Le 4B Movement ; quand les femmes décident de décentrer les hommes de leur vie

Introduction

Le « 4B Movement » est un mouvement féministe. Il naît en Corée du Sud dans les années 2010. D’abord marginal, il attire aujourd’hui une attention croissante. Et, il suscite des réactions contrastées.

Ce mouvement a plusieurs objectifs. Tout d’abord, il vise à encourager l’émancipation des femmes des attentes de la société et du patriarcat. En effet, ces attentes structurent profondément la société sud-coréenne. Ensuite, il vise également à dénoncer des pressions sociales et des rôles genrés traditionnels souvent oppressifs à leur égard.

Que signifie le « 4b Movement » ?

Le « 4b Movement » repose sur quatre principes clés (les « 4B »). Ceux-ci invitent les femmes à refuser certaines normes sociales centrées sur les hommes :

  1. Le biyeonae (비여내) : ne pas sortir avec des hommes
  2. Le bisekseu (비색스) : ne pas avoir de relations sexuelles avec des hommes
  3. Le bihon (비혼) : ne pas se marier avec des hommes
  4. Le bichulsan (비출산) : ne pas avoir d’enfants.

Les partisanes du « 4B Movement » assument pleinement la radicalité de ces principes. Et elles estiment que cette radicalité constitue une réponse légitime face à une société sud-coréenne profondément misogyne et conservatrice.

En outre, les partisanes de ce mouvement perçoivent les hommes comme une menace pour la société. Selon elles, la meilleure chose à faire serait donc d’éviter de les approcher.

Est-ce un mouvement si important ?

Oui. Car, en dépit de son caractère radical, le « 4B Movement » est loin d’être un mouvement marginal.

En effet, il comprend approximativement 50.000 adhérentes en Corée du sud. De plus, il prend également de l’ampleur à l’étranger.

Notamment aux Etats-Unis en 2024. A la suite de la réélection du président Trump et de la victoire du parti Républicain, on voit ce mouvement grandir aux Etats-Unis.

Les débuts du « 4B movement »

Le terme « 4B » émerge des cercles féministes coréens via Twitter, entre 2016 et 2018. Notamment, à la suite de l’affaire du féminicide de Gangnam Station à Séoul, survenu le 17 mai 2016.

Ce jour-là, à la sortie des toilettes publiques d’un bar karaoké à Séoul, un homme de 34 ans a poignardé à mort une femme qu’il n’avait jamais rencontrée auparavant. Il a affirmé plus tard qu’il l’avait fait par haine pour les femmes qui l’avaient ignoré et humilié toute sa vie.

Ce crime a suscité beaucoup d’émoi et de crainte auprès de la population sud-coréenne.

Le phénomène inquiétant des « Molkas »

Parallèlement, la société sud-coréenne se confronte à un problème sociétal massif appelé Molka.

Le terme Molka désigne la prise d’images ou de vidéos de femmes à leur insu.

Ce phénomène de société est très loin d’être marginal.

En effet, entre 2013 et 2018, plus de 30 000 cas de crimes sexuels Molkas ont été recensés via l’usage de caméras cachées dans des espaces publics (cabines d’essayage, toilettes publiques, …). Ces Molkas constituent des crimes numériques basés sur le genre. Ils se retrouvent diffusés dans des groupes numériques.

De nouvelles réformes juridiques ont lieu

Toutefois, malgré cela, les femmes ciblées par ce crime rencontrent des difficultés importantes pour poursuivre les auteurs de ces Molkas au pénal et pour demander réparation au civil. Cela, en partie à cause d’une inégalité entre les genres bien enracinée.

En outre, pour pouvoir obtenir une condamnation, la loi coréenne précise que les images doivent explicitement être à caractère sexuel ou humiliantes.

Par conséquent, ces phénomènes ont entrainé un sentiment de méfiance et de désillusion quant aux rapports femmes-hommes.

De plus, les inégalités de genre restent très persistantes en Corée du Sud. En effet, selon l’OCDE, les femmes sud-coréennes gagnent en moyenne 29 % de moins que les hommes. Et elles effectuent 3,5 fois plus de travail non rémunéré, notamment domestique.

Ces réalités se combinent à une forte pression sociale sur le mariage, la maternité et l’apparence physique. Or cela, renforce le sentiment de lassitude et d’injustice chez de nombreuses femmes.

Ce que nous apprend le « 4B Movement »

Faisons le point sur ce que nous apprend le « 4B Movement »

Un acte de résistance féministe

Au-delà d’un simple appel au célibat, le « 4B Movement » constitue un acte de résistance féministe.

En effet, le « 4B Movement » ne se limite pas à un refus individuel des relations avec les hommes. Mais il constitue plutôt une forme de contestation sociale et politique face à un système patriarcal qui continue de structurer en profondeur la société sud-coréenne.

En choisissant de se retirer volontairement des relations hétérosexuelles, du mariage et de la maternité, les femmes engagées dans ce mouvement ne cherchent pas simplement à « éviter les hommes ». Elles cherchent plutôt à contester et à se soustraire face à des institutions et à des normes sociales qu’elles jugent oppressives.

Un mouvement qui dépasse le cadre local

Même si le « 4B Movement » trouve ses racines en Corée du Sud, ses revendications trouvent un écho dans d’autres pays, dont les Etats-Unis et certains pays européens.

Il permet de mettre en lumière des réalités que de nombreuses femmes vivent au quotidien : les inégalités dans le couple, la charge mentale, la pression à « réussir sa vie » grâce au mariage ou à la maternité, et le manque de protection face aux violences sexistes.

Ce mouvement traduit d’abord une crise de confiance envers les institutions, notamment judiciaires.

En effet, beaucoup de femmes estiment ne pas être protégées contre les violences sexistes, qu’elles soient physiques, numériques, psychologiques ou économiques. L’absence de réponses adaptées renforce l’idée que l’État ne garantit pas leur sécurité ni leurs droits fondamentaux.

Or cela, pousse certaines à élaborer leurs propres stratégies de protection et d’autodéfense.

Une remise en question des rôles de genre

Le « 4B Movement » remet également en question les rôles de genre traditionnels.

En effet, les attentes envers les femmes restent fortement centrées sur le mariage, la maternité, la charge domestique et le soutien émotionnel à l’homme.

Dans ce cadre, refuser ces normes devient un acte politique.

Une grève du travail reproductif

On peut aussi lire ce mouvement comme une forme de « grève du travail reproductif », au sens féministe du terme.

En effet, les femmes renoncent volontairement au mariage et aux enfants. Ce faisant, elles refusent de mettre gratuitement au service de la société leur corps, leur temps et leur énergie pour perpétuer un système qui ne leur offre pas l’égalité en retour.

Ce retrait met en lumière la valeur économique, sociale et émotionnelle du travail des femmes. Or, celui-ci est bien trop souvent invisibilisé.

Une nouvelle définition de l’épanouissement des femmes

Enfin, le « 4B Movement » propose une nouvelle définition des sources d’épanouissement.

Ainsi, il valorise l’indépendance, la sororité, le développement personnel et les relations amicales féminines, plutôt que l’idée selon laquelle le bonheur passe obligatoirement par la présence d’un homme.

Pour de nombreuses jeunes femmes, ce mouvement ouvre la possibilité d’imaginer d’autres formes de vie, moins contraintes par les injonctions traditionnelles, et centrées sur leur liberté.

Un mouvement qui terrifie certains hommes

La radicalité du « 4B Movement » suscite des réactions hostiles auprès d’une partie des hommes sud-coréens.

Malgré les progrès économiques et technologiques du pays, les avancées sociales en Corée du Sud restent limitées. Aujourd’hui encore, être féministe en Corée du Sud expose à des moqueries, du harcèlement ou de la haine en ligne. Et ce, bien plus qu’en Belgique.

Depuis plusieurs années, une forte « polarisation idéologique » s’est installée entre les jeunes hommes et femmes.

Ainsi, beaucoup de femmes demandent plus d’autonomie et de reconnaissance. A l’inverse, certains hommes sont plus conservateurs et rejettent les luttes féministes. Ils perçoivent le « 4B Movement » comme un mouvement « extrémiste » qui propagerait la « haine des hommes » ou la « suprématie des femmes ». 

Or, cette perception nourrit des groupuscules antiféministes, très actifs sur les réseaux sociaux. Et ces groupes multiplient les campagnes de cyberharcèlement contre les militantes.

Même des responsables politiques ont exploité cette hostilité à des fins électorales. Par exemple, lors de sa campagne électorale, le président Yoon Suk Yeol a promis de supprimer le ministère de l’Égalité des genres et de la Famille, qu’il présentait comme « source d’injustice envers les hommes ».

Conclusion

En somme, loin de constituer un simple refus ou une mode radicale, le « 4B Movement » apparaît comme un symptôme d’une fracture sociale profonde.

Il exprime la fatigue, la colère et la volonté de changement d’une génération de femmes qui ne souhaite plus sacrifier son autonomie, sa santé mentale ou sa sécurité pour maintenir un système inégalitaire.

Il nous rappelle aussi que, lorsque les transformations institutionnelles sont trop lentes, les résistances féministes émergent « par le bas », à partir des expériences vécues.

Rania

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