Classement sans suite et non lieu
Classement sans suite et non lieu : pas si similaires !
Le non-lieu et le classement sans suite, dans l’imaginaire collectif, renvoient tous deux à la fin d’une action en justice. Cependant, il s’agit de faux-amis ! Ici, nous allons décrire la différence entre ces deux concepts distincts.
Contexte
Effectivement, comprendre le langage juridique en tant que victime durant une procédure pénale représente une difficulté.
L’expérience de la procédure pénale constitue parfois une épreuve. En comprendre le déroulement l’est d’autant plus.
Dès lors, cet article se donne pour objectif l’explication des termes qui questionnent les victimes à l’issue d’une plainte.
Nous tenons à souligner que cette démarche ne vise en rien à minimiser le vécu des victimes. En effet, la vérité juridique que nous vulgarisons ici ne correspond pas à la vérité morale. Elle ne correspond parfois pas non plus au vécu des personnes qui subissent un préjudice. Votre réalité et votre vécu restent vrais, en dépit de tout cela. Au contraire, nous soulignons la victimisation secondaire qui peut découler d’un classement sans suite ou d’une ordonnance de non-lieu.
De la même manière, ces dénominations pénales n’indiquent pas du tout que l’accusé.e est innocent.e. En effet, seul un jugement d’acquittement signe la non culpabilité devant la loi.
Prenons l’exemple du YouTubeur français Norman Thavaud, pour illustrer nos propos. Accusé de corruption et de viol en 2021, le dossier du vidéaste fait l’objet d’un classement sans suite en 2023. Suite à cela, en 2024, il annonce alors que cette décision transforme son statut de “présumé innocent” à “innocent”. Il nous semble primordial de souligner que ce n’est absolument pas le cas.
Comme nous l’expliquerons ci-dessous, un dossier classé sans suite ne l’est pas obligatoirement indéfiniment. Aux yeux de la loi, Norman Thavaud n’est pas innocent. D’ailleurs, il ne le sera que si un.e juge du fond prononce un acquittement. Et là encore, mettons qu’il le soit un jour : la réalité juridique ne reflète pas toujours la vérité vécue des victimes.
L’information
Pour illustrer nos propos, prenons un cas fictif. Imaginons que Madame Chose dépose plainte auprès des services de police. L’agent.e de police rédige un procès-verbal qui reprend les informations recueillies. Ensuite, il/elle renvoie le document au parquet.
Dès lors, le/la procureur.e du Roi, membre du parquet, décide de l’opportunité des poursuites. Sa décision se base sur les politiques criminelles en vigueur et le dénouement de son enquête, appelée l’information. En d’autres termes, il/elle investigue sur la base des éléments connus du dossier. Puis, il/elle décide de son sort.
Au terme de la phase d’information, le/la procureur.e du Roi peut donner plusieurs directions au dossier. Ainsi, on peut rencontrer les situations suivantes :
Le classement sans suite (sortie de l’appareil pénal).
La transaction (sortie de l’appareil pénal moyennant un paiement).
La médiation pénale (sortie de l’appareil pénal moyennant une rencontre consentie et encadrée avec la victime).
L’instruction en vue de mesures d’enquête contraignantes (entrée dans l’appareil pénal).
La citation directe (entrée dans l’appareil pénal).
Le renvoi devant le tribunal pénal (entrée dans l’appareil pénal).
Nous entendons par “sortie de l’appareil pénal”, une alternative aux poursuites. Donc, cela ne correspond pas à la mise en mouvement de l’action publique. Cette notion est importante, puisque la victime peut elle-même engager l’action publique dans ces cas-ci. Cependant, l’action publique est déjà engagée lorsque nous parlons “d’entrée dans l’appareil pénal”. D’ici, d’autres procédures sont envisageables pour la victime.
Les autres directions du dossier
Comme nous venons de le voir, le/ la procureur.e du Roi a le choix entre plusieurs orientations. Nous expliquerons le choix d’orientation du classement sans suite ci-après avec plus de détails. De la même manière, l’instruction en vue de mesures d’enquête contraignantes fait l’objet d’un paragraphe plus bas.
Avant tout, nous souhaitons éclaircir brièvement quelques zones d’ombre. D’abord, voyons la transaction que propose le/la procureur.e du Roi à l’accusé.e. Celle-ci est une alternative aux poursuites, moyennant le versement d’une somme d’argent de la part de l’accusé.e. Elle n’est une option envisageable que dans des conditions précisées dans la loi. Par exemple, l’infraction doit ne pas avoir atteint gravement l’intégrité psychique et/ ou physique de la victime.
La médiation pénale est aussi une alternative aux poursuites. Elle correspond à la recherche d’un accord entre la victime et l’auteur.e de l’infraction sans la présence d’un.e juge. La médiation doit être volontaire et consentie par toutes les parties. Le/la procureur.e du Roi peut demander des mesures supplémentaires à l’accusé.e suite à une médiation. Si la réparation du dommage s’avère impossible par la médiation, le/la procureur.e du Roi ré-oriente le dossier.
La citation directe correspond au renvoi de l’accusé.e devant une juridiction compétente. Elle renvoie aux “poursuites” comme on l’entend classiquement. Dès lors, on nomme l’accusé.e « le/la prévenu.e ». Le/la prévenu.e sera alors invité.e à comparaître devant le tribunal de police ou le tribunal correctionnel.
Le renvoi devant le tribunal pénal est une autre manière de continuer les poursuites. Ici, le/la procureur.e du Roi entame des poursuites devant un.e juge pénal.e. Celui/ celle-ci siège au tribunal de police, tribunal correctionnel, ou en cour d’assises.
Le classement sans suite
Pour le formuler autrement, le/la procureur.e du Roi est le/la vigile à la porte d’entrée de la procédure judiciaire. Ainsi, il/elle choisit quelle plainte entre, et quelle plainte ne rentre pas. Mais également dans quelles conditions.
D’ailleurs, la loi est très claire à ce sujet. Lorsqu’il/elle refuse l’entrée d’une plainte dans l’appareil pénal par classement sans suite, il/elle doit justifier ce refus.
Donc, le classement sans suite est une possibilité d’orientation du/de la procureur.e du Roi d’un dossier vers la sortie du système pénal. Le dossier est dès lors classé. Mais le/la procureur.e du Roi peut légalement le rouvrir à tout moment. Il/elle le fera, par exemple, dans les cas où de nouveaux éléments apparaissent dans le dossier.
Il importe de savoir que la victime peut également initier elle-même les poursuites en saisissant un juge d’instruction. Elle peut également lancer directement une citation devant le tribunal (correctionnel ou de police).
L’instruction
Comme vu ci-dessus, le/la procureur.e du Roi peut, entre autres, laisser passer le dossier dans l’appareil pénal. Notamment par la mise à l’instruction en vue de mesures d’enquête contraignantes.
L’instruction constitue la seconde phase d’enquête dirigée par le/la juge d’instruction. Elle débute après l’information qui est, elle, dirigée par le/la procureur.e du Roi, comme vu précédemment.
La phase d’instruction est dite “contraignante”. En effet, elle permet au/à la juge d’instruction de poser des actes d’enquête portant atteinte aux libertés individuelles. Cela ne peut se faire que dans l’optique de révéler la vérité des faits.
A la fin de cette seconde phase d’enquête, le dossier est soumis à la chambre du conseil. Puis, dans certaines circonstances particulières, la chambre des mises en accusation examine l’affaire.
C’est elle qui oriente une nouvelle fois le dossier vers les directions suivantes :
Renvoyer l’inculpé.e en jugement. (Notons qu’à ce stade de la procédure, on nomme la personne accusée « inculpé.e ».)
Saisir le/la procureur.e général.e si les faits sont qualifiés de crime devant être jugé devant une Cour d’assises. La procédure suit alors son cours.
Annuler un acte d’instruction ou toute la procédure. Cette décision arrive lorsqu’elle constate une irrégularité, omission ou cause de nullité, renseignée dans la loi.
Ordonner le non-lieu.
Le non-lieu
Par ordonnance de non-lieu, le/la juge de la chambre du conseil agit à nouveau comme un.e vigile de l’entonnoir pénal.
Ainsi, il/elle peut donc décider de ne pas faire suivre le dossier à destination d’une instance de jugement. Dès lors, il/elle ferme la porte, pour l’un de ces motifs :
Il n’existe pas de charges suffisantes à l’encontre de l’inculpé.e pour permettre des poursuites judiciaires.
Les faits ne sont pas qualifiés d’infraction dans la loi.
On n’identifie pas l’auteur.e des faits.
Les faits sont prescrits (c’est-à-dire que le délai légal pour poursuivre les faits est dépassé).
L’inculpé.e est décédé.e.
L’ordonnance de non-lieu peut faire l’objet d’un appel devant la chambre des mises en accusation de la Cour d’appel. Autrement dit, on peut faire un recours si on estime l’ordonnance de non-lieu injuste.
Il faut également noter qu’en cas d’ordonnance de non-lieu, le dossier est clôturé. Cependant, de nouveaux éléments peuvent justifier une réouverture du dossier. En d’autres termes, il reste possible de poursuivre la procédure, plus tard, malgré une ordonnance de non-lieu initiale.
Conclusion
Pour résumer, le classement sans suite et le non-lieu diffèrent puisqu’ils surviennent à des portes différentes dans l’entonnoir pénal. Le classement sans suite est prononcé au niveau du parquet, incarné par le/la procureur.e du Roi, au début de la procédure pénale. Le non-lieu est prononcé par les juridictions d’instruction, incarnées par la chambre du conseil et, parfois, la chambre des mises en accusation, plus loin dans la procédure pénale.
Rappelons enfin que ni le classement sans suite ni le non-lieu n’indiquent que la justice considère la personne poursuivie comme innocente.
Maëlys Lebouc
Références juridiques
– 28quater CICR
Ressources
A venir
Pour aller plus loin
- Déroulement de la procédure
- Questions-justice : non-lieu
- Justice en ligne : Chambre du conseil
- Midi libre : Norman Thavaud accusé de viol. Le classement sans suite signifie-t-il que le youtubeur est innocent ?
- Le Parisien : Norman Thavaud, l’enquête pour viol et corruption de mineures
- France TV information : Affaire Norman Thavaud, l’enquête pour viol et corruption de mineures
- Questions justice : un paiement plutôt qu’un jugement
- SPF Justice : Médiation pénale
- SPF Justice : Déroulement de la procédure