L'enrichissement sans cause

Enrichissement sans cause

Qu’est-ce que le principe d’enrichissement sans cause ?

Définition

Le terme enrichissement sans cause s’utilise dans une relation entre deux personnes ayant deux patrimoines distincts.

Lorsqu’une des deux personnes s’enrichit alors que l’autre s’appauvrit, et que ceci arrive sans raison ou justification particulière, il est possible que la personne appauvrie ait le droit de se voir restituer une partie de sa perte.

On peut résumer l’idée derrière ce principe d’enrichissement sans cause par l’adage « Nul ne peut s’enrichir au détriment d’autrui ».

Son origine

L’enrichissement sans cause s’appelle également l’action de in rem verso. 

Il s’agit d’un principe général de droit. On qualifie ce principe comme étant ‘jurisprudentiel’. En effet, on ne le retrouve pas à proprement parler dans le Code civil. Il s’agit plutôt d’une création des cours et tribunaux.

Sa pertinence

Le principe d’enrichissement sans cause s’utilise particulièrement dans des relations appelées quasi-contractuelles. Le quasi-contrat est le fait, qu’en l’absence d’un contrat formel, des individus peuvent être liés entre eux.

Les quasi-contrats se fondent alors sur le principe selon lequel une personne a bénéficié injustement au détriment d’une autre.

On parlera par exemple d’une relation quasi contractuelle entre une femme et son compagnon si l’un.e des deux parties s’est enrichi.e ou a été avantagé.e au détriment de l’autre.

Ce principe de droit de la famille a donc son importance dans différentes relations.

En effet, on peut recourir à une action d’enrichissement sans cause dans le cadre d’un mariage sous le régime de séparation de biens, pour des cohabitants légaux ou de simples cohabitants de faits.

Une application complexe

Le caractère jurisprudentiel de ce principe rend l’application de la théorie de l’enrichissement sans cause relativement complexe.

En effet, le Code civil ne présente pas de définition claire. Dès lors, les tribunaux ont créé différentes modalités pour commencer une action de in rem verso.

Cependant, on observe un aspect assez problématique. Les différents tribunaux n’interprètent pas tous l’enrichissement sans cause exactement de la même manière. Quelques décisions sont d’ailleurs contradictoires.

On constate également que des avancées particulières quant à l’application du principe sont faites dans certains tribunaux et pas dans d’autres.

Ceci rend un recours à cette action parfois difficile et incertain.

Les conditions pour pouvoir invoquer l’enrichissement sans cause

Afin de commencer une action de in rem verso, il faut satisfaire 5 conditions : (1) un enrichissement, (2) un appauvrissement, (3) un lien de causalité entre l’enrichissement et l’appauvrissement, (4) une absence de cause, et (5) un caractère subsidiaire.  

Nous allons développer chacun de ces critères ci-dessous.

Un enrichissement et un appauvrissement

Nous réunissons ces deux critères parce qu’ils sont fortement liés. En effet, on peut difficilement parler de l’un sans parler de l’autre pour aborder le sujet de l’enrichissement sans cause.

Tout d’abord, il faut qu’un.e des parties s’appauvrisse alors que l’autre s’enrichit.

Concrètement, par enrichissement, la Cour de Cassation comprend « tout avantage valorisable en argent et réel, qui peut constituer soit en une augmentation de richesse, soit dans la libération ou la réduction d’une obligation particulière ».

On constate donc que l’enrichissement et l’appauvrissement peuvent ne pas être monétaires. En effet, ces notions s’interprètent de manière large. Ainsi, une charge de travail supplémentaire ou des tâches importantes à la maison peuvent donc représenter un appauvrissement.

Un lien de causalité

Ensuite, il faut noter que l’enrichissement d’une partie doit être corrélatif à l’appauvrissement de l’autre.

Ceci veut dire qu’il doit y avoir un lien causal entre l’appauvrissement et l’enrichissement. C’est à cause de l’un que l’autre a lieu.

La condition causale est par exemple satisfaite lorsqu’un homme s’est enrichi du fait que sa compagne se soit appauvrie.

Ainsi, il ne suffit pas qu’une partie ait simplement gagné ou perdu des sous.

En bref, pour remplir le critère du lien causal, il faut que sans l’appauvrissement, l’enrichissement n’ait pas eu lieu.  

L’absence de cause

Le quatrième critère concerne l’absence de cause. Cette notion est assez controversée.

L’idée initiale derrière cette condition est qu’on ne peut pas évoquer d’action in rem verso s’il existe une justification claire à l’appauvrissement.

Une cause représente donc, selon la Cour de cassation, « un fait juridique légitimant l’enrichissement ».

Les causes reconnues comme justifiant d’un enrichissement sont par exemple : un contrat entre les parties, une décision judiciaire obligeant une partie à payer, une obligation naturelle entre deux personnes ayant un lien de parenté, une obligation légale ou encore un vol.

En outre, la volonté de l’appauvri ainsi que la faute de l’appauvri constituent également des causes justifiant un enrichissement.

Par contre, les différents cours et tribunaux ont établi quelques particularités. Par exemple, le seul lien affectif ne saurait pas être constitutif d’une cause. Ou encore, une l’obligation naturelle de contribution aux charges de ménage existe dans un couple. Cependant, elle constitue un enrichissement sans cause lorsque les dépenses d’un.e partenaire dépassent une contribution normale.

La condition d’absence de cause peut être difficile à comprendre car différentes tendances jurisprudentielles ont émergé.

Tantôt les cours et tribunaux adoptent une tendance restrictive, rendant l’action en in rem verso rarement concluante. Tantôt, ils recourent à une tendance favorable à l’établissement d’un enrichissement sans cause.    

Le caractère subsidiaire

Dernièrement, l’action de in rem verso est subsidiaire. 

Cela veut dire que si une autre voie de recours est possible, on ne peut pas invoquer la doctrine de l’enrichissement sans cause. L’action est alors irrecevable.

La Cour de cassation a établi cela clairement dans l’arrêt du 25 mars 1994. Elle y rappelle que « le caractère subsidiaire de l’action fondée sur l’enrichissement sans cause s’oppose à ce qu’elle soit accueillie lorsque la partie a disposé d’un autre recours qu’elle a laissé dépérir».

Ainsi, si par exemple un contrat existe au sein du couple, il faudra d’abord utiliser la voie contractuelle. 

Concrète application des conditions et déroulement de l’action

Une action en deux phases

Il faut noter qu’une action en rem in verso se déroule en deux phases distinctes.

En premier lieu, on cherche à prouver la disproportion de l’appauvrissement et son lien avec l’enrichissement (les conditions 1,2,3 dans ce texte). Et seulement après avoir prouvé cette disproportion, sera-t-il demandé de prouver l’absence de cause et le caractère subsidiaire de l’action. L’absence de cause et la subsidiarité arrivent donc en second lieu.

La charge de la preuve : qui et quoi prouver ?

La charge de la preuve repose sur le demandeur/la demandeuse, donc la personne appauvrie.

Cette personne doit d’abord prouver les différents transferts démontrant de l’appauvrissement et du lien que celui-ci a avec un enrichissement. Il peut s’agir des factures, des tickets de caisse, etc.

Si l’appauvrissement représente une charge de travail chronophage, d’autres preuves telles qu’une renonciation à certaines promotions peuvent également être pertinentes.

Ensuite, la personne appauvrie devra prouver l’absence de cause. Il sera ici intéressant de prouver qu’aucun contrat, obligation judiciaire ou naturelle existe et que l’appauvri.e ne cherchait pas délibérément à enrichir l’autre partie.

Il est indiscutable que certains appauvrissements tels que le temps passé à s’occuper des enfants ou à effectuer certaines tâches pour leur confort est difficile à prouver, malheureusement. Il en va de même pour la notion de volonté, difficile à anticiper dans le cadre d’une relation affective.

Impact disproportionné sur les femmes

La répartition des tâches dans un couple rend souvent une action pour enrichissement sans cause particulièrement difficile pour les femmes.

En effet, celles-ci investissent généralement leur temps dans des activités difficiles à prouver ou monnayer (tâches ménagères ou maternelles).

Cette répartition des tâches, dans laquelle une femme sera en charge des enfants et un homme en charge des plus grosses dépenses (vacances, voitures) rend alors une action en rem in verso particulièrement défavorable pour les femmes.

Titiou Lecoq explique les effets de cette répartition avec sa théorie du pot de yaourt vide. Il s’agit d’une métaphore illustrant que les femmes auront tendance à dépenser plus au cours d’une relation et à repartir avec moins que leur conjoint après une séparation.

Il faut donc urgemment que les jeunes filles apprennent à gérer leurs finances et leur temps avant de se mettre en couple. Ainsi, elles pourront se protéger au maximum. 

En outre, il est essentiel que les jeunes garçons apprennent à ne pas profiter des femmes qui partagent leur vie. Ainsi, les femmes pourront se délester d’une partie de cette charge mentale.

Emma Pecqueux

Références juridiques

Loi : /

Jurisprudences : voir bibliographie

Ressources

A venir

Pour aller plus loin

Arrêts

Cour de cassation, 3 février 2022, C.20. 0368 N

Cour de cassation, 25 mars 1994, Pas., 1994, I, p.305

Cour de cassation, 9 mars 1950, Pas., 1950, p.491

Cour de cassation, 22 janvier 2016,  RG n C 140492F/1

Cour d’appel de Gand, 5 mars 2015

Livres/ Journaux

Vincent Wyart (2022), Le couple et le droit patrimonial de la famille, Collection de la Conférence du Jeune Barreau de Bruxelles, Larcier.

Yves-Hernri Leleu (2020), Droit des personnes et des familles, Collection de la Faculté de droit de l’Université de Liège, Larcier.

Géraldine Mathieu (2022), Droit de la famille, Collection de la faculté de droit de l’UNamur, Larcier.

Alain-Charles Van Gysel (2018), La famille, Précis de la faculté de droit et de criminologie de l’ULB, Anthémis.  

Sophie Stijns et Patrich Wery (2007), Les sources d’obligations extracontractuelles, La Charte.

François DEGUEL (2016), L’enrichissement sans cause et les relations affectives devant les cours d’appel, Revue Générale de Droit Civil Belge – Wolters Kluwer, TBBR/RGDC 2016/2.

Sites web

Actualités Droit Belge (2015), L’enrichissement sans cause: la notion d’enrichissement sans cause de https://www.actualitesdroitbelge.be/droit-des-affaires/droit-des-obligations/l-enrichissement-sans-cause/la-notion-d-enrichissement-sans-cause.

Cabinet ACI (2023), Qu’est-ce que l’enrichissement sans cause? de https://www.cabinetaci.com/qu-est-ce-que-lenrichissement-sans-cause/

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