Se défendre sans être puni.e : que dit la loi belge sur la légitime défense ?
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Aujourd’hui, nous allons approfondir la notion de légitime défense.
Pour t’aider à voyager dans les différentes sections de l’article, nous te proposons une table des matières. Clique sur un titre pour accéder directement au texte qui le concerne.
Table des matières
1 Introduction
Imagine. On t’agresse. Tu te défends. Et après ? La police arrive. Tu expliques que tu n’avais pas le choix. Tu te trouvais en situation de danger. Mais la justice belge va-t-elle te croire ?
En Belgique, il existe un principe juridique qui permet, dans certains cas, de commettre un acte interdit pour se protéger : c’est ce qu’on appelle la légitime défense.
Ce droit n’est pas automatique. Des règles très précises l’encadrent. Par conséquent, tu ne peux pas invoquer la légitime défense n’importe comment ni dans n’importe quelle situation.
Alors, quand a-t-on vraiment le droit de se défendre sans être puni.e ? Qu’est-ce que la loi belge considère comme une agression ? Quelles sont les limites à ne pas dépasser ? Et que se passe-t-il si tu blesses, voire tu tues, ton agresseur.e ?
Cet article t’aide à comprendre, étape par étape, ce qu’est la légitime défense en droit belge :
- dans quels cas elle s’applique ;
- quelles conditions doivent être réunies ;
- ce qu’elle permet (et ce qu’elle ne permet pas) ;
- et comment la justice interprète cette notion.
À travers des exemples concrets, des réponses à des questions fréquentes et un décryptage du Code pénal, ce texte te donnera les clés pour comprendre tes droits en cas d’agression.
2 Qu’est-ce que la légitime défense ?
En gros : parfois, la loi accepte qu’on enfreigne la loi… pour sauver sa peau.
Et c’est exactement ce que permet la légitime défense. Dans certaines circonstances très précises, la loi belge autorise une personne à se défendre. Même si cela signifie commettre un acte normalement interdit (comme frapper, blesser ou même tuer).
2.1 La définition en droit belge
La légitime défense se définit comme :
« L’emploi immédiat et nécessaire de la force pour repousser une agression injuste, qui se commet ou qui va se commettre. »[1]
Il s’agit donc d’utiliser, de manière immédiate et nécessaire, la force pour se protéger d’une agression injuste et imminente.
C’est ce que le droit pénal belge appelle une cause de justification.
Concrètement, cela signifie qu’on justifie une infraction. Ainsi, l’acte en lui-même reste interdit. Mais dans ce contexte bien particulier, la loi considère qu’il n’y a ni faute, ni crime, ni délit.
Par exemple, imaginons qu’une personne en tue une autre. En principe, il s’agit d’un homicide. Mais cette personne peut invoquer la légitime défense si elle réagissait à une agression. Elle doit alors prouver que l’autre personne l’attaquait violemment, qu’elle n’avait aucun autre moyen de se protéger et que sa réaction était proportionnée. Dans ce cas, alors, elle peut être acquittée.
Le principe de légitime défense découle du Code pénal. L’actuel article 416 le prévoit. Et le nouvel article 14, qui s’appliquera à partir d’avril 2026, s’en inspire largement :
« Nul ne peut se faire justice à lui-même en commettant une infraction.
Il y a toutefois légitime défense et donc absence d’infraction lorsque la personne, qui n’a pas la possibilité d’éviter une agression illégitime, grave et actuelle contre sa personne ou la personne d’un tiers autrement qu’en commettant le fait qualifié infraction, se défend de façon proportionnée dans l’intention de repousser cette agression. »
Autrement dit : repousser une attaque peut être légal, même si cela entraîne des blessures ou la mort. Mais cela ne s’applique que si certaines conditions strictes sont remplies. On l’a déjà abordé mais on y reviendra plus loin.
2.2 Une exception pour certains cas graves : les présomptions de l’article 417
Le Code pénal actuel prévoit deux cas très spécifiques dans lesquels on présume de la légitime défense. C’est l’article 417 qui les fixe.
2.2.1 L’escalade ou l’effraction d’une habitation
Si quelqu’un.e entre chez toi par effraction pendant la nuit, la loi présume que tu agis en légitime défense. Pour cela, il faut que tu réagisses immédiatement pour te protéger.
Mais attention ! On peut renverser cette présomption. Par exemple, si on prouve que tu ne courais pas de danger réel.
2.2.2 Le vol ou le pillage avec violence
Si plusieurs personnes t’agressent, te volent ou te pillent avec violence, la loi suppose aussi que tu te trouves en légitime défense. Là encore, ta réaction doit être immédiate et nécessaire.
Dans ces deux situations, la justice peut considérer que tu as agi légitimement. Mais attention : il ne s’agit pas d’un droit automatique. Si tu vas trop loin ou que tu réagis sans danger réel, la justice peut ne pas retenir la légitime défense.
2.3 Les causes de justification : pourquoi la légitime défense n’est pas une infraction ?
Les juristes ont parfois un talent particulier pour créer des catégories complexes et… un peu tordues.
Mais ici, c’est important de comprendre que la légitime défense ne flotte pas seule dans le droit belge. Elle fait partie d’un groupe de mécanismes qu’on appelle les causes de justification[2].
2.3.1 Mais c’est quoi, une cause de justification ?
En droit pénal belge, on ne peut pas condamner une personne si elle n’a pas commis de faute. Il s’agit d’un principe fondamental, résumé par une formule latine que les juristes adorent :
« Nullum crimen, nulla poena sine culpa. »[3]
(Pas de crime, pas de peine, sans faute.)
Cela veut dire qu’on ne peut pas punir quelqu’un.e juste parce qu’un acte est interdit. Il faut que la personne soit fautive au moment où elle le fait.
Il n’y a donc pas d’infraction sans faute.
Imaginons, par exemple, une personne qui se défend d’une agression immédiate. On peut considérer qu’elle n’a pas eu d’autre choix. Dans ce cas, même si elle frappe, blesse ou tue, elle n’est pas punie. En effet, elle a agi dans les limites de la légitime défense, donc sans faute, donc sans responsabilité pénale ni civile.
2.3.2 Une protection à double niveau : pénal et civil
Si la justice reconnaît la cause de justification[4], la personne n’aura pas de condamnation pénale. Elle n’aura donc ni peine ni casier judiciaire. Par conséquent, elle ne sera pas non plus responsable civilement. Dès lors, elle ne devra pas rembourser ou indemniser l’agresseur.e ou sa famille.
La Cour de cassation belge le rappelle régulièrement : si une personne n’est pas fautive, elle ne peut pas être condamnée. Il s’agit d’une règle de base dans le droit pénal.
2.4 Les causes de justification ne constituent pas des causes d’excuses : attention à ne pas confondre
Dans le monde du droit, on adore les nuances. Et l’une d’entre elles, c’est la différence entre une cause de justification (comme la légitime défense) et une cause d’excuse.
2.4.1 Les différences entre les deux notions
Quelque part, la cause de justification dit que « la personne n’a pas commis de faute ». En revanche, la cause d’excuse dit que « la personne a commis une faute, mais, le système estime que cette faute doit être pardonnée ou moins sévèrement punie ».
Les effets des causes d’excuses et des causes de justification sont, dès lors, très différents.
La cause de justification supprime carrément l’élément fautif[5]. Grâce à elle, on estime qu’il n’y a pas du tout de faute dans les actes commis. On peut dire qu’elle rend l’acte légal, en quelque sorte. En tout cas, dans le contexte où il a eu lieu. Et elle entraîne un acquittement de la personne qui commet les faits. Sans oublier qu’il n’y a, alors, ni responsabilité pénale ni responsabilité civile.
À l’inverse, la cause d’excuse, elle, reconnaît la faute, mais l’atténue. En d’autres termes, l’acte reste illégal. Mais, le système reconnaît que les circonstances autour de l’acte peuvent l’expliquer et/ou l’excuser. Par conséquent, elle entraîne une réduction, voire une dispense de la sanction pénale. Mais, elle n’empêche pas de reconnaître la responsabilité civile de la personne qui a commis l’acte. Cela implique qu’elle peut devoir payer une indemnité, qu’on appelle dommages et intérêts, à la victime qui a subi un dommage.
2.4.2 Ce qu’en dit la Cour de cassation
La Cour de cassation fait la différence entre les deux. Elle affirme ainsi que la cause de justification efface toute culpabilité. Dès lors, tout se passe comme si l’infraction n’existait pas, d’un point de vue juridique.
Elle estime qu’en revanche, la cause d’excuse n’efface pas l’acte illégal. Elle permet simplement d’éviter la sanction pénale ou la diminuer.
Ainsi, la cause de justification s’analyse avant ou pendant le procès. Il s’agit donc d’un élément de fond. La cause d’excuse, de son côté, intervient à la fin du procès, au moment de déterminer la peine.
2.4.3 Pourquoi la légitime défense n’est pas une cause d’excuse ?
La légitime défense justifie l’acte. Elle annule la faute. Et donc, elle empêche toute condamnation (pénale ou civile). En d’autres termes, si on reconnait la légitime défense, il n’y a pas d’infraction du tout.
Le ou la juge n’aura pas à « choisir » la peine la plus appropriée. Il n’y aura pas de peine du tout.
2.5 Les 10 causes de justification prévues par le Code pénal
Le Code pénal prévoit dix causes de justification. Elle prévoit donc dix situations dans lesquelles une infraction peut être justifiée. C’est-à-dire : dix cas où, même si une personne fait quelque chose d’interdit, on ne peut pas la condamner, car la loi reconnaît qu’elle n’a pas eu le choix.
Voici ces 10 causes de justification :
- La démence ;
- La minorité ;
- La contrainte ;
- Le commandement légal de l’autorité publique ;
- Le commandement non manifestement illégal de l’autorité publique ;
- L’ignorance ;
- L’erreur ;
- L’état de nécessité ;
- La légitime défense ;
- La résistance légitime à un acte illégal de l’autorité publique.
Ces causes de justification suppriment la faute de l’acte ou de l’omission. Par conséquent, la personne concernée ne peut plus être tenue pénalement responsable.
Cela implique que la personne n’aura ni condamnation pénale ni responsabilité civile à assumer. Elle bénéficiera, en général, d’un non-lieu ou d’un acquittement.
Dans cet article, nous nous concentrons sur l’une des plus connues, mais aussi l’une des plus mal comprises : la légitime défense.
3 Quand peut-on parler de légitime défense en Belgique ?
La légitime défense, ce n’est donc pas une carte blanche. Tu ne peux pas simplement dire « je me suis défendu.e » pour être automatiquement acquitté.e.
La loi belge, avec l’appui des juges, impose trois conditions strictes. Elles doivent toutes être réunies pour que la justice considère ta réaction comme légitime.
Il s’agit des fondations du droit à la légitime défense.
3.1 Les 3 conditions obligatoires
Le Code pénal ne définit pas avec précision la légitime défense. La jurisprudence (c’est-à-dire les décisions rendues par les tribunaux) a donc dessiné ses contours, à travers ses différentes décisions. Notamment, elle impose les trois piliers suivants :
- L’agression est réelle, actuelle et injuste.
- Tu n’as pas d’autre choix raisonnable pour te protéger.
- Ta riposte est proportionnée à la menace.
La Cour de cassation a confirmé ces critères dans un arrêt du 19 avril 2006. Elle précise qu’une réaction immédiate et proportionnée constitue la seule réponse adéquate face à une agression.
En principe, ce cadre strict a pour objectif de protéger les personnes agressées, tout en évitant les abus. La légitime défense ne constitue pas une vengeance. Il ne s’agit pas non plus d’une excuse pour se faire justice soi-même.
C’est censé être un droit, à exercer dans l’urgence, avec discernement.
3.2 Condition 1 : une agression injuste, réelle et actuelle
Pour qu’il y ait légitime défense, il faut donc d’abord… qu’il y ait une attaque. Et pas n’importe laquelle :
- Elle doit concerner une personne humaine. Il peut s’agir de toi. Dans ce cas, tu te défends toi-même. Mais, il peut aussi s’agir d’une personne. Tu es alors témoin de l’agression et tu réagis pour protéger la victime[6].
- Elle doit être injuste. Ainsi, tu ne dois pas l’avoir provoquée.
- Elle doit être réelle. Il ne peut donc pas s’agir d’une peur vague ou imaginaire.
- Elle doit être actuelle ou imminente. Le danger est en train d’arriver ou est sur le point d’arriver. Si l’agression se termine, tu n’as plus le droit de réagir avec violence.
Prenons des exemples concrets :
- Un homme te frappe ou menace de te frapper et tu réagis sur le moment. On peut alors admettre la légitime défense.
- Une personne t’a frappé.e hier et tu te venges aujourd’hui. Dans ce cas, il n’y aura pas de justification aux yeux de la justice.
- Un homme te frappe. Puis, il met fin à l’agression et se tourne pour partir. Dès lors qu’il te tourne le dos, la justice estime que tu ne te trouves plus en danger. Dès lors, elle ne reconnaît pas la légitime défense, en général.
- Tu anticipes une agression possible dans deux jours et tu attaques « préventivement ». Pareillement, dans cette hypothèse, la justice ne reconnaîtra pas de cause de justification.
En effet, une agression passée, future ou floue ne permet pas d’invoquer la légitime défense. C’est le « ici et maintenant » qui compte.
3.3 Condition 2 : une riposte nécessaire
La deuxième condition impose que tu n’avais pas d’autre moyen raisonnable de faire face à l’agression[7]. Tu n’avais pas le temps d’appeler la police, par exemple. Ou pas de possibilité de fuir. Ou encore, pas d’aide à proximité.
La loi veut s’assurer que tu n’as pas choisi la violence « par facilité », mais parce que tu n’avais pas le choix.
Prenons des exemples concrets :
- Tu es coincé.e contre un mur et tu ne peux pas t’enfuir. Une personne fonce sur toi. Une riposte de ta part devient nécessaire pour te protéger.
- Tu as une porte derrière toi pour t’échapper en toute sécurité… mais tu préfères rester pour frapper. La justice estimera que tu avais la possibilité d’agir autrement que par un acte puni par le Code pénal.
C’est la nécessité de se défendre dans l’urgence qui justifie ainsi ton acte.
3.4 Une riposte proportionnée
Enfin, la loi exige que tu répondes à la violence par une force adaptée, pas par une explosion de rage.
La loi ne t’interdit pas de te défendre. Mais elle te dit :
« Ne va pas plus loin que ce qui est strictement nécessaire pour te protéger. »
Ainsi, de manière imagée, on peut dire que tu ne peux pas répondre à une claque par le lancement de l’arme atomique.
Prenons à nouveau des exemples concrets.
La justice estime que tu peux repousser par un coup une personne qui t’étrangle. Elle ne te condamnera pas pour coups et blessures dans un cas pareil.
Par contre, elle estimera que tu n’as pas le droit de planter un couteau dans la poitrine d’une personne qui t’insulte.
Dans le même ordre d’idées, tu n’as pas le droit de continuer à frapper une personne qui fuit. Car dans ce cas, on considère que l’agresseur.e cesse d’agresser.
Ainsi, la justice examine toujours le point suivant, selon ses propres critères : est-ce que ta réaction était raisonnable par rapport au danger ?
3.5 Jusqu’où je peux aller pour défendre mon animal de compagnie ?
Il s’agit d’une question fréquente, surtout chez les personnes très attachées à leurs compagnons et compagnes à poils, à plumes ou à écailles.
Mais la réponse du droit belge est… claire. Et un peu (beaucoup) décevante.
La légitime défense ne s’applique pas quand tu agis pour défendre ton chien, ton chat ou ton perroquet.
En effet, en droit pénal belge, la légitime défense ne concerne que les agressions contre des personnes humaines : toi-même ou une autre personne.
Dès lors, cela ne concerne pas les objets. Or, la loi assimile les animaux à des objets. Certes, la Constitution les considère désormais comme des « êtres sensibles ». Malheureusement, cela ne leur donne pas un statut légal équivalent à celui des humain.e.s.
Par conséquent, si tu blesses quelqu’un.e en voulant sauver ton animal, tu ne pourras pas invoquer la légitime défense. Et ce, même si ton intention était bonne. Tu risques des poursuites et peut-être même une condamnation.
4 Ce que la légitime défense n’est pas
La légitime est souvent mal comprise. Certaines personnes pensent qu’elle peut tout justifier. Or, ce n’est pas vrai. La justice est même plutôt très stricte dans son application.
Pour éviter les erreurs (et les mauvaises surprises devant le/la juge), voici ce que la légitime défense ne permet pas, même si l’intention peut sembler bonne.
4.1 Ce n’est pas une excuse pour se venger
Tu ne peux pas invoquer la légitime défense après coup, pour justifier une action de vengeance.
Même si l’agression que tu as subie était réelle et violente, la réponse doit être immédiate.
Imaginons, par exemple, que quelqu’un.e t’agresse physiquement dans un bar. Tu pars. Le lendemain, tu retrouves la personne et tu la frappes. Dans ce cas, la justice ne reconnaîtra pas de légitime défense. Il s’agit d’une vengeance et donc, d’une infraction. Tu risques, dès lors, une condamnation.
4.2 Ce n’est pas une permission d’agir « à chaud » sans contrôle
La panique, la colère ou la peur peuvent faire perdre le contrôle. Pourtant, la loi n’autorise pas une riposte incontrôlée, même dans l’émotion. Elle estime que la réaction doit rester proportionnée et ciblée.
Dès lors, si tu continues à frapper quelqu’un.e qui est déjà au sol ou si tu frappes plus fort que nécessaire, tu risques une condamnation.
Imaginons que tu arrives à repousser ton agresseur pour t’enfuir. Il tombe au sol. Tu te trouves enfin en sécurité… mais tu retournes lui mettre un coup « pour être sûr.e ». Selon la justice, la première action peut être légitime, la seconde ne l’est plus.
4.3 Ce n’est pas reconnu si tu as provoqué l’agression
Tu ne peux pas provoquer quelqu’un.e, l’insulter ou le/la pousser à bout, puis te défendre en invoquant la légitime défense. En effet, la justice examine le comportement global que tu as eu. Dès lors, si tu es à l’origine du conflit, ton droit à la légitime défense peut être refusé.
Imaginons que tu insultes une personne. Tu la bouscules. Et elle réagit violemment. Si tu répliques, le tribunal va probablement considérer que tu as contribué à déclencher l’agression et donc que tu ne peux pas bénéficier de la légitime défense.
4.4 La légitime défense ne s’applique pas pour défendre des choses
Elle ne pourra pas justifier de défendre des biens matériels, des animaux ou encore l’honneur, la réputation ou l’image d’une personne ou d’un groupe de personnes. Détaillons un peu.
4.4.1 Des biens matériels
Tu ne peux pas blesser ou tuer quelqu’un.e simplement pour protéger un objet, comme un sac, une voiture ou un téléphone, par exemple. Mais, il existe une exception, si ta sécurité est aussi menacée. La justice considèrera alors que protéger ton intégrité physique était légitime.
Concrètement, imaginons que quelqu’un essaie de voler ton sac. S’il le fait sans te toucher, tu ne peux pas le frapper à la tête avec une brique. Ce n’est pas de la légitime défense.
Mais, s’il arrache ton sac et que tu te sens en danger physiquement, alors, tu pourras te défendre.
4.4.2 Des animaux
On l’a dit plus haut, tu ne peux pas invoquer la légitime défense si tu agis pour défendre ton chien, ton chat ou tout autre animal. Et ce, même si tu le/la considères comme un.e membre de ta famille.
Imaginons qu’un homme attaque ta chienne. Si tu le frappes violemment pour la défendre, tu ne seras pas protégé.e par la légitime défense.
Nous ne disons pas que cette règle est juste. Nous nous contentons, ici, de l’expliquer. Mais, n’hésite pas à lire notre critique, dans l’avant-dernière partie de cet article.
4.4.3 Ton honneur, ta réputation, ton image
Selon la loi, les atteintes verbales, les insultes, les humiliations ne justifient pas un recours à la violence physique.
Ainsi, la loi ne te permet pas de frapper une personne qui te traite de tous les noms dans la rue, par exemple. Dans ce cas, selon la loi, tu ne seras pas en légitime défense, même si tu es profondément blessé.e.
4.5 Ce que la justice regarde toujours
Garde en tête que la justice vérifie toujours au moins la réponse à ces trois questions pour déterminer s’il y a légitime défense ou non.
- Est-ce que l’agression était réelle, immédiate, injuste ?
- Est-ce que tu as répondu avec discernement ?
- Est-ce que ta vie ou ton intégrité (ou celle d’un.e autre être humain.e) était en danger ?
Si tu ne peux pas répondre oui à ces trois questions, on risque de ne pas reconnaître la légitime défense.
5 Pourquoi le droit reconnaît-il la légitime défense ?
Se défendre, ce n’est pas se faire justice soi-même. Et ce n’est pas rendre la justice.
Pour autant, le droit reconnaît à toute personne le droit fondamental de se protéger en cas de danger grave et immédiat.
C’est de là que découle ce qu’on appelle la légitime défense : un mécanisme juridique qui permet, dans certaines circonstances exceptionnelles, de poser un acte normalement interdit (comme frapper ou blesser) sans être puni.e.
5.1 Se défendre n’est pas se venger
La loi souhaite que la légitime défense ne puisse pas constituer une vengeance personnelle. La vengeance relève d’une volonté de faire payer l’autre pour ce qu’il ou elle a fait. Elle peut survenir après l’agression, de manière planifiée, froide ou excessive.
La légitime défense, au contraire, ne peut intervenir que face à un danger immédiat, injuste et réel. Elle vise à neutraliser une menace, pas à punir l’agresseur.e. Dès que la menace disparaît, le droit ne tolère plus la violence.
5.2 Pourquoi ? Parce que seule la justice peut rendre la justice.
Dans un État de droit, ce sont les institutions judiciaires, indépendantes et impartiales, qui sont chargées de dire le droit et de punir les infractions. C’est le cœur même du contrat social : chaque citoyen.ne renonce à se faire justice soi-même en échange de la promesse que l’État le ou la protègera, et sanctionnera les auteur.e.s d’infractions.
Le système légal belge estime qu’autoriser chacun.e à rendre sa propre justice conduirait à des escalades de violence et à des injustices plus grandes encore, notamment contre les personnes les plus vulnérables.
5.3 La légitime défense : un équilibre fragile entre protection et sécurité collective
La légitime défense est donc une exception, permise uniquement dans des conditions strictes, pour préserver la sécurité de la personne menacée sans mettre en péril la stabilité de la société.
Il faut constamment trouver le juste équilibre entre différents éléments.
Ainsi, le droit protège la vie et l’intégrité physique des personnes menacées. Il estime qu’on a le droit de ne pas se laisser tuer ou agresser.
Mais, il assure aussi les garanties du procès équitable. En effet, même les agresseur.e.s ont droit à un procès juste. D’autant qu’ils/elles sont présumé.e.s innocent.e.s jusqu’à preuve du contraire.
Enfin, le droit encadre la paix sociale et la sécurité collective. Il s’agit du contrat social qui permet aux citoyen.ne.s de vivre ensemble. Or, le droit tel qu’il existe en Belgique considère que la vengeance ouvrirait la porte à la violence généralisée.
5.4 Une tension constante : droits des victimes contre garanties des personnes poursuivies
Ce principe met en lumière une tension difficile, mais essentielle dans une démocratie :
Comment permettre aux victimes de se défendre, sans autoriser que chacun.e se transforme en justicier/justicière ?
Dans cette optique, les magistrat.e.s doivent toujours analyser le contexte de manière fine. C’est pourquoi le procès reste indispensable, même pour une victime. Il permet une évaluation juste et impartiale des faits.
Ainsi, la légitime défense existe pour protéger les individus en danger, sans légitimer la vengeance. Ce principe est une exception au monopole de la violence légitime détenu par l’État, encadrée strictement. Il reflète un compromis démocratique : entre la protection des droits des victimes et le respect des principes fondamentaux du droit pénal, comme la présomption d’innocence ou le procès équitable.
6 En pratique : que se passe-t-il si je dis « je me suis défendu.e » ?
On t’a agressé.e. Tu t’es défendu.e. Mais voilà : l’autre est blessé.e. Ou pire, mort.e. Et maintenant, c’est toi qui risques une plainte, une enquête ou un procès.
Alors… que se passe-t-il quand on dit à la police : « J’ai agi en légitime défense » ? Est-ce que c’est suffisant pour te protéger ?
Spoiler : non, pas automatiquement.
Examinons ça plus en détail.
6.1 Le rôle de la police et du parquet
D’abord, revenons à une évidence. La légitime défense ne concerne que les cas qui pourraient mener à une condamnation pénale. Ainsi, si tu as agi de manière légitime et proportionnée à une agression sans commettre d’infraction, personne ne te demandera de rendre des comptes.
En revanche, dès qu’il y a une infraction, en principe, la police doit intervenir. Et même si tu dis « je me suis défendu.e », les forces de l’ordre ne vont pas te croire sur parole.
Elles vont mener une enquête. Cela implique de :
- constater les faits ;
- entendre les éventuel.le.s témoins ;
- recueillir les éventuelles preuves (vidéosurveillance, messages, traces physiques…) ;
- t’interroger ;
- et transmettre leur rapport au parquet (le/la procureur.e).
Le rôle du parquet consiste ensuite à décider s’il y a matière à poursuites ou si ton acte peut sembler justifié dès le départ. Ainsi, le parquet peut classer le dossier sans suite. Mais il peut aussi décider de te poursuivre, même si tu invoques la légitime défense.
6.2 L’enquête : la justice ne se contente pas d’une déclaration
On l’a dit, invoquer la légitime défense ne suffit pas.
La justice veut savoir si les trois conditions sont réellement réunies :
- Agression réelle, actuelle et injuste ;
- Nécessité immédiate de se défendre ;
- Riposte proportionnée.
Pour cela, une enquête est généralement ouverte. Selon les cas, elle peut inclure des expertises médicales (blessures, traces…), des confrontations entre les personnes impliquées ou encore des reconstitutions des faits, par exemple.
L’objectif est de vérifier ce qui s’est passé exactement et si ta réaction était justifiée dans le cadre de la loi.
6.3 Peut-on être poursuivi.e même en cas de légitime défense ?
Oui. Même si tu dis la vérité, même si tu es traumatisé.e, même si tout le monde autour te dit que tu as bien fait. Oui, tu peux être poursuivi.e.
Pourquoi ? Parce que le cadre de la légitime défense est très strict. Et que dans le doute, la justice préfère vérifier plutôt que de laisser passer une possible infraction violente.
Rappelle-toi l’article du Code pénal qui définit la légitime défense. Il précise d’emblée que personne n’a le droit de se faire justice soi-même. Il s’agit d’un principe de droit auquel la justice tient beaucoup.
6.4 Le déroulement typique d’un dossier
On ne peut pas affirmer que les choses se passeront forcément de la sorte. Il peut y avoir toute une série d’exceptions dans un dossier particulier qui expliquent des différences.
Cependant, nous te proposons de retracer les étapes habituelles d’un cas de légitime défense.
Un incident a lieu. La personne s’est défendue et elle a blessé son agresseur. Elle appelle les urgences et s’assure que l’agresseur n’est pas en danger.
La police intervient. Elle recueille les premières informations. Et elle envoie le dossier au parquet. Celui-ci décide s’il faut approfondir l’enquête, poursuivre la personne qui s’est défendue ou encore classer le dossier sans suite.
S’il choisit de classer le dossier, il ne se passe plus rien. Mais, le parquet peut décider de rouvrir le dossier s’il découvre de nouveaux éléments.
Si le parquet choisit d’approfondir l’enquête, des devoirs d’enquête auront lieu. Il peut s’agir, on l’a dit, d’une expertise médicale, par exemple. Ou la recherche d’éléments de preuve comme des caméras de vidéosurveillance qui auraient pu enregistrer la scène. Cette enquête permet au parquet d’affiner sa décision : classer l’affaire ou poursuivre la personne.
Si le parquet décide de poursuivre, le dossier est transmis au tribunal correctionnel. (Dans de rares cas, ce sera plutôt à la cour d’assises de juger.)
Le procès démarre. À la fin, le/la juge analyse les circonstances et décide si la personne est coupable ou acquittée au nom de la légitime défense.
Si la justice reconnaît la légitime défense, la personne ne sera donc pas condamnée. Elle ne devra pas indemniser son agresseur. Et, cerise sur le gâteau, elle n’aura pas de casier judiciaire.
6.5 L’importance des éléments de preuve
Il y a différentes preuves qui peuvent avoir des conséquences sur la décision finale. Ainsi, pensons par exemple à :
- Un ou plusieurs témoignages ;
- Une vidéo de l’agression ;
- Des certificats médicaux ;
- Ton comportement juste après les faits (fuite, appel à l’aide, aveux, etc.) ;
- Le fait que tu sois resté.e sur place et que tu aies coopéré.
La justice se base moins sur ton ressenti et plus sur ce qu’elle peut objectiver et prouver.
7 Les armes en situation de légitime défense : ce que dit la loi
Quand on parle de légitime défense, une question revient souvent : « Ai-je le droit de me défendre avec un objet ? » ou encore « Cet objet est-il considéré comme une arme ? ».
La réponse dépend en partie de l’objet lui-même et en partie de la manière dont il est utilisé.
En droit pénal belge, on distingue notamment les armes blanches et les armes dites « par destination », parfois aussi appelées armes d’opportunité.
7.1 Qu’est-ce qu’une arme blanche ?
Une arme blanche est un objet conçu ou détourné pour blesser, menacer ou tuer sans utiliser de mécanisme à feu. Elle agit par coupure, piqûre, choc ou tranchage. Par opposition, on trouve les armes à feu.
Juridiquement, la catégorie des armes blanches inclut non seulement les armes classiques comme les poignards, les couteaux, les épées, les sabres ou les baïonnettes, mais aussi des objets plus ordinaires, comme les cutters, les tournevis ou encore les barres de fer.
Ce qui compte, ce n’est pas uniquement la nature de l’objet, mais l’usage qui en est fait. Un couteau de cuisine n’est pas une arme, en principe. Il sert à cuisiner… sauf si tu l’utilises pour blesser quelqu’un.e. Dans ce cas, il devient une arme blanche au sens de la loi.
Ainsi, si tu détiens un objet dans le but de te défendre au moyen de cet objet, cela devient une arme blanche. C’est le cas des bombes au poivre, par exemple. Elles ne sont conçues que dans le but de mettre une personne en incapacité (temporaire) de continuer ce qu’elle faisait. Si tu te défends avec une bombe au poivre, la justice va donc considérer que tu as utilisé une arme blanche.
Or, il faut détenir un permis de port d’arme pour se balader avec une arme blanche sur soi. Tu risqueras donc des poursuites pour port d’arme prohibé.
7.2 Qu’est-ce qu’une arme par destination (ou d’opportunité) ?
Une arme par destination, aussi appelée arme d’opportunité, désigne un objet qui n’est pas conçu pour blesser, mais qui devient une arme dans un contexte particulier, souvent sous l’effet de l’urgence ou de la panique.
Par exemple, si tu te retrouves face à un danger et que tu saisis ce que tu as sous la main pour te défendre, tu utilises une arme d’opportunité.
Voici quelques exemples courants :
- une chaise ;
- une bouteille en verre ;
- une lampe ;
- un stylo ;
- une pierre ;
- un balai ;
- une poêle ou une casserole ;
- un téléphone.
Ce type d’arme n’est pas un objet qui a été conçu pour servir d’arme. Tu ne sors pas dans la rue avec une poêle dans ton sac pour te battre. Mais dans une situation d’agression, tu peux l’utiliser pour te défendre. Et c’est là qu’elle devient une arme au sens juridique.
Ce n’est donc pas l’objet en lui-même qui fait l’arme. C’est le contexte et l’intention d’en faire un usage offensif ou défensif.
Par exemple, si tu utilises un déodorant en spray contre ton agresseur, la justice considèrera qu’il s’agit d’une arme par destination. Sauf si elle arrive à prouver que tu possédais ce déodorant dans l’unique but de l’utiliser comme arme.
Si on reprend l’exemple du couteau, la justice pourrait le considérer comme une arme par destination. Imagine que tu transportes un panier de pique-nique. Et dans ce dernier se trouvent des couteaux. Tu les transportes, à la base, uniquement pour manger ton repas. Mais, tu subis une agression et tu en utilises un pour te défendre. Le couteau n’était pas destiné à blesser. Mais, il a été détourné en arme, par la force des choses. Ce sera alors une arme par destination.
7.3 Pourquoi cette distinction est importante en cas de légitime défense ?
Dans l’analyse juridique d’un acte de légitime défense, le type d’objet utilisé peut jouer un rôle dans l’appréciation de la proportionnalité de ta riposte.
Utiliser une arme blanche déjà en ta possession peut susciter plus de prudence de la part des juges, surtout si l’agression ne semblait pas violente ou immédiate. À l’inverse, l’usage d’une arme d’opportunité, dans la panique ou pour survivre, peut renforcer la crédibilité de ta défense, surtout si les autres conditions sont réunies (danger réel, immédiat, riposte nécessaire et proportionnée).
8 La légitime défense : des cas concrets pour mieux comprendre
La légitime défense peut sembler claire dans les livres… mais dans la vraie vie, c’est souvent plus flou. Et quand on vit une situation violente ou stressante, il n’est pas toujours facile de savoir si notre réaction sera considérée comme légitime par la justice.
Dans cette section, on te propose une série de situations concrètes, tirées de questions posées par des participantes lors de stage d’autodéfense.
Tu peux cliquer sur chaque cas pour voir si la réponse relève ou non de la légitime défense en droit belge et pourquoi.
Notre objectif est de t’aider à mieux repérer les nuances, comprendre ce que la loi permet, ce qu’elle refuse et ce qui reste discutable.
ATTENTION : J’attire ton attention sur le fait que les mises en situation ci-dessous contiennent des descriptions de faits d’agression et de violences sexuelles qui peuvent heurter. Préserve-toi et n’hésite pas à prendre un temps pour toi afin de te ressourcer. C’est légitime de le faire. Car parler de violence remue et pompe une partie de notre énergie.
Yamina, 34 ans, sort du cinéma, à Mons, un soir d’hiver. En passant dans une ruelle, un homme l’agrippe soudainement. Il tente de lui voler son sac. Elle sent une pression physique et entend des menaces. Paniquée, elle lui donne un violent coup de genou pour se dégager. L’homme tombe au sol, gravement blessé. Il finira à l’hôpital avec une fracture. Quelques minutes plus tard, la police arrive. Yamina explique qu’elle s’est défendue.
Peut-elle malgré tout être poursuivie pour violences ?
Réponse juridique
Oui, Yamina peut être poursuivie. Car, on l’a vu, la légitime défense n’est pas automatiquement reconnue. Même si la personne a agi pour se protéger, une enquête peut être ouverte. Et le parquet peut décider d’engager des poursuites.
Ce qui peut plaider en faveur de la légitime défense
L’agression semble réelle, injuste et actuelle.
Elle est « réelle », car il s’agit d’une agression physique. Yamina n’a pas simplement eu peur. L’agresseur a tenté de lui arracher son sac.
Elle est « injuste », car Yamina a été surprise par une tentative de vol avec contact physique et menace. Elle n’a pas agressé elle-même l’autre avant le vol.
L’agression est « actuelle », car sa réaction a été immédiate.
Yamina n’avait pas vraiment d’autre choix que de réagir. Elle n’a pas anticipé le vol. Elle n’a donc pas pu fuir avant qu’il ne se produise.
De plus, elle n’a donné qu’un coup de genou. Elle ne s’est pas acharnée sur son agresseur. Certes, la puissance du coup l’a envoyé à l’hôpital. Cependant, Yamina pourra plaider que sa défense était proportionnelle à l’agression.
Et elle n’a pas utilisé une arme. Elle a simplement frappé pour se dégager.
En outre, elle peut ajouter que l’agression s’est produite dans un lieu isolé. Cela rend l’agression encore plus stressante.
Ce qui peut poser problème
La gravité de la blessure infligée peut être perçue comme excessive, surtout si l’agresseur n’était pas armé. Si la réaction semble aller au-delà de ce qui était nécessaire pour faire cesser l’agression, le/la juge peut estimer que la riposte n’était pas proportionnée.
Ce que dit la jurisprudence ou la logique de la loi
La Cour de cassation rappelle régulièrement que la légitime défense exige une agression actuelle, injuste et une réponse nécessaire et proportionnée. Une blessure grave peut être admise si la personne se défendait d’un danger sérieux ou vital. Mais une réaction trop violente, dans un contexte où la fuite ou une riposte moins dommageable était possible, peut faire tomber la défense.
Conseil pratique à retenir
Même si tu agis pour te défendre, il faut pouvoir expliquer clairement ce que tu as vécu, ce que tu as ressenti et pourquoi tu n’avais pas d’autre choix. Coopérer avec les autorités, signaler immédiatement l’agression et demander un.e avocat.e sont des réflexes essentiels. La peur est légitime, mais seule une réaction mesurée sera juridiquement reconnue.
Myriam, 52 ans, vit seule dans un appartement au rez-de-chaussée d’un immeuble de Charleroi. Un soir, un homme qu’elle ne connaît pas pénètre brutalement chez elle en forçant la porte. Il n’est pas armé. Mais, il se montre menaçant. Myriam, paniquée, saisit un pied de lampe posé à côté du canapé et le frappe à la tête. L’homme s’effondre et reste au sol. Elle appelle la police.
Peut-elle être poursuivie pour l’avoir blessé, alors qu’elle s’est défendue chez elle ?
Réponse juridique
Oui. On l’a vu, la reconnaissance de la légitime défense n’est pas automatique. Même dans un contexte d’agression à domicile, une personne qui se défend peut faire l’objet de poursuites judiciaires, surtout si des blessures graves sont infligées.
Ce qui peut plaider en faveur de la légitime défense
L’agression semble bien réelle, soudaine et illégitime. L’homme est entré sans autorisation et s’est montré menaçant. Myriam était seule, sans moyen de fuite ni possibilité d’appeler de l’aide. Sa réaction a été immédiate. Et elle a utilisé un objet domestique à portée de main. Le lieu, son domicile, renforce la légitimité de la riposte de Myriam selon la logique du droit belge.
Ce qui peut poser problème
La disproportion entre la menace (un homme non armé) et la riposte (un coup violent à la tête) peut soulever des questions. Si Myriam continue à frapper alors que l’agresseur est déjà à terre, la justification pourrait être écartée. Il en va de même s’il ressort que l’homme était en fuite au moment du coup.
Ce que dit la jurisprudence ou la logique de la loi
L’ancien article 417 du Code pénal établit une présomption de légitime défense en cas d’intrusion illégale dans une habitation, surtout la nuit. Mais, le nouvel article 14 du Code pénal n’a pas repris cette présomption. Cependant, il ressort des débats parlementaires que l’objectif du législateur est de maintenir les règles antérieures.
On verra comment les juges interprètent ce nouveau Code pénal. Pour rappel, il sera applicable à partir d’avril 2026.
Reprenons, pour l’instant, les règles de l’article 417, toujours applicable. Le Code prévoit donc une présomption lorsqu’il y a intrusion dans une habitation. Toutefois, cette présomption n’est pas absolue. Le/la juge peut l’écarter si la réaction est manifestement excessive ou si le danger n’était pas sérieux.
Le/la juge évalue la nécessité et la proportionnalité de la riposte. En pratique, les magistrat.e.s doivent tenir compte du contexte : vulnérabilité, isolement, panique et environnement du domicile.
Conseil pratique à retenir
Se défendre chez soi face à une intrusion est un droit. Même si la riposte doit rester mesurée. En cas d’agression, il faut que tu expliques clairement ce que tu as vécu, sans minimiser ni exagérer. Note le moment, la manière dont la personne est entrée, ce que tu as ressenti. Et surtout, contacte immédiatement un.e avocat.e. Plus tu peux montrer que tu n’avais pas le choix, plus la légitime défense sera prise au sérieux.
Fatou, 25 ans, rentre chez elle à pied après une soirée entre amies, à Liège. Elle héberge un de ses amis, Frédéric, pour la nuit. Arrivé à l’appartement de Fatou, Frédéric la plaque au sol et tente de la violer. Elle se débat, réussit à libérer un bras et le frappe violemment à la gorge. Il s’effondre et ne se relève pas. Fatou appelle les secours, en état de choc. À l’arrivée des secours, Frédéric est mort.
Peut-elle être poursuivie pour avoir tué son agresseur alors qu’elle était en train de se défendre ?
Réponse juridique
Oui. Même en cas de tentative de viol, et même si l’agression semble évidente, la personne qui tue en se défendant peut faire l’objet de poursuites.
En Belgique, toute mort violente fait l’objet d’une enquête pénale. Le parquet doit vérifier si les conditions de la légitime défense sont remplies. Mais si la légitime défense est reconnue, aucune condamnation ne peut être prononcée. La personne sera acquittée et protégée de toute responsabilité pénale et civile.
Ce qui peut plaider en faveur de la légitime défense
La tentative de viol constitue une agression extrêmement grave, actuelle, injuste et violente. Elle est réelle, car elle met en danger l’intégrité physique et sexuelle de Fatou. Elle est injuste, car rien ne justifie jamais un viol. De plus, elle est actuelle, car elle a lieu au moment où Fatou réagit.
La riposte de Fatou est immédiate, instinctive. Elle vise à faire cesser le danger.
Elle n’a utilisé aucune arme, seulement son corps. Sans oublier qu’elle se trouvait dans une situation où elle n’avait aucune issue possible.
Sa réaction peut donc être perçue comme une réponse nécessaire et proportionnée à une atteinte très sérieuse à son intégrité physique et à sa vie.
Ce qui peut poser problème
Le principal enjeu juridique portera sur la proportionnalité de la riposte. Un coup mortel peut être vu comme excessif si, par exemple, Frédéric était déjà en fuite. Il en va de même si Fatou continue à le frapper alors que le danger est écarté. Les émotions, la panique ou l’instinct de survie ne suffisent pas toujours à convaincre, surtout si les faits sont flous ou mal documentés.
Ce que dit la jurisprudence ou la logique de la loi
La jurisprudence belge reconnaît que les tentatives de viol constituent des agressions pouvant justifier une riposte violente, y compris mortelle, dans certaines circonstances. La Cour de cassation admet que la peur, la sidération ou la panique peuvent expliquer des gestes extrêmement violents. Toutefois, chaque cas est évalué spécifiquement. Et la légitime défense n’est pas automatiquement retenue.
Conseil pratique à retenir
Même si tu as agi pour sauver ta vie ou ton intégrité, explique chaque détail : ce que tu as ressenti, ce que tu as vu, ce que tu as fait. Entoure-toi d’un.e avocat.e dès les premières heures. Si tu as été victime de tentative de viol, ta parole mérite d’être entendue.
En principe, la justice ne doit pas protéger les violeurs contre la riposte légitime de leurs victimes. Mais elle demande de prouver que cette riposte était justifiée, immédiate et mesurée dans les circonstances. Tu n’es pas seul.e.
Inès a 36 ans. Elle vit depuis plusieurs années avec son compagnon, Georges, dans une maison en périphérie de Namur. Un soir, après une dispute, Georges tente de la contraindre à une relation sexuelle sans son consentement. Elle résiste, le repousse, il force. Paniquée, elle attrape une lampe de chevet et le frappe à la tête. Il meurt sur le coup.
Peut-elle être poursuivie pour homicide, alors qu’elle s’est défendue dans le cadre d’un viol conjugal ?
Réponse juridique
Oui. Même dans une situation de tentative de viol par son conjoint, Inès peut être poursuivie, surtout si elle le tue.
Toute mort violente donne lieu à une enquête judiciaire en Belgique.
Ce qui peut plaider en faveur de la légitime défense
La tentative de viol, y compris dans un couple, est une agression grave, injuste et interdite par la loi. Inès a réagi immédiatement, dans un contexte de grande vulnérabilité, avec l’objet le plus proche, sans préméditation.
Elle n’avait ni issue ni aide extérieure possible. Et sa vie ou son intégrité physique et psychique étaient en danger. La riposte, bien que mortelle, peut être perçue comme strictement nécessaire pour stopper l’agression.
Ce qui peut poser problème
La relation intime entre les deux personnes peut complexifier la lecture judiciaire des faits, surtout si l’agresseur nie les faits ou s’il n’y a pas de témoin. La justice évalue la proportionnalité du geste : si les coups ont été portés alors que l’agression était déjà écartée (par exemple, s’il s’était éloigné), la légitime défense pourrait être contestée. L’usage d’un objet potentiellement létal est aussi scruté à la loupe.
Ce que dit la jurisprudence ou la logique de la loi
La justice belge ne fait plus de distinction entre un viol commis par un inconnu ou par un conjoint. Le viol conjugal est puni au même titre. Et la légitime défense peut tout à fait s’appliquer dans ce contexte. Les tribunaux reconnaissent également de plus en plus l’effet de sidération, la panique, la peur intense et le déséquilibre de forces dans un huis clos conjugal.
Conseil pratique à retenir
Le viol conjugal est une violence punissable. Tu as le droit de te défendre, même au sein du couple, même avec un objet. Si tu as dû poser un geste extrême pour survivre, explique clairement ce que tu as vécu, ce que tu as ressenti et ce que tu redoutais.
Fais-toi accompagner dès le début par un.e avocat.e. La justice peut reconnaître ta défense comme légitime, à condition de démontrer que tu n’avais pas d’autre choix.
Malika, 42 ans, est agressée dans un parking souterrain de Bruxelles. L’homme tente de la plaquer au sol. Elle réussit à lui asséner un coup violent avec son sac à main, qui contient un thermos métallique. L’agresseur tombe et se fracture le bras. Quelques semaines plus tard, elle apprend qu’il a porté plainte contre elle… et réclame des dommages et intérêts pour ses soins.
Est-ce possible ?
Réponse juridique
Oui. En Belgique, même un agresseur peut techniquement porter plainte et réclamer une indemnisation. Il peut invoquer un préjudice corporel, même s’il a lui-même initié la violence. Mais cela ne veut pas dire qu’il a raison ni qu’il obtiendra gain de cause.
Malika peut invoquer la légitime défense. Cela justifierait son acte du point de vue pénal, mais aussi civil.
Si la justice reconnaît la légitime défense, Malika ne devra rien payer à son agresseur. Et ce, même s’il est sérieusement blessé.
Ce qui peut plaider en faveur de la légitime défense
Malika a réagi face à une agression réelle, actuelle et injuste. Elle n’avait pas d’autre moyen de se protéger. De plus, sa riposte était proportionnée.
En outre, bloquée devant sa voiture, Malika pouvait difficilement s’enfuir.
Ce qui peut poser problème
Son agresseur pourrait invoquer qu’elle a continué à frapper bien qu’il ait fui. Dans ce cas, la légitime défense peut être écartée. Et la justice peut conclure qu’elle a commis une faute. Cela ouvre la porte à une responsabilité civile, donc au remboursement éventuel des frais médicaux de l’agresseur.
Conseil pratique à retenir
Même si l’autre t’a agressé.e, il peut tenter d’inverser les rôles et de se faire passer pour la victime. C’est injuste, mais possible.
Documente bien les faits (photos, témoins, dépôt de plainte rapide). En cas de poursuite, l’enjeu est de prouver que tu as agi pour te protéger et non pour te venger.
Si tu es en légitime défense, tu ne dois, légalement, rien à ton agresseur. Ni excuses. Ni argent.
Aliénor, 35 ans, subit une agression violente dans la cage d’escalier de son immeuble de Verviers. Son agresseur, Jean-Claude, est son voisin qu’elle a éconduit quelques semaines auparavant. Il tente de l’étrangler. Elle parvient à se libérer et le pousse violemment dans les escaliers. Il meurt de ses blessures. Quelques semaines plus tard, la famille de Jean-Claude dépose plainte au civil. Elle réclame une compensation pour son préjudice moral.
Est-ce possible ?
Réponse juridique
En principe, oui. La famille de Jean-Claude peut entamer une action en responsabilité civile contre Aliénor pour demander des dommages et intérêts. Mais cela ne veut pas dire qu’elle obtiendra gain de cause.
Tout dépend de la reconnaissance, ou non, de la légitime défense. En effet, si la justice reconnaît la légitime défense, Aliénor ne devra rien indemniser.
Ce qui peut plaider en faveur de la légitime défense
Aliénor s’est défendue contre une agression réelle, actuelle et injuste. Au moment de sa défense, Jean-Claude était en train de l’agresser. Et un râteau n’a jamais justifié une agression.
Au moment de l’agression, Aliénor se trouvait dans sa cage d’escalier et n’avait pas d’autre moyen de fuir. De plus, sa riposte était nécessaire et proportionnée. Il n’y a pas eu d’acharnement. Aliénor l’a seulement repoussé. Et cela a entraîné sa chute.
Ce qui peut poser problème
Si la justice considère que l’agression était terminée au moment du geste fatal, la légitime défense peut être écartée. Par exemple, si Aliénor a frappé ou poussé une fois le danger écarté. Dans ce cas, la famille peut effectivement obtenir réparation, sur la base de la responsabilité civile extracontractuelle.
Conseil pratique à retenir
Même si tu agis pour te défendre, la mort de ton agresseur peut entraîner une action civile de la part de ses proches. La meilleure protection reste de documenter les faits, porter plainte immédiatement et te faire accompagner par un.e avocat.e.
La reconnaissance de la légitime défense te protège intégralement, même contre les demandes de la famille. Sans elle, tu pourrais être tenu.e responsable même si tu étais victime.
Sophie, 42 ans, subit des violences physiques, sexuelles et psychologiques de la part de son compagnon, Maxime, depuis plus de dix ans. Il la frappe, la viole, l’humilie, la menace de mort. Elle vit dans la peur constante. Une nuit, alors qu’il dort profondément, elle l’attaque avec un couteau. Il meurt sur le coup. Sophie explique qu’elle n’en pouvait plus, qu’elle avait peur d’être tuée et qu’elle n’avait plus aucune issue.
Réponse juridique
Oui. Même si Sophie est victime de violences conjugales, elle peut être poursuivi.e si elle attaque Maxime pendant son sommeil. La légitime défense, en droit belge, ne couvre que les réactions immédiates à une agression actuelle, et pas les violences préventives, même motivées par la peur ou la terreur.
Ce qui peut plaider en faveur de la légitime défense
En réalité… pas grand-chose, sur le plan strictement juridique.
On l’a dit, la légitime défense exige trois conditions cumulatives :
- Une agression injuste, actuelle et grave
- Une nécessité immédiate de riposter (pas d’autre moyen de se protéger)
- Une proportionnalité de la riposte
Dans cette situation, Maxime dort : il n’y a pas d’agression en cours ni de danger immédiat, selon la lecture classique du droit. Donc, la condition d’actualité de l’agression n’est pas remplie.
Ce qui peut poser problème
La justice va probablement considérer que l’acte est prémédité ou vengeur, et donc qu’il sort du cadre de la légitime défense. Il pourrait aussi être vu comme un homicide volontaire (et donc un crime), même s’il est motivé par un vécu de violence.
Conseil pratique à retenir
La légitime défense telle qu’elle est prévue aujourd’hui en Belgique ne couvre pas les violences exercées « à froid », même si elles répondent à des années de violences conjugales.
Si jamais tu es confronté.e à une procédure pénale dans un contexte comme celui-là, ta défense pourra plaider l’état de nécessité, les circonstances atténuantes, voire la contrainte psychologique. Ce n’est pas de la légitime défense au sens strict, mais ce n’est pas non plus un crime « ordinaire ».
Grégory découvre que son voisin agresse sexuellement de son fils de 7 ans. Il a porté plainte plusieurs fois, alerté les services sociaux, rien ne bouge. Pire encore, l’homme continue à vivre à quelques mètres de chez lui, le salue, lui sourit, joue avec d’autres enfants du quartier. Un jour, il craque. Il le frappe violemment.
Réponse juridique
Oui. Même dans ce contexte d’extrême violence psychologique et morale, Grégory peut être poursuivi, car en droit belge, la légitime défense ne s’applique pas à une agression passée ni à une riposte différée, même face à un violeur.
Ce qui peut plaider en faveur de la légitime défense
Malheureusement, rien, en l’état actuel du droit belge, ne permet de qualifier cet acte de légitime défense. La condition essentielle de danger actuel fait défaut. Le violeur n’attaque pas directement Grégory ni son fils, au moment précis où il le frappe. Il s’agit d’un acte de colère, de désespoir, de rage… mais pas d’une riposte à une agression en cours. Grégory n’est pas personnellement en danger, il ne protège pas son enfant dans l’immédiat.
La justice ne reconnaîtra donc ni la nécessité immédiate ni la proportionnalité de la riposte.
Ce qui peut poser problème
Le juge va probablement considérer que son acte est un geste de vengeance ou d’exaspération et non une défense au sens juridique. Il pourrait être poursuivi pour coups et blessures volontaires, même s’ils sont dirigés contre un homme déjà mis en cause.
Ce que dit la jurisprudence ou la logique de la loi
La légitime défense, en Belgique, reste très stricte. Elle ne s’applique pas en prévention ni en réaction différée, même dans les cas d’inceste ou de violences sexuelles.
La Cour de cassation insiste sur l’exigence d’une agression injuste, actuelle et grave. Elle insiste également sur l’importance d’une réponse immédiate et proportionnée.
Mais… Il existe d’autres éléments à faire valoir devant le/la juge :
- La provocation morale extrême, le contexte d’injustice persistante, le retour d’un traumatisme ancien peuvent être évoqués pour demander des circonstances atténuantes.
- L’avocat.e de Grégory pourra tenter d’introduire la notion de contrainte psychique ou de réaction sous emprise traumatique, voire l’état de nécessité, même si ce n’est pas garanti.
Il ne s’agira alors pas de causes de justifications, mais de causes d’excuses. Et comme on l’a vu, ces causes peuvent diminuer la sanction pénale.
Conseil pratique à retenir
La justice belge ne reconnaît pas la vengeance, même face à un violeur impuni, comme une forme de légitime défense.
Mais ton vécu, ta souffrance, le contexte d’inaction judiciaire doivent être entendus, expliqués, défendus si tu es poursuivi.e.
Ne reste pas seul.e. Tu peux contacter une association de soutien aux victimes de violences sexuelles (comme Brise le silence, Femmes de Droit, SOS Viol), une permanence juridique, un.e avocat.e.
9 Les limites du droit et les critiques de la légitime défense
La légitime défense est un droit universel… qui, pourtant, ne protège pas tout le monde de la même manière.
En Belgique, comme ailleurs, la légitime défense est censée garantir le droit fondamental de se protéger contre une violence illégitime. Mais dans la réalité, toutes les personnes n’ont pas toujours accès à cette protection de manière égale.
Certain.e.s sont poursuivi.e.s et condamné.e.s alors qu’ils/elles ont agi pour se sauver. Pourquoi ? Parce que le droit pénal reste construit autour d’un idéal. Celui d’une victime « parfaite », sans passé, sans trouble, sans colère, qui réagit juste comme il faut, au bon moment, avec la bonne dose de force. Mais la vraie vie est rarement aussi nette.
9.1 La légitime défense prend-elle en compte les violences sexistes et racistes ?
La légitime défense repose sur un modèle qui se veut « neutre », individualiste et immédiat de la violence. Mais ce modèle ne prend presque jamais en compte les violences systémiques que vivent certaines personnes dans leur quotidien.
Prenons l’exemple des femmes victimes de violences conjugales. Elles vivent souvent une menace constante, un contrôle permanent, des violences qui se répètent depuis des mois, voire des années. Pourtant, si elles se défendent à un moment où l’agression ne semble pas « immédiate », la justice considère leur réaction comme illégale.
Même chose pour les personnes racisées ou en situation de handicap. Leur vécu quotidien de la peur, du harcèlement, du racisme systémique ou du validisme n’est pas reconnu comme un contexte pertinent. Pourtant, ces violences pèsent sur la perception du danger, sur la réaction et sur les moyens de défense disponibles. L’article de Manon L’Hoir et Inés Andrade Pascal sur la question des micro-agressions éclaire le sujet.
Or, le droit belge reste focalisé sur une vision très étroite de la menace : une attaque brutale, soudaine, physique, souvent d’un inconnu.
Et elle écarte ou minimise toute autre forme de violence, psychologique, symbolique ou répétée.
Ce manque de prise en compte structurelle crée une injustice profonde. Les personnes les plus exposées à la violence sont aussi celles pour qui il est le plus difficile de faire reconnaître la légitime défense. En effet, ce sont elles qui subissent le plus de violences. Et donc elles qui risquent le plus de devoir se défendre.
Plusieurs associations féministes, antiracistes et de défense des droits humains dénoncent cette vision réductrice. Elles appellent à une réforme du droit de la légitime défense pour intégrer le contexte global dans lequel surviennent certaines réactions de survie.
9.2 Une application inégalitaire dans les faits : pourquoi la légitime défense n’est pas un droit égal pour tou.te.s ?
Sur le papier, la légitime défense est un droit qui vaut pour tou.te.s. Mais en pratique, certaines personnes voient leur parole moins entendue, leurs actes moins compris, leur peur moins crédible.
Des chercheurs et chercheuses, des avocat.e.s et des associations de terrain ont documenté ce décalage, bien réel.
Mais pourquoi la légitime défense n’est-elle pas toujours reconnue de la même manière ?
Revenons sur le cas des femmes victimes de violences conjugales. Beaucoup d’entre elles ont été condamnées pour avoir osé se défendre, parfois après des années de coups et d’humiliations. La justice leur reproche souvent d’avoir frappé « trop fort », ou « trop tard » ou d’avoir attaqué un homme « désarmé ». Elle oublie ainsi que ces femmes étaient terrifiées, isolées et sans échappatoire réel.
Le système judiciaire attend encore souvent de la part des femmes une réaction « parfaite » : calme, mesurée, rapide, sans colère, sans improvisation.
Or, se défendre en état de panique ou d’effondrement, c’est aussi une réalité. Une réalité pourtant peu reconnue dans les tribunaux.
De même, les personnes LGBTQIA+, les personnes trans, les personnes précaires ou en situation de handicap, les personnes racisées ou perçues comme « dangereuses » peuvent être moins crues, moins protégées, plus vite poursuivies, même lorsqu’elles n’avaient d’autre choix que de se défendre.
Ainsi, le droit à la légitime défense est structurellement inégalitaire, car il est jugé par des humain.e.s, avec leurs biais, leurs stéréotypes et leurs représentations de la « bonne victime » et du « bon citoyen » ou de la « bonne citoyenne ». C’est une réalité qu’il faut nommer, pour mieux la contester.
9.3 Un droit strictement encadré : la légitime défense n’est pas une carte blanche
La légitime défense est un droit fondamental, mais ce n’est pas un droit absolu.
Elle est soumise à des conditions très strictes, fixées par la loi et interprétées par les tribunaux. Ce cadre rigoureux a pour but, en principe, d’éviter les dérapages. Mais il peut aussi devenir un piège pour les personnes qui se défendent dans l’urgence.
On l’a dit, la justice impose trois conditions cumulatives :
- Une agression réelle, actuelle et injuste ;
- Une riposte nécessaire, faute d’alternative ;
- Une réponse proportionnée à la menace.
Mais dans certaines situations, ces critères sont difficiles à prouver.
Par exemple, lors de violences conjugales répétées, il peut être compliqué de démontrer que l’agression était « actuelle ». Surtout si la personne ne trouve le courage de se défendre que lorsque l’agresseur dort ou ne frappe pas « sur le moment ».
De plus, il existe plein de situations de déséquilibre de force. Ce déséquilibre entraîne pour conséquence que la victime est vulnérable. Or, une personne qui utilise un objet contondant peut être accusée de « disproportion », même si elle n’avait aucun autre moyen de se protéger.
De plus, en cas de violence systémique (harcèlement policier, racisme, transphobie, etc.), la justice peine à reconnaître le climat de menace permanente vécu par la victime.
En d’autres termes, la légitime défense est pensée pour des situations « idéales », où l’agression est nette, brutale, ponctuelle… alors que la réalité est souvent floue, ambivalente et étalée dans le temps.
Ce décalage rend l’application du droit difficile, voire injuste, dans de nombreux cas. Car, si la loi prévoit ce droit, son application reste exigeante et parfois trop rigide.
C’est pourquoi de nombreuses voix appellent à une évolution des textes, pour mieux reconnaître la complexité des situations vécues, notamment par les femmes et les minorités.
9.4 Pourquoi les stéréotypes sur les femmes faussent l’analyse de la légitime défense ?
Quand une femme se défend, la société doute. Et parfois, la justice aussi.
Et pour cause. Les représentations collectives sur les femmes s’invitent jusque dans les tribunaux. Elles sont perçues comme passives, douces, protectrices et maternelles.
Or, une femme qui agit avec force, qui riposte et qui blesse ou tue pour se défendre, heurte les imaginaires.
À l’inverse, la justice perçoit l’homme qui se défend comme courageux, protecteur, viril. Son acte paraît logique, instinctif, défensif.
Il bénéficie d’un imaginaire qui valide la violence alors que les femmes doivent justifier non seulement leur geste, mais aussi leurs émotions, leur légitimité à s’indigner, à crier, à frapper.
Ces stéréotypes genrés entraînent des conséquences importantes et graves :
- On doute plus facilement des femmes qui invoquent la légitime défense. Il en va de même de toutes les minorités, d’ailleurs.
- On juge leurs actes comme excessifs. Pourtant, ces mêmes gestes seraient vus comme proportionnés s’ils venaient d’un homme blanc hétérosexuel.
- On minimise leur vécu. On voit les violences conjugales comme des disputes, les agressions sexuelles comme des malentendus. La notion de violence s’efface derrière celle de conflit.
- On exige d’elles un contrôle émotionnel irréaliste, même en situation de terreur ou de panique.
En Belgique comme ailleurs, de nombreuses femmes victimes ont été condamnées pour s’être défendues. Parce qu’elles ont frappé trop fort, trop tôt ou trop tard. Qu’elles n’ont pas fui. Qu’elles ont utilisé un objet. Ou qu’elles n’ont pas « attendu » que la violence recommence une fois encore.
On le voit, la justice n’est pas neutre. Les stéréotypes sur les femmes influencent l’analyse de leur comportement. Pour que la légitime défense protège réellement toutes les victimes, il faut remettre en question les biais sexistes encore trop présents dans l’interprétation du droit.
9.5 La légitime défense, l’état de panique et la situation de survie : vers une évolution du droit ?
9.5.1 Peut-on invoquer la légitime défense en état de panique ou de survie ?
Dans la réalité, on ne se défend pas comme dans les livres. Quand la peur t’envahit, quand ton corps panique, quand tu crois que tu vas mourir, la réaction n’est jamais « parfaite ». On agit sous le choc, dans un état de survie.
Et pourtant… la légitime défense, en droit belge, reste pensée de manière très rationnelle.
Mais qu’en est-il de l’état de sidération ou de panique absolue ? Quand tu vis une agression extrême ? Quand tu as peur de mourir et que tu frappes, fort, sans réfléchir ? Ou quand tu as déjà subi des violences pendant des mois, et qu’un jour, ton corps dit stop ?
Ces situations soulèvent une question cruciale : le droit prend-il vraiment en compte la réalité du traumatisme, du stress extrême et de la peur vitale ?
9.5.2 Ce que les chercheurs/chercheuses et les militant.e.s dénoncent
Ils et elles se basent sur leurs analyses théoriques et leurs constatations de terrain pour dénoncer différents éléments.
Tout d’abord, le droit pénal est souvent trop théorique, déconnecté des réactions humaines réelles en cas d’agression. Pourtant, la science documente à foison ces réactions. Il serait temps que la justice en tienne compte.
Ensuite, il ne reconnaît pas assez les effets cumulatifs des violences dans le temps (violences conjugales, harcèlement, menace constante). Ainsi, il exige une maîtrise émotionnelle difficile à atteindre en situation de danger immédiat ou répété. En réalité, le droit prend la situation des hommes blancs comme référence. Or, les femmes et les hommes ne vivent pas les même réalités. Cela fausse forcément le jeu.
Enfin, le droit ignore souvent les réflexes de survie, comme frapper sans retenue ou agir « à froid » après un épisode de violences répétées. Pourtant, à nouveau, la science documente ces réactions. Mais, la justice y reste aveugle.
9.5.3 Vers une évolution du droit ?
De plus en plus de voix s’élèvent pour que la légitime défense ne soit plus réservée à celles et ceux qui ont gardé leur sang-froid, mais aussi à celles et ceux qui, face à la violence, ont tout simplement cherché à survivre.
Ainsi, des mouvements féministes, antiracistes et de défense des victimes demandent que le droit belge :
- élargisse la notion de légitime défense à certaines situations de panique ou de survie ;
- reconnaisse le cumul des violences comme un facteur déterminant ;
- et prenne en compte les réalités psychotraumatiques dans l’analyse des faits.
9.6 Peut-on invoquer la légitime défense en cas de violences conjugales ?
On l’a dit plusieurs fois, la réponse est claire. Oui, en droit belge, en principe, tu peux invoquer la légitime défense face à un compagnon ou une compagne violent.e. Mais dans les faits, les choses sont souvent plus compliquées.
9.6.1 Comment la légitime défense s’applique actuellement aux situations de violence conjugale ?
La loi ne fait aucune exception liée au lien entre la victime et l’agresseur. Que l’agression vienne d’un.e inconnu.e ou de ton/ta partenaire, tu as le droit de te défendre si tu es en danger. Le Code pénal ne ferme pas la porte à la légitime défense dans le cadre conjugal.
Mais comme toujours, les conditions légales doivent être réunies.
Cependant, dans les situations de violences domestiques, ces trois conditions restent souvent difficiles à démontrer, car :
- Les violences sont répétées, diffuses et en partie psychologiques, donc plus complexes à prouver.
- L’agression peut ne pas sembler flagrante au moment où la victime se défend (pourtant, en l’occurrence, c’est la répétition qui crée le danger).
- La victime est souvent dans une situation d’emprise, de peur constante et d’isolement, ce qui complique l’analyse juridique.
Par exemple, si une femme vit depuis des mois sous les coups et les menaces de mort et qu’un jour, elle frappe son compagnon pendant qu’il dort parce qu’elle se sent en danger imminent… le droit belge ne reconnaît pas cela comme de la légitime défense.
9.6.2 Pourquoi c’est un vrai enjeu politique et féministe ?
Les femmes sont majoritaires parmi les victimes de violences conjugales, mais aussi surreprésentées parmi celles qu’on poursuit après s’être défendues.
Trop souvent, le droit punit les femmes pour ne pas avoir fui « au bon moment », sans reconnaître que fuir est parfois impossible (enfants, menaces, peur, isolement). Cela démontre une méconnaissance flagrante du cycle de la violence et de l’emprise.
Des féministes, des juristes, des associations et des chercheurs/chercheuses demandent qu’on reconnaisse le contexte de violences conjugales comme un cadre spécifique de légitime défense, notamment lorsque la riposte survient après une escalade de violences.
Car, oui, tu peux invoquer la légitime défense si tu te défends face à ton compagnon violent. Mais le combat juridique risque d’être long, rude et injuste. C’est pourquoi il est précieux d’être bien accompagné.e, d’avoir des preuves et d’être soutenu.e.
Le droit évolue, lentement, sous la pression de celles et ceux qui refusent que la violence conjugale soit une prison sans issue. Mais pas encore assez vite pour protéger vraiment les victimes.
9.7 Comment l’injustice donne envie de faire justice à soi-même ?
On l’a dit, le droit ne veut pas que les citoyen.ne.s se fassent justice à elles/eux-mêmes.
Et pourtant, le système judiciaire peine à rendre justice. Le droit reste enfermé dans d’anciennes croyances. Il ne s’ouvre que trop lentement aux découvertes et aux savoirs actuels.
Dès lors, il continue à exiger des éléments de preuve impossibles à fournir. Et en parallèle, il refuse de prendre en compte des éléments qui permettraient de prouver les faits. Sans oublier que l’appareil judiciaire se démarque par sa lenteur…
De quoi déchanter rapidement.
Comment peut-on laisser des situations s’embourber sans donner de réelles solutions aux citoyen.ne.s tout en leur interdisant de se faire justice ?
Nous pensons notamment aux parents d’enfants victimes de violences sexuelles faites aux enfants. Sans la mise en place d’actions rapides et efficaces, il va de soi que ces parents auront envie de se substituer à la justice. Qui peut les en blâmer ? Qui peut regarder son enfant subir de telles violences en attendant patiemment que la justice fasse son travail ? Travail qui peut prendre plusieurs années à se matérialiser.
Ces situations inhumaines doivent mener à une réflexion politique importante. Et à une réforme du système.
9.8 Faut-il réformer la légitime défense en Belgique ?
Après tous ces arguments, sans aucun doute, la réponse est oui. Et nous ne sommes pas les seules à le penser. D’ailleurs, de nombreuses voix plaident pour une réforme en profondeur de la manière dont la légitime défense est pensée et appliquée en droit belge.
Pourquoi ? Parce que le cadre actuel est trop étroit, trop rigide et souvent aveugle aux réalités vécues par les victimes, notamment dans les contextes de violences conjugales, de racisme structurel ou d’inégalités de pouvoir.
Des propositions concrètes circulent déjà, portées par des juristes, des associations, des parlementaires et des mouvements féministes.
9.8.1 Reconnaître les violences structurelles dans l’analyse de la légitime défense
On l’a dit, actuellement, le droit ne tient pas compte des violences systémiques (sexistes, racistes, classistes…) dans lesquelles s’inscrivent certaines agressions.
Nous proposons donc d’ajouter explicitement ces contextes dans l’analyse de la légitime défense.
En outre, nous proposons de permettre une appréciation plus large de l’urgence et de la gravité quand la victime subit des violences répétées.
9.8.2 Intégrer le concept de légitime défense différée ou cumulative
Ce concept permettrait de reconnaître qu’une riposte peut être justifiée même si elle n’est pas strictement instantanée, à condition qu’elle soit une réaction à un danger constant ou à une menace grave durable.
Cela éviterait de criminaliser des femmes qui se défendent quand elles en ont enfin la possibilité (par exemple, quand leur agresseur s’endort).
Cela permettrait que la peur change de camp. Si la justice reconnait la légitime défense dans de pareils cas, les agresseurs réfléchiront peut-être à deux fois avant d’oser agresser.
9.8.3 Former les magistrat.e.s et les forces de l’ordre à ces réalités
La reconnaissance de la légitime défense dans ces contextes dépend beaucoup de la compréhension des violences par les professionnel.le.s.
Nous recommandons donc des formations obligatoires sur les mécanismes d’emprise, la panique traumatique, l’impact du sexisme ou du racisme sur l’analyse du danger.
De plus, il faut des outils pour évaluer le caractère chronique ou insidieux des violences et pas seulement leur intensité ponctuelle.
9.8.4 Soutenir les victimes poursuivies pour s’être défendues
Des femmes (et d’autres personnes vulnérables) continuent d’être condamnées pour avoir tenté de survivre. Il donc nécessaire de créer des fonds de soutien juridique pour les aider à se défendre au tribunal.
En outre, il faut aussi faciliter l’accès à la libération conditionnelle ou à des mesures alternatives pour les personnes condamnées dans ces cas.
10 Conclusion
La légitime défense est une notion au cadre strict. Il se base sur des situations d’agression assez peu réalistes.
L’objectif de ce cadre strict est d’éviter les excès. Le système juridique de notre pays repose sur le principe selon lequel c’est l’institution Justice qui rend la justice. Pas les citoyen.ne.s et citoyen.ne.s.
Dans ce cadre, la légitime défense doit évoluer pour protéger vraiment, pas seulement punir ou exclure.
Il ne s’agit pas d’ouvrir la porte à toutes les violences, mais de reconnaître que le droit ne peut pas être neutre face aux inégalités.
Tant qu’il ne tient pas compte des réalités vécues par les femmes, les personnes racisées, les personnes précaires ou les enfants, le droit à la légitime défense reste un privilège réservé aux plus puissant.e.s.
Cependant, ce sujet ouvre la porte à d’autres réflexions. A quoi devrait servir la justice ? Pourquoi ne pourrait-elle pas être rendue par chaque membre de la société ?
Il existe plein d’autres façons d’imaginer un système juste qui protège. Osons les découvrir et nous en inspirer.
Ahmed Abdelhady et Miriam Ben Jattou
Ressources
Téléchargez la version PDF de cette étude en cliquant sur le lien suivant : 7. Légitime défense
Références juridiques
Code pénal
Notes
[1] P. Criscenzo, « La légitime défense en droit pénal », Actualités en droit belge, août 2016, disponible sur https://www.actualitesdroitbelge.be/droit-penal/droit-penal-abreges-juridiques/la-legitime-defense-en-droit-penal/la-legitime-defense-en-droit-penal.
[2] F. Kuty, Principes généraux du droit pénal belge. Tome II : L’infraction pénale, Droit pénal, Bruxelles, Larcier, 2018, pp. 357‑358.
[3] H. Roland, Lexique juridique des expressions latines, Objectif droit, Paris, LexisNexis, 2021.
[4] F. Kuty, « Examen de jurisprudence (2000 à 2007) », Revue critique de jurisprudence belge, 2020, p. 229.
[5] F. Kuty, « L’illicéité pénale et les causes de justification », in Précis de droit pénal, Bruxelles, Larcier-Intersentia, 2024, pp. 255‑264.
[6] N. Colette-Basecqz et F. Vansiliette, « Les causes de justification, les causes d’exemption de culpabilité, les causes de non-imputabilité et les causes d’excuse selon le projet de Livre 1er du Code pénal », in La réforme du Livre 1er du Code pénal belge, Bruxelles, Larcier, 2018, pp. 57‑108.
[7] I. Mathy et G. Schultz, « L », in Lexique juridique belge, Bruxelles, Larcier, 2021, pp. 237‑250.