La déconstruction

La définition de la déconstruction
La déconstruction est l’un des objectifs principaux du féminisme. Cela désigne le combat contre les stéréotypes et la remise en question de la société. Ainsi, il s’agit de « déconstruire » les constructions sociales.
Les stéréotypes
Ces dernières se développent sur la base de stéréotypes. Ces stéréotypes ne sont pas nécessairement mauvais. Au départ, il s’agit de catégories qui simplifient la réalité.
Ils permettent de se forger une opinion en quelques instants sur une situation. Ainsi, lorsque j’aperçois une forme poilue, d’une trentaine de centimètres de haut, avec une tête, des oreilles pointues, une queue et des moustaches, mon cerveau pense immédiatement qu’il s’agit d’un.e chat.te. En effet, le stéréotype que je me fais des chat.te.s y correspond. Dès lors, je n’ai pas besoin d’analyser en détail l’animal pour savoir si je dois partir en courant ou non.
Ainsi, chaque individu a besoin de stéréotypes pour affronter la réalité. En effet, sans eux, la vie serait trop compliquée.
Le problème arrive quand on reste bloqué sur un stéréotype sans jamais le remettre en question.
Revenons sur mon stéréotype de chat.te. Imaginons que la forme que j’aperçois est lointaine. Elle correspond à mon stéréotype de chat.te, et j’adore les chat.te.s. Donc, je continue mon chemin normalement. Mais, l’animal se rapproche de moi. J’aperçois alors que plein de choses différencient l’animal des chat.te.s. Si je reste figée sur mon stéréotype initial, je ne remettrai pas en question ma croyance que c’est un.e chat.te malgré les nouvelles informations. Et si l’animal se trouve être en fait un guépard en liberté (imaginons que j’avais mal évalué sa taille), je me mettrai gravement et bêtement en danger.
Il en va exactement de même pour les stéréotypes sociaux.
Une construction sociale
Le principe même d’un stéréotype est donc d’être une construction sociale. Cela signifie deux choses. D’abord, qu’il s’agit d’une forme de pensée qui est construite (et non innée). Ensuite, qu’elle se construit au sein d’une société donnée.
Pour s’en convaincre, il suffit de voir que ces stéréotypes varient selon les époques et les cultures.
Par exemple, les hommes de la Renaissance portaient des perruques et du maquillage, au sein de la Noblesse. Et, à l’époque, cela symbolisait la masculinité. Aujourd’hui, au contraire, au sein de notre société, le maquillage et les perruques sont plutôt réservées aux femmes. Ces objets renvoient à des stéréotypes de féminité.
Or, si le même objet renvoie une fois à un stéréotype et une fois à son exact opposé, c’est bien la preuve que ce stéréotype n’existe pas en tant que vérité « universelle ». Il s’agit seulement d’une façon d’analyser le monde qui nous entoure à un instant T.
Quel lien avec la déconstruction ?
Lorsqu’on sait qu’un stéréotype n’est pas naturel ni immuable, il devient inoffensif. En effet, nous sommes alors capables de le remettre en question et de voir quand il est « mauvais ». Mais, pour beaucoup de personnes, la frontière entre ce qui est naturel ou non reste floue.
La déconstruction est là pour redéfinir quels concepts sont des construits sociaux.
Lorsqu’on l’applique au féminisme, cela désigne le genre, c’est-à-dire les rapports femmes-hommes. Le patriarcat est vu comme un système d’exploitation et de domination et non plus comme la norme.
Cependant, ce concept ne se limite pas au féminisme. Il remet aussi en question le racisme, l’homophobie, la grossophobie, le validisme et toutes les formes de discriminations.
Ainsi, la déconstruction est un processus de réflexion. Elle n’est jamais définitive car il y a toujours des choses à remettre en question. De plus, elle est individuelle et collective. En effet, chacun.e doit se séparer de ses stéréotypes. Et, en parallèle, c’est le système tout entier qui est remis en question. Dès lors, elle permet une prise de recul pour une meilleure objectivité, loin des prismes de pensée de la société.
Une origine académique
Ce sont les penseurs/penseuses qui ont d’abord parlé de déconstruction. Plusieurs théories existent sur ce concept. Je vous propose d’en voir quelques-unes.
Jacques Derrida
En Europe, Jacques Derrida en a parlé en premier. Dans un premier temps, il utilise ce concept d’un point de vue uniquement philosophique. Ensuite, sa pensée se développe. Et un jour, il finit par l’analyser sous un angle plus sociologique.
Ce philosophe dit alors qu’il faut déconstruire ce qu’il appelle le « phallo-logo-centrisme ». Dans ce mot à rallonge, il y a trois parties qui se complètent. Analysons-les ensemble.
Tout d’abord, “Phallo” désigne le phallus. Il l’utilise pour symboliser la domination des hommes sur les femmes. Plus spécifiquement la domination des hommes blancs.
Ensuite, on a le mot “Logos”, qui signifie « parole » mais aussi « relation » en Grec. Il choisit ce mot pour représenter l’image de l’Occident et de sa rationalité soi-disant supérieure.
Enfin, “centrisme” renvoie au fait de se penser au centre du monde. Cela se manifeste par la prétention de l’Occident, masculin, blanc et capitaliste, à coloniser le reste du monde.
Judith Butler
Des chercheuses comme Judith Butler disent qu’il faut repenser la notion d’identité. Pour elle, rester dans le cadre binaire des hommes et des femmes revient à encourager le système.
Ainsi, ces différent.e.s travailleurs/travailleuses universitaires nous montrent que la déconstruction existe dans différents domaines. Elle n’est pas unique. Chacun.e se fait son avis sur le sujet. Ils/elles partent de l’identité individuelle ou du système. Et de là, ils/elles détricotent les constructions sociales.
Les universitaires ont donc apporté une base théorique aux courants féministes. Cela permet de mettre des mots sur les idées, ce qui est un exemple de catégorisation positive. Iels apportent aussi une légitimité et un cadre d’action aux activistes.
Les applications de la déconstruction
La déconstruction s’applique concrètement dans de nombreux domaines. Nous pouvons citer les sciences, la politique, l’économie, la santé…
En effet, le système actuel a été construit par des hommes, pour des hommes. S’en rendre compte permet de changer les choses pour qu’elles soient plus adaptées à tou.te.s.
Par exemple, la recherche a pendant longtemps pris les hommes comme le modèle de tous les êtres humains. Le problème est que cela a conduit à des généralisations fausses.
Et cela se voit surtout dans le domaine de la santé. La santé masculine est beaucoup mieux prise en charge que la santé féminine. Le sexisme systémique a fait que les professionnel.le.s n’y voyaient pas de problème jusqu’à récemment.
D’autres domaines de la société s’inspirent de la biologie et des sciences. Ainsi, certains enjeux de santé publique intègrent ces normes. Par exemple, les ceintures de sécurité dans les voitures sont adaptées aux physiques des hommes. Dès lors, elles protègent moins bien les femmes.
Ainsi, remettre en question les prismes du patriarcat permet d’avoir une science plus adaptée dans tous les domaines. Les professionnel.le.s de santé, de la politique, des sciences sociales peuvent mieux répondre à la réalité. Ne travailler qu’à partir des hommes, c’est oublier plus de la moitié des êtres humains.
Les dangers de la non-déconstruction, ou l’importance de la déconstruction
Le risque de violence
Le véritable danger est la violence.
Les personnes qui ne remettent pas en question les catégories simplistes des stéréotypes pointent alors du doigt celleux qui n’y correspondent pas.
C’est donc une cause de la haine, des discriminations et des agressions.
Pour ma part, j’identifie les personnes qui n’entament pas le processus de déconstruction comme des personnes « non-déconstruites ». Bien évidemment, personne (ou presque) ne peut atteindre une déconstruction totale. Le tout est d’en suivre le chemin. Sinon, le danger arrive.
Par exemple, un homme non-déconstruit peut voir une femme qui ne s’épile pas comme anormale. Et sa réaction peut être violente et dangereuse. Ainsi, un gynécologue a prescrit une batterie de tests à une femme non épilée de la vulve pour diagnostiquer un éventuel hirsutisme. Tous les examens sont revenus négatifs. Sa patiente lui a demandé pourquoi il semblait si perplexe. Pour elle, elle n’avait pas de pilosité excessive. Elle a alors découvert que le médecin n’avait jamais vu de vulve non épilée de sa vie !
Un sujet genré
Sans surprise, les personnes non-déconstruites sont en majorité des hommes. En effet, ils ne remettent pas en question un système qui leur profite.
C’est l’occasion de rappeler qu’on parle ici des hommes en tant que catégorie sociale. Il s’agit d’une analyse des rapports sociaux de notre société. Il va de soi que cela ne concerne pas tous les hommes et n’exclut pas, pour autant, les femmes.
Mais, pour eux, on voit bien, à travers leurs discours, que la domination est naturelle. Cela les pousse alors à soutenir des causes dangereuses pour les femmes et les minorités. Par exemple, l’abolition du droit à l’avortement ou du mariage pour tou.te.s.
Dès lors, ils utilisent des arguments du patriarcat pour se justifier. Ils sont rejoints par les conservateurs. Ainsi, l’argument principal des anti-avortements est lié à la religion.
De manière générale, les conservateurs s’opposent fermement à la déconstruction. En effet, elle remet en cause tout ce qu’ils prônent.
Paradoxalement, c’est cette opposition qui pousse le reste de la société à se déconstruire. Car sans réflexion ni possibilité de changement, la société reste coincée dans le passé.
Par ailleurs, lorsqu’un homme entame le chemin de la déconstruction, il est fréquent qu’il se sente très rapidement « déconstruit ». C’est pourquoi de nombreuses féministes refusent de les considérer comme des féministes. Elles ont trop peur qu’ils estiment avoir fait déjà tout le travail de remise en question. Le risque est alors qu’ils pensent leurs croyances actuelles comme des vérités absolues. Or, cela invisibilise tout le travail de réflexion des femmes. Et empêche, en réalité, toute progression de la pensée.
Les hommes et la déconstruction
L’IFOP (institut français d’opinion publique) a fait une étude en décembre 2024 sur la déconstruction.
Selon cette étude, 68% des femmes tous âges et idées confondues ne veulent pas se mettre en couple avec un homme qui a une vision traditionnelle des rôles de genre. Presque la moitié des femmes interrogées (47%) déclarent vouloir un partenaire déconstruit (cliquer ici pour voir l’étude).
Quand on parle de déconstruction, l’image de “l’homme déconstruit” vient souvent en tête. C’est une formulation que certain.e.s politiques comme Sandrine Rousseau ont utilisé. Les femmes seraient plus déconstruites que les hommes, ou du moins plus facilement.
C’est la logique du système d’oppression. Les opprimées ont plus de facilité à remettre en question le pouvoir que ceux qui le détiennent.
De plus, la déconstruction nous montre que le patriarcat est aussi dangereux pour les hommes. En effet, il leur impose aussi des normes et des comportements. Les hommes les intègrent et aident le système à continuer. Mais, en se déconstruisant, ils peuvent changer leurs comportements. Or, cette contribution est nécessaire.
La place des hommes dans la lutte féministe
La déconstruction croissante et le féminisme quasi omniprésent chez les femmes les poussent à exiger la même chose de leur partenaire.
En effet, la remise en question des normes patriarcales doit se faire avec les hommes. Car, le but final du féminisme est l’égalité et non le renversement des rapports de domination.
Les hommes doivent donc participer à ce processus pour en assurer sa réussite.
Les controverses autour de la déconstruction
La déconstruction reste, malgré tout, un concept qui fait peur.
C’est difficile de repenser toutes les bases de la société. En effet, il est inconfortable de renoncer à la société qu’on pensait connaître.
De plus, la remise en question est un processus compliqué qu’on ne peut pas imposer aux autres.
Se déconstruire implique ne plus avoir de catégories sociales prédéfinies. Il faut alors trouver une nouvelle manière d’aborder les rapports sociaux.
Pour certain.e.s chercheurs/chercheuses, ce concept est même mauvais pour la société. Iels le voient comme un mélange entre militantisme et recherche. La déconstruction servirait alors de prétexte à la censure. Cela imposerait un “politiquement correct” à respecter à tout prix.
Pierre Grandperrin parle carrément d’une “dictature douce” et d’une “servitude volontaire”. Pour lui, la déconstruction est un outil du “wokisme”.
Mais, les critiques montrent bien que la déconstruction implique une volonté d’un changement social. Qu’il soit radical ou non.
Il ne s’agit pas forcément de tout détruire et de passer à autre chose. Il faut seulement réaliser que tout n’est pas bon à garder.
Et la construction d’un monde juste pour tou.t.es doit se faire en suivant cette réflexion.
Lili Baccou
Ressources
Cliquez ici pour la version PDF de cet article : 2025.06.05_Déconstruction
Pour aller plus loin
Voici les liens de quelques articles sur le sujet de la déconstruction :
- Un article sur Causons Féminisme par Alexia Damois
- “Déconstruction des identités, Du point final au point d’interrogation” par Augusta Rodrigues de Oliveira Zana