Différence de traitement et discrimination : perspectives légales en Belgique et en Europe

Discrimination

La question des discriminations et des différences de traitement constitue un enjeu central dans les sociétés modernes. En effet, dans celles-ci, l’égalité des droits et des chances est une valeur fondamentale.

En Belgique, comme dans l’ensemble de l’Union européenne, des textes légaux et constitutionnels encadrent ces questions. Cela permet de garantir le respect des principes d’égalité et de non-discrimination.

Cet article explore les bases légales belges et européennes en la matière. De plus, il s’appuie sur des exemples concrets et des interprétations juridiques.

1. Les définitions des discriminations et de la différence de traitement

Commençons par définir ces deux notions. Cela nous permettra de bien les comprendre mais aussi de les différencier.

La différence de traitement

Une différence de traitement est une distinction opérée entre deux ou plusieurs personnes ou situations, contenue dans une règle de droit ou dans une pratique administrative.

Cette distinction peut se fonder sur des critères objectifs ou subjectifs.

Pour être légale, elle doit poursuivre un but légitime. De plus, elle doit rester proportionnée à l’objectif visé.

La discrimination

La discrimination est une forme spécifique de différence de traitement. Elle se caractérise par un traitement défavorable fondé sur un critère interdit par la loi, sans justification objective et raisonnable[1].

En Belgique, la loi du 10 mai 2007 (loi anti-discrimination) énumère les critères de discrimination interdits. Ceux-ci incluent, entre autres, la race, l’origine ethnique ou nationale, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, l’âge, la religion ou les convictions, le handicap, l’état de santé, etc.

2. Le cadre légal de la discrimination en Belgique

La Constitution belge

La Constitution belge consacre l’égalité entre les femmes et les hommes à travers plusieurs articles.

Ainsi, l’article 10 dispose que « l’égalité des femmes et des hommes est garantie ».

De plus, l’article 11bis renforce cette garantie. En effet, il exige que la loi, le décret ou les règles visées à l’article 134 assurent l’égal exercice des droits et libertés.

Cet article va même plus loin. En effet, il impose une représentation équilibrée des sexes dans les instances politiques et publiques.

La loi du 10 mai 2007

Cette loi interdit les discriminations basées sur 19 critères.

Il serait plus correct de parler de ces lois au pluriel. En effet, le 10 mai 2007, le législateur a voté trois lois différentes à ce sujet. Chacune a sa propre spécificité. Ainsi, nous avons la loi générale, la loi anti-racisme et la loi genre. De plus, la Cour constitutionnelle a ajouté un critère supplémentaire en 2009. Il s’agit de la conviction syndicale.

Revenons sur chacune de ces lois.

  • La loi générale : Elle interdit les discriminations basées sur l’âge, l’orientation sexuelle, l’état civil, la naissance, la fortune, la conviction religieuse ou philosophique, la conviction politique, la langue, l’état de santé, le handicap, les caractéristiques physiques ou génétiques, et l’origine sociale.
  • La loi anti-racisme : Elle interdit les discriminations liées à la nationalité, la prétendue race, la couleur de peau, l’ascendance, et l’origine nationale ou ethnique.
  • La loi genre : Elle interdit les discriminations basées sur le sexe, incluant la grossesse, l’accouchement, la maternité, et le changement de sexe.

La protection des travailleuses enceintes

Les travailleuses enceintes risquent davantage de discrimination dans la sphère du travail.

Dès lors, le Code du bien-être au travail interdit explicitement toute forme de discrimination fondée sur le sexe, y compris les questions liées à la grossesse.

Une travailleuse enceinte est donc protégée contre le licenciement dès que l’employeur/employeuse est informé.e de sa grossesse. De plus, cette protection perdure jusqu’à un mois après le congé postnatal.

En cas de licenciement abusif, l’employeur/employeuse doit verser une indemnité équivalente à 6 mois de salaire.

3. Le cadre légal européen

La notion de discrimination dans la CEDH

La discrimination constitue une violation fondamentale des droits humains. Et la Convention européenne des droits humains (CEDH) en garantit la protection.

Elle le fait notamment à travers son article 14. Cet article interdit toute discrimination fondée sur divers motifs tels que le sexe, la race, la religion, l’origine sociale ou nationale, ou toute autre situation.

Cette interdiction est renforcée par le Protocole n° 12. Ce dernier élargit son champ d’application à tous les droits garantis par la loi. Ainsi, cela concerne également les matières en dehors des droits protégés spécifiquement par la Convention.

Le cadre juridique et la portée de l’article 14

L’article 14 de la CEDH joue un rôle complémentaire. En effet, il ne s’applique qu’en lien avec les droits et libertés protégés par la Convention.

Ainsi, toute distinction en dehors de ces domaines échappe à sa compétence.

Néanmoins, la liste des motifs de discrimination reste ouverte. Cela permet d’inclure d’autres critères non spécifiquement énumérés, comme l’orientation sexuelle ou le handicap.

Pour qualifier une différence de traitement de discriminatoire, la Cour européenne des droits humains (Cour EDH) évalue deux critères principaux.

  • L’absence de justification objective et raisonnable : une distinction doit poursuivre un objectif légitime et rester proportionnée à cet objectif.
  • Le rapport de proportionnalité : toute différence de traitement doit refléter un équilibre raisonnable entre les intérêts individuels et collectifs.

La doctrine et les principes fondamentaux

Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’égalité ne signifie pas l’uniformité absolue. En revanche, elle vise l’interdiction de traiter différemment des situations comparables sans justification.

Une différence de traitement est jugée discriminatoire lorsqu’elle repose sur des stéréotypes ou des motifs arbitraires.

Ainsi, la célèbre affaire linguistique belge a marqué la doctrine. En effet, elle a établi que l’égalité de traitement est violée lorsqu’une différence de traitement manque de proportionnalité ou de justification.

Les formes de discrimination

Il existe différentes formes de discrimination. Passons-les en revue.

1 La discrimination directe

La discrimination directe se caractérise par une différence de traitement explicite et identifiable.

Elle intervient lorsqu’on traite une personne ou un groupe défavorablement par rapport à d’autres dans une situation comparable, sur la base d’une caractéristique protégée.

Imaginons qu’une maison communale organise des permanences sociales uniquement pour les personnes blanches. Il s’agirait une discrimination directement basée sur la couleur de peau. Or, rien ne justifie une telle différence de traitement. Il en serait de même pour n’importe quel autre critère de la liste. Dès lors, cela serait interdit.

  • Exemple : Affaire Oganezova c. Arménie (2022). Dans cette affaire, le harcèlement subi par la propriétaire d’un bar LGBT à la suite d’un incendie a été reconnu comme une forme de discrimination directe.

2 La discrimination indirecte

La discrimination indirecte résulte de mesures générales ou neutres en apparence, mais qui produisent des effets disproportionnés sur certains groupes.

Ainsi, elle n’implique pas nécessairement une intention explicite de discriminer.

Imaginons à nouveau notre maison communale. Cette fois, elle organise ses permanences au premier étage d’un immeuble, accessible uniquement par une volée d’escalier. En apparence, cette mesure semble neutre. Tout le monde peut aller à la permanence. Cependant, les escaliers empêchent les personnes à mobilité réduite d’y accéder réellement. Il s’agit donc d’une discrimination indirecte. En effet, de manière indirecte, cette mesure empêche une partie de la population d’accéder à ses droits.

  • Exemple : Affaire DH et autres c. République Tchèque (2007). Dans cette affaire, la Cour a constaté que le placement disproportionné des enfants Roms dans des écoles spécialisées constituait une discrimination indirecte.

3 La discrimination par association

Cette forme de discrimination survient lorsqu’une personne est discriminée en raison de caractéristiques protégées attribuées à une autre personne avec laquelle elle est associée.

  • Exemple : Affaire Guberina c. Croatie (2016). Dans cette affaire, un père a subi de la discrimination pour avoir demandé un avantage fiscal destiné à répondre aux besoins de son enfant handicapé. Lui-même ne souffre d’aucun handicap. Cependant, il subit les discriminations liées au handicap de son enfant.

4 La discrimination croisée

La discrimination croisée combine plusieurs motifs de discrimination (par exemple, la race et le genre) pour former une expérience unique d’exclusion. Ici, on peut faire le lien avec l’intersectionnalité.

On a vu cela lors de l’affaire de la STIB qui discriminait les femmes voilées. Ces dernières subissaient de la discrimination de deux types : en tant que femmes et en tant que musulmanes. En effet, ni les hommes musulmans ni les femmes non musulmanes n’étaient visées. Ainsi, c’est la combinaison des deux critères qui créé la discrimination.

  • Exemple : Affaire N.B. c. Slovaquie (2012). Cette affaire concerne la stérilisation forcée de femmes Roms. Et elle illustre à la fois des discriminations de genre et d’origine ethnique.

Les mesures positives et les obligations des États en matière de discrimination

Les mesures positives (ou actions positives) consistent à accorder un traitement différencié pour corriger des inégalités structurelles entre groupes sociaux.

Bien que controversées, elles peuvent s’avérer nécessaires pour éviter des situations discriminatoires.

  • Exemple : Affaire Andrle c. République Tchèque (2011). Dans cette affaire, on a considéré qu’un abattement de l’âge de la retraite pour les femmes constituait une mesure légitime. En effet, celle-ci visait à corriger des inégalités historiques.

Dans certaines situations, l’absence de mesures positives peut même être reconnue comme une violation de la CEDH. En effet, l’État a une obligation positive de prévenir ou de corriger des situations discriminatoires.

  • Exemple : Affaire Thlimmenos c. Grèce (2000). Dans cette affaire, la Cour a considéré que l’État aurait dû adapter les critères d’accès au barreau pour un témoin de Jéhovah.

La preuve en matière de discrimination

La question de la preuve est centrale dans les affaires de discrimination.

Le droit connait un principe classique « affirmanti incumbit probatio« . Cela signifie que la preuve incombe au demandeur ou à la demanderesse. Concrètement, cela implique que c’est la personne qui introduit la demande en justice qui doit prouver ses dires.

Cependant, ce principe est aménagé pour tenir compte des difficultés rencontrées par les victimes.

Le renversement de la charge de la preuve

Dans les cas de discrimination, le ou la requérant.e doit fournir un faisceau d’indices graves, précis et concordants. En d’autres termes, il ou elle doit simplement montrer que ses dires sont probablement vrais.

Une fois cela fait, il incombe à l’État de prouver que :

  1. Les situations comparées ne sont pas comparables.
  2. La différence de traitement repose sur un critère objectif et non discriminatoire.
  3. La distinction est justifiée et proportionnée.
  • Exemple : Affaire Timichev c. Russie (2005). Dans cette affaire, des Tchétchènes ont subi des discriminations lors de contrôles policiers sur la base de leur origine ethnique.

L’utilisation de données statistiques et de rapports externes

Les requérant.e.s peuvent s’appuyer sur des statistiques ou des rapports établis par des ONG ou des organisations internationales.

  • Exemple : Affaire Talpis c. Italie (2017). Dans cette affaire, on a utilisé des statistiques sur les violences domestiques pour démontrer l’insuffisance des mesures étatiques.

La jurisprudence européenne

Les décisions de la Cour EDH illustrent l’évolution des interprétations relatives à la discrimination. Voici quelques exemples marquants.

  • Petrovic c. Autriche [2] : La Cour a considéré qu’une différence de traitement concernant l’allocation de congé parental, limitée aux mères, n’était pas discriminatoire. Elle reflétait une évolution sociale et une transition progressive dans la répartition des responsabilités familiales.
  • Niedzwiecki c. Allemagne  [3]: L’Allemagne a exclu un père d’allocations familiales en raison de l’absence d’un permis de séjour permanent. Cette exclusion  a été jugée discriminatoire et disproportionnée.
  • Fawsie c. Grèce  [4]: L’exigence de nationalité pour accéder à une allocation pour famille nombreuse a été invalidée. La Cour a jugé que seules des justifications solides pouvaient légitimer une telle distinction.
  • Biao c. Danemark  [5]: La règle des « vingt-huit ans » favorisait les citoyens danois de naissance pour le regroupement familial. Cette règle a été déclarée discriminatoire envers les personnes d’origine étrangère.
  • Wa Baile c. Suisse [6] : La pratique du profilage racial lors des contrôles d’identité a été jugée discriminatoire et contraire aux articles 8 et 14.

4.     Les enjeux et défis actuels

Sensibilisation et renforcement des contrôles : Une sensibilisation accrue et un renforcement des contrôles restent nécessaires. Ils permettront de garantir l’effectivité de ces droits.

En effet, les défis persistent, notamment en ce qui concerne la discrimination indirecte et la stigmatisation des groupes protégés.

5. Conclusion

La lutte contre les discriminations et les différences de traitement est essentielle pour garantir l’égalité des droits.

Certes, en Belgique et en Europe, des lois protègent les citoyens contre les discriminations, notamment celles basées sur le genre ou la grossesse. Cependant, malgré ces protections, des défis subsistent. Et ils nécessitent une vigilance continue et des efforts concertés pour promouvoir une égalité réelle et effective.

En conclusion, nous pouvons retenir les points suivants. Tout d’abord, la différence de traitement devient une discrimination lorsqu’elle est fondée sur un critère interdit par la loi et qu’elle n’est pas justifiée par une raison objective et légitime. Ensuite, les cadres légaux belge et européen offrent des protections importantes contre les discriminations. Enfin, leur application effective nécessite une sensibilisation accrue et un renforcement des contrôles.

Ahmed Abdelhady

Notes

[1] Mathy, I. et Schultz, G., « D » in Lexique juridique belge, 1e édition, Bruxelles, Larcier, 2021, p. 144

[2] Cour eur. D.H., arrêt Petrovic c. Autriche, 27 mars 1998

[3] Cour eur. D.H., arrêt Niedzwiecki c. Allemagne, 25 octobre 2005

[4] Cour eur. D.H., arrêt Saidoum c. Grèce, 28 octobre 2010

[5] Cour eur. D.H., arrêt Biao c. Danemark, 24 mai 2016

[6] Cour eur. D.H., arrêt Wa Baile c. Suisse, 20 février 2024

Références juridiques
  • La Constitution
  • Les lois du 10 mai 2007 relatives à la discrimination
  • La Convention européenne des droits humains et sa jurisprudence 
Ressources

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