Audition de mineur.e

Entendre les enfants : entre le droit à la parole et les limites institutionnelles de l’audition de mineur.e en Belgique
Les droits des enfants ne cessent de progresser, en principe. Partout dans le monde, on accorde de plus en plus d’importance à leur personne. Mais aussi à leur parole. Du moins, dans une certaine limite.
En Belgique, on observe une évolution des lois pour mieux prendre en compte la parole de l’enfant. Dans ce contexte, l’audition de mineur.e dans le cadre de procédures familiales, par exemple, prend une place importante.
En parallèle, le mépris accordé aux enfants reste également omniprésent. Et la justice ne fait pas exception.
Dès lors, il y a des tensions constantes entre le système qui n’accorde pas de place aux enfants d’une part et l’envie de tenir compte de leurs avis pour les affaires qui les concernent.
Il nous parait donc important de faire le point sur cette question.
Nous allons nous concentrer, ici, sur l’audition de mineur.e dans le cadre judiciaire.
La base légale de l’audition de mineur.e
Tout d’abord, commençons par voir la base légale de l’audition de mineur.e.
Le Code judiciaire régit la question de l’audition de mineur.e. Ainsi, l’article 1004/1 de ce Code permet à un.e enfant d’être entendu.e par le/la juge dans les affaires qui le/la concernent. Ce texte applique simplement l’article 22bis de la Constitution. En effet, ce principe existe dans presque toutes les matières qui touchent les enfants. Il s’agit là de la mise en oeuvre de la Convention relative aux droits de l’enfant.
La loi exclut toutefois les demandes liées aux obligations alimentaires. Elle exclut également les requêtes purement financières ou patrimoniales qui ne touchent pas directement le patrimoine de l’enfant.
Dans le présent article, nous allons revenir sur quelques éléments au sujet de cette audition de mineur.e.
Les objectifs de l’audition de mineur.e
L’objectif principal de l’audition est de permettre à l’enfant d’exprimer ses préoccupations au/à la juge. Ainsi, cela permet au tribunal de contribuer à la recherche de la solution la plus appropriée en fonction de son intérêt.
Par exemple, le/la juge pourrait entendre l’enfant pour décider des modalités d’hébergement, en cas de séparation de ses parents. Il/elle lui donnerait alors l’occasion de s’exprimer sur ses envies. Mais aussi sur ses peurs et ses besoins.
Par principe, il s’agit d’un droit de l’enfant mineur.e. En effet, il faut prendre en compte son opinion. Cependant, il faut également évaluer l’opinion de l’enfant. Pour ce faire, il faut tenir compte de son âge et de son degré de maturité. Cela permet alors de respecter réellement son intérêt primordial. Il s’agit là d’un exercice délicat.
La prise en compte de l’opinion de l’enfant
En droit, il existe différentes présomptions. Il s’agit d’un mode de raisonnement juridique. Ce dernier permet d’estimer l’existence d’un fait sur la base d’un ou plusieurs autres faits.
Une de ces présomptions affirme que l’opinion exprimée par un.e enfant capable de discernement correspond à son intérêt. Cela signifie que si l’enfant est capable de discernement et que son opinion est en adéquation avec son intérêt, le/la juge doit en tenir compte.
Inversement, si l’opinion de l’enfant ne correspond pas à son intérêt, le/la juge ne doit pas la suivre automatiquement. En revanche, il/elle doit motiver sa décision. Dès lors, il/elle doit indiquer précisément les facteurs sur lesquels il/elle se fonde.
Les critères de discernement
Il faut donc évaluer la capacité de discernement d’un.e enfant.
Pour ce faire, le/la juge peut s’appuyer sur différents critères :
- La capacité de l’enfant à exprimer une opinion raisonnée ;
- L’aptitude de l’enfant à comprendre et évaluer les implications de la situation ;
- La capacité de l’enfant à exprimer une opinion libre et indépendante.
En principe, le/la juge va donc se forger une opinion sur la base de chacun de ces critères. Il/elle vérifiera d’abord que l’enfant peut exprimer une opinion et développer un raisonnement. Il/elle s’assurera ensuite que l’enfant comprend la situation qui l’amène. Pour ce faire, il/elle peut lui poser différentes questions. Enfin, il/elle veillera à ce que l’enfant se sente libre de s’exprimer. En d’autres termes, il/elle veillera à ce que l’enfant ne subisse pas de manipulation par un.e de ses parents.
Voilà donc pour la théorie.
En pratique, les choses ne sont pourtant pas aussi simples. Nous y reviendrons.
La procédure d’audition de mineur.e
La différence de procédure selon l’âge de l’enfant
La procédure d’audition de mineur.e varie en fonction de l’âge de l’enfant. Cela semble évident qu’on ne peut procéder de la même manière avec un.e enfant de 2 ans qu’avec un.e enfant de 16 ans.
En général, lorsque l’enfant a plus de 12 ans, son audition est plutôt courante. Le/la juge l’informe de son droit à être entendu.e. Et il/elle lui transmet, normalement, un formulaire avec des explications sur l’entretien et ses modalités. Le jour du rendez-vous, fixé à l’avance, le/la juge procède à l’audition. Nous y reviendrons juste après.
Lorsque l’enfant a moins de 12 ans, les choses sont quelque peu différentes. L’audition n’est pas systématique. Mais, plusieurs personnes peuvent la demander.
Tout d’abord, le/la juge peut de sa propre initiative décider d’auditionner l’enfant. Mais, s’il/elle ne le fait pas, l’enfant peut lui-même/elle-même demander une audition au/à la juge. Les parents ont également le droit de procéder à une telle demande. Cependant, dans ce cas, le/la juge peut la refuser avec une décision motivée. Enfin, le parquet peut également formuler une demande d’audition de mineur.e. Dans ce cas, le/la juge ne pourra pas la refuser.
L’audition de mineur.e en tant que telle
L’audition elle-même se déroule dans un local spécifique, souvent le bureau du/de la juge. Un.e greffier/greffière prend note des échanges.
Le/la juge doit poser des questions faciles à comprendre pour l’enfant. Il/elle doit également veiller à ne pas l’influencer.
La personne de confiance
L’enfant a le droit d’être accompagné.e par une personne de confiance majeure durant l’audition. Il peut s’agir de son avocat.e.
La personne de confiance ne peut être ni un.e parent.e impliqué.e dans la procédure ni un.e grand-parent.e. Ce principe permet d’éviter une influence, même indirecte, de l’enfant.
En revanche, il peut s’agir d’un frère ou d’une sœur de l’enfant.
Le rapport d’audition de mineur.e
À la suite de l’audition du/de la mineur.e, un rapport est rédigé.
Avant la réforme du 27 mars 2024, on communiquait en général ce rapport aux parents. Surtout si ceux-ci en faisaient la demande. Il s’agissait de respecter le droit de la défense et le principe du contradictoire.
Mais, cette pratique entrait en contradiction avec le droit fondamental de l’enfant à exprimer son opinion librement. En effet, comment oser contredire un.e parent si on sait qu’il/elle aura connaissance des propos relatés ? La loyauté parentale est encore très forte durant l’enfance (et parfois même à l’âge adulte). Il faut donc contrebalancer cette loyauté lorsqu’il y a danger.
Désormais, l’enfant a le droit de préciser si la totalité ou une partie de l’audition doit rester confidentielle. Le/la juge doit respecter cette demande. Par conséquent, le/la juge ne peut pas consigner ces informations dans le rapport. Cependant, il/elle pourra les communiquer au ministère public.
Il s’agit d’une excellente chose ! En effet, la justice doit tout mettre en œuvre pour protéger les plus vulnérables. Et permettre aux enfants de s’exprimer en toute sécurité va dans la droite ligne de ce principe.
Parler pour être entendu.e ?
Lors de ce genre d’audition, il peut arriver qu’un.e enfant prenne le courage de dénoncer les violences subies. Pourtant, le contexte d’une audition n’y est pas forcément propice. L’enfant ne connait quasiment pas le/la juge. La relation de confiance doit se tisser en un temps record pour que l’enfant puisse se confier.
Cependant, cela arrive. Et nous ne pouvons que saluer le courage de ces enfants.
Mais, que fait-on de leur parole ? Les croit-on ? Les protège-t-on ? Ou bien, on met ça sur une manipulation parentale bien commode ?
Nous n’avons pas la réponse à ces questions. Et puis, nous sommes conscientes de n’avoir accès qu’à un tout petit bout de l’ensemble des procédures qui existent en Belgique. Forcément, les gens nous contactent lorsqu’ils rencontrent un problème. Pas quand tout se passe bien.
Pourtant, il nous faut constater que les auditions de mineur.e ne se passent pas toujours aussi bien que sur papier. Nous avons été témoins de dossiers dans lesquels aucun.e juge ne tenait compte de l’avis de l’enfant, malgré un âge parfois proche de la majorité. Et, nous avons observé des dossiers dans lesquels la terreur des enfants à l’idée de retourner chez un parent violent n’était pas écoutée. Nous avons vu des professionnel.le.s noyé.e.s sous un nombre incalculable de dossiers, les mettant dans l’incapacité d’exercer leur métier adéquatement. Et chaque jour, nous entendons les victimes de ce système.
Tout ceci est parfaitement inacceptable !
Pour remettre le monde un peu à l’endroit, il faut refinancer massivement le secteur de la justice et le secteur social. Il faut que les professionnel.le.s aient le temps de réaliser leur mission de façon adéquate et digne.
Maude Desmedt et Miriam Ben Jattou
Références juridiques
- Code judiciaire
- Constitution
- Convention relative aux droits de l’enfant
Pour aller plus loin
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