Féminisme d'Etat (France)
Nota bene : Cet article se focalise principalement sur le féminisme d’Etat français.
Le pouvoir politique : féministe par intérêt et patriarcal par nature
“Je suis un féministe auto-déclaré et j’aimerais être reconnu comme tel par les féministes, ce qui est beaucoup plus important”.
Ces mots sont ceux d’Emmanuel Macron, lors du Women’s Forum en 2016.
Ainsi, on peut définir le féminisme d’Etat comme l’ensemble des prises de positions et politiques publiques des institutions étatiques ayant pour objectif de mettre en œuvre des actions afin de lutter contre des injustices, discriminations, préjugés et représentations affectant les femmes et/ou minorités de genre.
Ce présent article ne reviendra pas en détail sur l’historique et l’état actuel des programmes politiques en matière d’égalité femmes-hommes. Il se contentera de poser un regard critique sur la nature et les objectifs sous-jacents de ce féminisme d’Etat.
Une institution politique historiquement patriarcale
La justification de l’oppression
Depuis toujours, les institutions des sociétés humaines ont contribué à justifier l’oppression des hommes sur les femmes. Ainsi, la science, la littérature et la religion ont servi un objectif de légitimation des rapports de force patriarcaux.
Mais au sein de nos sociétés modernes, l’institution par excellence reste sûrement celle de l’Etat.
En effet, cette institution incarne une forme normalisée d’organisation sociale au fil des siècles.
L’exclusion des femmes
Le pouvoir politique se distingue historiquement comme l’un des théâtres les plus marqués par l’exclusion des femmes.
Reléguées dans la sphère privée, celles-ci ne devaient pas exercer de rôle sur la place publique. Elles sont alors considérées comme des citoyennes de seconde zone. Elles sont écartées des lieux de décision et privées de droits civiques.
Pouvoirs de justice, de police, de loi et de représentation politique. Tous ont donc été façonnés par des hommes, pour des hommes.
Ils se sont construits à travers un prisme masculin déterminé par les normes de la virilité. Et ce, afin de satisfaire les intérêts d’une Nation où l’individu est par principe un homme.
Dans l’introduction de son fameux essai Le deuxième sexe, Simone de Beauvoir cite à ce sujet le philosophe Poulain de la Barre. Ce dernier affirmait :
“Ceux qui ont fait et compilé les lois étant des hommes ont favorisé leur sexe, et les jurisconsultes ont tourné les lois en principes”.
L’Etat, un ennemi du féminisme
Ainsi, l’Etat apparaît à l’origine comme un ennemi du féminisme. On le considère comme le premier oppresseur des femmes à travers les lois qu’il promulgue, les inégalités qu’il encourage, les violences qu’il tolère, les répressions qu’il met en place.
En Angleterre, la lutte pour le droit de vote devient le témoin de cet affrontement direct entre féminisme et représentants de l’ordre étatique.
La police réprime avec violence les manifestations des suffragettes. A tel point qu’elles créeront des unités spécialisées en arts martiaux pour apprendre à riposter.[1]
Un renouveau féministe ?
Cependant, ces dernières décennies, la politique étatique a pris un tournant, à première vue, total.
Les législateurs ont concédé aux mouvements féministes les droits civiques, puis reproductifs, qu’elles revendiquaient. Ils ont mis en place des lois de parité visant à favoriser la présence des femmes au sein des institutions politiques.
De plus, les dirigeant.e.s ont intégré dans leur programme des enjeux féministes. Ils/elles ont créé, au sein de leurs gouvernements des secrétariats d’Etat dédiés à l’égalité entre les hommes et les femmes. Les grandes instances internationales ont créé des plans d’action dédiés à la question. Certains pays ont même élu à leur tête des femmes comme cheffes d’Etat.
Dès lors, l’Etat est-il toujours un acteur du patriarcat ? Ou est-il devenu un véritable défenseur de la condition des femmes ? En tant que féministes, conserver une méfiance envers le pouvoir étatique est-il raisonnable ? L’arrivée des femmes au sein des centres de décision et la normalisation d’un discours sur l’égalité femmes-hommes sont-elles synonymes de réconciliation avec l’État ?
En outre, cet article vise à comprendre les intérêts de l’Etat à investir le féminisme alors qu’il était auparavant son plus fervent opposant. Il vise aussi à montrer comment les enjeux du féminisme militant ont été détournés par le discours politique pour mieux servir les stratégies des dirigeant.e.s. Enfin, l’article souhaite se focaliser sur l’exemple du discours français des dernières années, particulièrement révélateur de l’instrumentalisation du féminisme par l’Etat.
Un féminisme dépolitisé
Un ennemi intangible
Le discours féministe militant se construit dans une radicalité essentielle. En effet, il dénonce des rapports de pouvoir structurels.
Au contraire, le discours politique caractérisé par le féminisme d’Etat tend à pacifier les luttes. Il efface alors la dimension globale des inégalités.
Tout l’intérêt de cette stratégie consiste à invisibiliser le rôle de l’Etat dans la perpétuation des mécanismes de domination masculine. Tout ennemi est bon à désigner pour déresponsabiliser nos représentant.e.s : religions conservatrices (souvent l’islam, qui est diabolisé), populations issues de l’immigration, et même le COVID, qui est qualifié d’antiféministe par Emmanuel Macron[2].
Selon cette idéologie, ce ne sont pas les politiques publiques en matière de travail et de santé qui précarisent et affaiblissent les femmes, mais un virus dépourvu de conscience. Ce ne sont pas nos ministres qui violent, mais des inconnus dans des ruelles sombres. Ce ne sont pas nos écoles publiques et leurs tenues républicaines qui oppriment la liberté des femmes, mais une religion vieille de 1400 ans.
L’ennemi est facile à accuser. Il n’est pas tangible, pas matériel. Pas clairement identifiable. Pas vraiment connu. Et certainement pas saisissable. Et surtout, il n’est jamais l’Etat lui-même.
Un discours axé sur l’universalisme
De plus, toutes les théories visant à adopter une approche intersectionnelle et remettre en cause un système tout entier caractérisé par des violences institutionnelles et une banalisation du sexisme, sont mises de côté au profit d’un discours marqué par une forte dépolitisation.
Isabelle Rome, ministre française chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances, revendique en effet que :
“Les droits des femmes ne sont l’apanage d’aucun groupe politique.”[3]
En outre, on assiste à une véritable esthétique du “girl power” largement mis en avant sur les réseaux sociaux et une focalisation des ONG sur “l’empowerment” des femmes. Mais, en parallèle, les responsables politiques revendiquent constamment un “universalisme” et un ‘humanisme” en matière d’égalité hommes femmes.
Une mise en avant des Lumières
Il est également fait référence au “combat des Lumières”. Comme si cet héritage était neutre ou même féministe.
Pourtant, ces philosophes n’étaient pas seulement des produits des sociétés patriarcales dans lesquelles ils vivaient. Ils en étaient les théoriciens.
Une forte déshistorisation des luttes
Enfin, les héroïnes de ce féminisme d’Etat sont des femmes blanches, proches du pouvoir, telles que Simone Veil ou Elisabeth Badinter. On cite d’ailleurs souvent ces dernières dans les déclarations officielles.
Françoise Vergès dénonce ce phénomène de déshistorisation. Celui-ci tend à invisibiliser les luttes des féministes issues de mouvements décoloniaux.[4]
Par ailleurs, Camille Sarret écrit dans Le Monde Diplomatique, à propos des féministes du “Sud” :
“Le retour sur l’histoire du féminisme qui a marqué l’année 2010, avec, en France, les quarante ans du Mouvement de libération des femmes (MLF), ne doit pas faire oublier les femmes du Sud, leurs luttes et leurs contributions au renouvellement du féminisme.
On a tendance à en faire trop facilement des victimes, alors qu’elles sont souvent en révolte contre l’ordre établi et les inégalités qu’engendrent certaines traditions. Ainsi, sait-on que le seul pays au monde où les femmes sont majoritaires au Parlement est le Rwanda ? Depuis les élections générales de 2008, elles représentent 56,3 % des député.e.s ! Un record à faire pâlir d’envie jusqu’aux pays scandinaves, champions de la parité politique en Europe.”
Un discours paternaliste
Dans la suite de ce discours qui se revendique universaliste, l’argumentaire du féminisme d’État se caractérise, comme à l’accoutumée, par un fort paternalisme. Notamment envers les femmes racisées.
Dans un article du Monde[5], Elsa Dorlin revient sur le discours d’Emmanuel Macron au sujet de la natalité des femmes africaines. Le mépris légendaire du président français s’illustre encore une fois lorsqu’il martèle :
“Quand des pays ont encore sept à huit enfants par femme, vous pouvez décider de dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien”.
Elsa Dorlin moque sa posture de “chevalier blanc”. Elle rappelle justement :
“Quant au libre choix des femmes – là-bas, ici, ailleurs, partout –, ce n’est certainement pas à un homme d’Etat d’en décider. Idéalement, il peut œuvrer pour que des politiques publiques assurent les conditions matérielles de ce libre choix, a minima il peut se taire et, surtout, nous épargner ce « fémocolonialisme », terreau du racisme comme de l’antiféminisme, qu’il faut abattre urgemment.”
Un patriarche dominateur par excellence
Macron oublie ainsi une chose essentielle. Loin d’être le premier féministe de notre pays, il représente le patriarche dominateur par excellence. Il est le patron méprisant par nature.
Voilà toute la limite d’un discours dénué de réflexion intersectionnelle.
En bon paternaliste, il entend protéger les femmes. Mais pas les femmes noires. Pas les femmes voilées. Ni les femmes pauvres. Seulement cette femme neutre, universelle, réfléchie à travers un prisme blanc et bourgeois.
Un leadership de domination
Un pouvoir héritier d’une masculinité hégémonique
La figure présidentielle jupitérienne de Macron se caractérise particulièrement par un mépris des minorités et des foules. Mais aussi par une position autoritaire et distante, qui évoquent celle d’un véritable monarque républicain.
Un pouvoir jupitérien
Au cours de ses premières campagnes présidentielles, Macron revendiquait d’ailleurs cette notion de pouvoir jupitérien.
Cette attitude, profondément ancrée dans les codes virilistes de pouvoir, se croise avec celle des machistes assumés tels que Donald Trump.
Marie-Cécile Naves, docteure en sciences politiques, revient sur ce parallèle :
“Le patriarcat est envisagé ici comme une structure de domination, que les hommes investissent de manière différenciée. Des chefs d’Etat ont adopté un patriarcat “soft” féministe et humaniste, qui tranche avec un patriarcat vulgaire, raciste, homophobe, transphobe, qui se vante d’attraper les “femmes par la chatte” et de mépriser les institutions de l’Etat. Mais tous deux poursuivent la même politique néolibérale, tous deux défendent l’économie extractiviste, tous deux persistent à diffuser le grand récit occidental du progrès infini, dont nous savons qu’il est historiquement fondé sur l’exploitation des peuples et des ressources du Sud global. Ces deux patriarcats partagent le même mépris pour les classes populaires (mais leur mentent différemment), le même désir d’être adulé et la même volonté de mettre les institutions au pas”.
Un leadership infaillible
Dans le podcast Les Couilles sur la table[6], Marie-Cécile Naves explique que ce leadership de domination est un leadership qui se veut vertical, autoritaire, prédateur, et même infaillible. Il ne s’excuse jamais. Pas plus qu’il ne reconnaît ses erreurs. Il décide seul sans consultation.
Ce pouvoir se pense neutre et universel. Pourtant, il perpétue les codes genrés d’une masculinité hégémonique et dominatrice.
Un leadership qui ne dépend pas du genre de celui ou celle qui le détient
Mais toute la force de ce leadership consiste en ce qu’il s’incarne autant par un homme que par une femme. Car il ne dépend pas du sexe. Il dépend, au contraire, d’un système de pratiques politiques forgées, répétées, légitimées qui découlent directement d’une tradition patriarcale.
L’homme politique, sans majuscule, car pensé comme un homme par principe, doit communiquer et gouverner sans empathie, sans remise en question et sans coopération.
L’incarnation totale de ce leadership par Macron
Une discussion d’homme à homme
L’exemple d’Emmanuel Macron est particulièrement révélateur. Ainsi, il revendique avoir eu une discussion “d’homme à homme” avec son ministre de l’intérieur, Gerald Darmanin, au sujet des accusations de viol dont celui-ci fait l’objet.
Un mépris face aux révoltes sociales
De plus, toute son attitude face aux révoltes sociales causées par sa réforme des retraites démontre son incarnation totale de ce leadership de domination : disqualification des opposant.e.s politiques, comme la Ligue des Droits de l’Homme, détournement des institutions démocratiques, avec un usage abusif des mécanismes prévus par la Constitution, utilisation de la force, avec une répression organisée et violente des manifestations.
Une légitimité due aux élections
Le président français est convaincu d’avoir raison. Même quand 7 français sur 10 se disent contre la réforme des retraites.[7]
Il répète mécaniquement à qui veut l’entendre que ses actions sont justifiées par son élection. Il va jusqu’à affirmer :
“L’émeute, la foule, n’ont pas de légitimité face au peuple qui s’exprime via ses élus »[8].
Histoire de la démocratie représentative
Pour un homme politique qui n’a pas fait campagne et qui a été élu en partie grâce à ce qu’il reste du barrage républicain, l’argument étonne.
D’autant plus quand on connaît l’histoire de la démocratie représentative en Europe. En effet, celle-ci montre qu’une élection démocratique ne garantit pas que le candidat élu exerce le pouvoir démocratiquement.
Le féminisme, quel intérêt ?
Alors, quel intérêt pour nos dirigeants, aux pratiques construites par une virilité hégémonique qui interdit l’empathie, de s’approprier la pensée féministe ?
Nous verrons que le pouvoir politique instrumentalise le discours des droits des femmes. Cela permet de servir deux objectifs. D’une part, au niveau de la politique extérieure, promouvoir l’Occident comme une terre civilisée, respectueuse des droits humains et de l’Etat de droit, en opposition à des nations du Sud jugées arriérées et obscurantistes, pour justifier une supposée supériorité culturelle de l’Europe et acquérir une légitimité et un rayonnement diplomatique sur la scène internationale. D’autre part, au niveau de la politique intérieure, construire un discours sécuritaire, qui instrumentalise le féminisme pour justifier une exclusion de certaines minorités et des mesures anti-immigration.
Une pensée civilisatrice
Une stratégie de domination
Pierre-Oliver De Broux, professeur en histoire et en droit à l’Université Saint-Louis Bruxelles, expose l’évolution de l’idée de civilisation. Celle-ci “s’est construite par opposition à une autre partie du monde qui n’était, par définition, pas civilisée, donc barbare, voire sauvage.”[9]
Il explique que le droit international s’est développé en parallèle de l’impérialisme colonial. Dès lors, il excluait à l’origine les nations considérées comme non civilisées.
Il relève que ce système est décrit par certains auteurs comme “une méthode de gestion et de hiérarchisation des différences culturelles, voire de discrimination raciale”. Il relève que c’est particulièrement contradictoire. En effet, elle affiche une ambition de civilisation tout en opprimant violemment les peuples qui ne rentrent pas dans ce standard.
Aujourd’hui, cette notion n’est plus revendiquée au sein de la diplomatie internationale. Mais elle y serait toujours présente, notamment grâce aux discours sur les droits de l’Homme qui amènerait un nouveau standard de civilisation, selon la juriste Ntina Tzouvala.
Françoise Vergès expose les mécanismes d’un retournement du féminisme vers un féminisme civilisationnel. Ce dernier a “entrepris la mission d’imposer au nom d’une idéologie des droits des femmes une pensée unique qui contribue à la perpétuation d’une domination de classe de genre et de race”.[10]
Elle affirme également “Le récit du féminisme civilisationnel reste contenu dans l’espace de la modernité européenne et ne prend jamais en compte le fait qu’il se fonde sur le déni du rôle de l’esclavage et du colonialisme dans sa propre formation”.
L’exemple de la diplomatie féministe
On présente l’idée de diplomatie féministe comme l’un des axes de politiques publiques en matière d’affaires étrangères et d’égalité hommes femmes. Elle s’inscrit dans cette lignée.
Les revendications affichées de certain.es représentant.es politiques français.es tracent le contour entre un Occident féministe et un tiers monde obscurantiste :
“La toute dernière remarque que je voulais partager avec vous, c’est que je crois à cette Europe féministe.”[11] ;
“La France, qui est le pays de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, doit aussi être celui des droits des femmes et constituer une lumière dans un monde de plus en plus obscur.”[12] ;
“La France veut, avec vous toutes et tous et pour elles, devenir le pays des droits des femmes.”[13]
Une instrumentalisation sécuritaire
Une stigmatisation des personnes racisées
Patricia Roux, Lavinia Gianettoni et Céline Perrin évoquent une “attribution d’un sexisme extraordinaire aux étrangers”[14]. Elles en présentent les deux principaux effets.
Premièrement, la domination patriarcale deviendrait un trait spécifique à la culture des personnes d’origine étrangère. Cela permet de justifier leur assignation à des “positions sociales, économiques et symboliques inférieures”.
Deuxièmement, cette assignation du patriarcat à une culture étrangère permet d’invisibiliser les problèmes structurels du sexisme dans les sociétés occidentales. Il serait même légitimé grâce à la comparaison à ce sexisme “plus fort et plus grave”.
En France, les propos de l’ancienne secrétaire d’Etat à l’égalité hommes femmes, Marlène Schiappa, illustrent bien cette stratégie. Elle soutient notamment que “Si la maison de votre voisin s’effondre, vous l’accueillez. Mais s’il se met à tabasser votre sœur, vous le virez”. Ou encore que “Lorsqu’un étranger commet des violences sexistes ou sexuelles, il doit cesser d’être accueilli en France”.[15]
Sara R. Farris définit ce fémonationalisme comme :
“la mobilisation contemporaine des idées féministes par les partis nationalistes et les gouvernements néo-libéraux sous la bannière de la guerre contre le patriarcat supposé de l’Islam en particulier et des migrants du Tiers Monde en général”.
Des politiques tournées vers une forte répression
En outre, cette instrumentalisation du féminisme pour servir des objectifs sécuritaires s’incarne de nouveau dans le langage d’Emmanuel Macron quand il évoque la mise en place d’un “arsenal répressif”.
Le magazine web Deuxième Page a dédié un article au féminisme “opportuniste” du président. Il estime que :
“Le tout-sécuritaire si cher à Macron, nommé dans son discours « arsenal répressif », s’incarne dans la multiplication des caméras de surveillance dans les transports en commun, la pénalisation du harcèlement de rue ou le renforcement des effectifs policiers dans cet unique but. « Arsenal répressif » : l’expression est forte, presque guerrière, dans la ligne toute tracée du féminisme impérialiste que Power définit comme « [un féminisme] qui utilise le langage du féminisme libéral (promotion des droits humains, du droit de vote), mais les techniques de la guerre ».”
Bien sûr, on se félicite de mesures qui luttent contre le sexisme Cependant, certain.es estiment qu’il ne faut pas perdre de vue qu’elles ont vocation à réprimer seulement certaines catégories de population, auxquelles le patriarcat est “abusivement associé”.
Ainsi, dans l’idéologie sécuritaire, la violence sexiste doit être condamnée quand elle est le fait d’hommes racisés. Mais elle semble beaucoup plus excusable de la part d’hommes blancs (et surtout s’ils sont ministres ! ).
L’exemple du voile
Enfin, l’assignation du sexisme à une culture provoque une énième stigmatisation des femmes racisées, issues de l’immigration. Celles-ci subissent, en plus des discriminations patriarcales et raciales, des stéréotypes quant au fait qu’elles seraient davantage “soumises” que les femmes blanches.
La question du voile cristallise les débats depuis plusieurs décennies. Elle est révélatrice de l’instrumentalisation du féminisme à des fins racistes et autoritaires.
Les représentants politiques français multiplient les déclarations sur le voile, dans des propos qui deviennent presque des caricatures de ce féminisme civilisateur et sécuritaire.
Lors des débats parlementaires sur le projet de loi confortant le respect des principes de la République, Annie Genevard, députée, affirme :
“Nous entendons bien introduire dans la discussion parlementaire des sujets comme le port du voile, dont la propagation exponentielle vise à imposer une autre norme sociale, que l’immense majorité des femmes de notre pays refuse, ou la question migratoire – vous n’en voulez pas, alors que nul ne peut raisonnablement nier qu’elle a un lien étroit avec la propagation de cette idéologie.”[16]
On peut également citer l’ancien ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, qui avait affirmé que : « Le voile n’est pas souhaitable dans notre société »
Pour conclure…
Comme nous l’avons vu précédemment, ce féminisme d’Etat peut autant s’incarner par un homme que par une femme. Certaines figures de l’extrême droite en Europe telles que Marine Le Pen ou Georgia Meloni le montrent bien.
Leur présence au sein de ces partis est même indispensable aux mouvements fascistes. En effet, ceux-ci tentent d’adopter une communication plus pacifiée, afin de convaincre plus d’électeurs.
Ainsi, le fait d’élire à leur tête des femmes ne peut se comprendre comme un acte féministe mais plutôt comme une réelle stratégie populiste de choisir délibérément des oratrices qui apparaîtront moins agressives que des hommes, tout en véhiculant les mêmes idées nauséabondes.
Alors, les féministes doivent-elles abandonner l’idée d’infiltrer la sphère politique pour créer du changement ?
Au contraire, le pouvoir politique pourrait être repensé, réorganisé, rendu plus coopératif et moins autoritaire.
La mise en pratique d’une théorie féministe du pouvoir semble même vitale face à la montée de l’extrême droite. Car elle pourrait incarner un véritable renouveau démocratique. Mais ces nouvelles façons d’exercer le pouvoir ne peuvent s’épanouir efficacement dans le système actuel. En effet, celui-ci tend à les exclure.
Dès lors, sans réelle réorganisation du monde politique, cette nouvelle manière de gouverner, au contact du peuple et du monde militant, reste isolée. Elle peut devenir la cible de sabotage politique.
En Belgique, l’exemple de Sarah Schlitz est révélateur de ces stratégies patriarcales visant à étouffer toute tentative de renversement de l’ordre établi.
Lauriane Arzel
Notes
[1]Voir à propos de l’usage des arts martiaux par les suffragettes britanniques l’essai d’Elsa Dorlin, Se défendre, Une philosophie de la violence aux éditions La Découverte
[2]Déclaration de M. Emmanuel Macron, président de la République, sur la mobilisation internationale en faveur de l’égalité femmes-hommes, à Paris le 30 juin 2021
[3]Discours du 23 mars 2023 à l’Assemblée nationale
[4]Françoise Vergès, Un féminisme décolonial
[5]Le Monde, « Macron, les femmes et l’Afrique : un discours de sélection sexuelle et de triage colonial », Elsa Dorlin, publié le 30 novembre 2017
[6]Episode “La politique, d’homme à homme”, 2021
[7]7 Français sur 10 sont contre : la part des Français opposés à la réforme des retraites progresse encore – Public Sénat (publicsenat.fr)
[8]Macron à sa majorité : « L’émeute, la foule, n’ont pas de légitimité face au peuple qui s’exprime via ses élus » (radiofrance.fr)
[9]Pierre-Oliver De Broux, Nations civilisées, mission civilisatrice, droit de civilisation L’idée de civilisation
[10]François Vergès, Un féminisme décolonial
[11]Déclaration d’Emmanuel Macron, sur l’action de la France en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’Union européenne, à Paris le 8 mars 2022
[12]Isabelle Rome, discours à l’Assemblée nationale le 23 mars 2023
[13]Déclaration de Marlène Schiappa sur la mise en œuvre de l’agenda « femmes, paix et sécurité », New York le 11 mars 2019
[14]Patricia Roux, Lavinia Gianettoni, Céline Perrin, L’instrumentalisation du genre : une nouvelle forme de racisme et de sexisme
[15]Enquête sur le fémonationalisme. Comment en sommes-nous arrivé·es là ? | Le Club (mediapart.fr)
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