéger les enfants doit être une priorité. Pour cela, il est nécessaire de croire les mères.

Conclusion

Pour conclure, nous pouvons affirmer qu’il est essentiel de comprendre d’où viennent les mécanismes que l’on emploie. Il s’agit là de sauver des enfants d’une forme de violence dont l’interdit structure nos sociétés. En terminer avec l’aliénation parentale serait un énorme pas en avant. Même si les stéréotypes sont difficiles à effacer puisque ancrés dans nos sociétés, ils ne sont pas voués à rester ainsi sans questionnements.



Anna Cariou

Références juridiques

  • – Résolution du Parlement européen du 6 octobre 2021 sur les conséquences des violences conjugales et des droits de garde sur
    les femmes et les enfants (2019/2166(INI))

Ressources

A venir

Pour aller plus loin

  • – CIIVISE, Avis “Inceste : protéger les enfants. À propos des mères en lutte”, 27 octobre 2021
  • – Fabrice d’Almeida, La manipulation, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 2011, 3e éd. (1re éd. 2003)
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