Le féminisme islamique
Le féministe islamique, qu’est-ce que c’est ?
Premièrement, il est important de reconnaître que donner une définition unique du féminisme islamique serait inadéquat.
En effet, il n’existe pas une définition universelle ni du féminisme, ni de l’Islam. Effectivement, il existe plusieurs manières d’envisager aussi bien le mouvement féministe que la religion musulmane.
Pour certaines personnes, l’islam est uniquement représenté par le Coran. Pour d’autres, la pratique historique de la religion ou l’islam imaginé par la lecture des textes font partie intégrante de la religion.
Comme toute religion ou courant de pensée, il existe donc plusieurs façons d’envisager l’islam.
Par conséquent, on peut rencontrer plusieurs définitions. Pourtant, il y a un point commun à ces définitions : une interprétation holistique du Coran. Celle-ci offre un sens féministe au texte sans l’altérer. On parle alors d’une relecture de textes dans une visée égalitaire. Ainsi, les féministes veulent se réapproprier les textes et déloger les lectures patriarcales.
Quels sont les buts et les revendications des féministes islamiques ?
Les féministes islamiques ont un but : se mobiliser contre le patriarcat à partir de références musulmanes. Il est souvent constaté que le Coran lui-même ne serait pas patriarcal, mais que ce sont plutôt les jurisprudences et interprétations de celui-ci qui le seraient.
En effet, paradoxalement, l’islam est une des seules religions dans lesquelles le texte fondateur – le Coran – aborde le sujet de l’égalité homme femme.
Il aborde ceci via le concept d’égalité absolue (al-musawa) entre tous les êtres humains (insan).
La revendication principale des féministes est donc que le Coran prévoit l’égalité entre les hommes et les femmes.
Elles argument alors que ce sont les références postérieures, tels que les hadith (les déclarations orales du prophète) et le fiqh (la jurisprudence islamique) qui sont à l’origine des attitudes et croyances patriarcales.
Elles visent également la société comme élément déclencheur de ce type de croyances misogynes.
Peut-on conjuguer foi et féminisme ?
Une des critiques du féminisme islamique repose sur le fait qu’il serait inconcevable et inapproprié de parler de ces deux concepts de façon simultanée.En effet, pour certaines féministes, toutes les religions représentent des outils de domination patriarcale. Dès lors, pour elles, on ne peut pas revendiquer l’égalité dans un système de domination.
Pourtant, des militantes, telles que Leila Tauli, considèrent que le mariage des concepts n’est pas incompatible, au même titre que le féminisme juif ou catholique.
Ainsi, Tauli considère que le féminisme représente un courant de pensée, une approche particulière n’excluant donc pas sa conjugaison à la religion. Le mariage des deux concepts est intrinsèquement lié à l’interprétation de ce qu’est le féminisme car il est, pour certaines, nécessairement séculier.
Féminisme islamique ou islamiste ?
Par ailleurs, la plupart des militantes s’accordent sur un point : il n’est pas possible de parler de féminisme islamiste.
Ceci s’explique par le fait que les islamistes défendent l’idée d’un rapport hiérarchique et complémentaire entre les hommes et les femmes.
Pour eux, une égalité entre les sexes est donc théoriquement et pratiquement impossible.
On utilisera donc la notion de « femme islamiste » non pas pour parler d’une féministe mais plutôt pour décrire une femme qui adhère à l’idéologie islamiste.
L’origine du féminisme islamique
La période de Nahda
La période de la Nahda est particulièrement cruciale lorsque l’on parle de féminisme islamique.
La Nahda est un mouvement intellectuel et culturel arabe du 19ème siècle.
Ce mouvement engendre un réformisme musulman qui prône une approche plus libérale et moderniste de l’Islam.
Cette modernisation du monde arabe se fait, entre autres, par l’éducation des femmes.
Selon cette pensée, il n’y a pas d’émancipation générale de la société si les femmes ne s’émancipent pas. La Nahda représente donc un moment important et fondateur du féminisme islamique.
Les origines : le féminisme séculier
L’historienne Margot Badran identifie deux mouvements féministes au Moyen-Orient : le « féminisme séculier/laïque » et le « féminisme islamique ». Notons qu’on appelle « féminisme séculier » ou « laïque », le féminisme qui n’est pas en lien avec la religion.
Margot Badran fait remonter le féminisme séculier à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle. À cette époque, l’empire ottoman est en pleine décomposition. La région est alors confrontée au colonialisme, à la modernisation et au nationalisme arabe.
On dénonce souvent le « féminisme laïque » comme trop influencé par l’Occident. Pourtant, il n’y a pas de féminisme islamique sans féminisme laïque, à l’origine.
La naissance du féminisme islamique
Après l’indépendance coloniale, au milieu du 20e siècle, et parallèlement à la réorientation vers la pensée islamique, le féminisme islamique voit le jour.
Plusieurs facteurs contribuent à la montée du féminisme islamique. Principalement, le fait que les femmes du Moyen-Orient, instruites et ayant acquis un certain degré d’indépendance, se montrent de plus en plus préoccupées par la renaissance d’une interprétation forte et conservatrice de l’islam.
Le féminisme islamique réussit alors à s’implanter dans une société où l’islam est en train de renaître.
Les féministes islamistes soutiennent que ce n’est pas l’islam, mais les vestiges patriarcaux des temps anciens, qui entraînent une dynamique inégalitaire entre les sexes. En effet, elles constatent que dans l’Islam, les principes égalitaires prédominent.
En conclusion, l’histoire du Moyen Orient et les différentes dynamiques sociales ont été déterminantes à l’émancipation des femmes.
Au 19ème siècle, la réforme religieuse promouvant un Islam plus libéral (la Nahda) ainsi que le colonialisme expliquent la naissance d’un féminisme séculier. Un siècle plus tard, la renaissance de l’Islam résulte en un mariage entre la foi et le féminisme. Ainsi, nait le féminisme islamique.
Quelques figures importantes
Le féminisme séculier au 19ème et 20ème siècle
Qasim Amin
On considère souvent Qasim Amin, juriste égyptien, moderniste islamique et nationaliste, comme le « père du féminisme oriental ».
Quasim Amin se fait connaître durant la Nahda grâce à ses livres « La libération de la femme» et « La nouvelle femme ». Ces livres défendent l’amélioration de la condition de la femme.
Néanmoins, son rôle dans le féminisme oriental est un sujet très débattu. On avance souvent que son travail a été fortement influencé par les principes et les idéaux occidentaux, en d’autres termes, par le colonialisme. On lie Qasim Amin au féminisme séculier.
Huda Sharawi
Lorsque l’on parle de féminisme arabe/oriental, il est inconcevable de ne pas mentionner l’égyptienne Huda Sharawi, véritable pionnière du mouvement féministe en Moyen Orient.
Au 20ème siècle, Huda Sharawi fonde l’Union Féministe Égyptienne. Il s’agit d’une fondation laïque et du premier grand mouvement féministe égyptien.
Elle publie une revue à succès. Elle devient alors une véritable actrice politique dans la lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes. On lie également Huda Sharawi au féminisme séculier.
Le féminisme islamique au 20ème siècle
Fatima Mernissi
Fatima Mernissi, sociologue, écrivaine et militante marocaine a été une voix importante dans la promotion des droits des femmes dans le monde musulman.
Elle se fait connaître pour son travail sur l’interprétation du Coran. Au sein de celui-ci, elle cherche à démystifier les interprétations patriarcales. Elle met alors en évidence des perspectives féministes.
Grâce à plusieurs ouvrages, Fatima Mernissi encourage la réflexion critique. Dès lors, elle ouvre des discussions sur l’égalité des sexes et les droits des femmes au sein des sociétés musulmanes.
Même si le véritable mouvement du féministe islamique se développe au 20ème siècle, Fatima Mernissi n’est pas la première à allier islam et conditions de femmes.
Au 8ème et 9ème siècle, déjà
Déjà, au 8ème siècle, les œuvres de l’irakienne Rabi’a al-Adawiyya mettent en avant l’importance de l’indépendance de la femme et de sa quête spirituelle individuelle.
Cette approche inspire des générations entières de femmes musulmanes à s’émanciper.
Un peu plus tard, au 9ème siècle, Fatima Al Fihri, princesse marocaine, fonde la première université au monde.
Cette université musulmane est ouverte aux femmes, fait rare pour l’époque.
Le travail de la princesse permet aux femmes d’acquérir des connaissances, de participer à des discussions intellectuelles et de s’épanouir et s’émanciper dans le domaine académique.
On remarque donc, que bien qu’elles se démocratisent au 20ème siècle, les idées des féministes islamiques confirment une pensée ancienne et particulièrement présente dans l’histoire musulmane.
Les femmes dans l’Islam : constamment invisibles
Tout comme en Europe, on observe un phénomène d’invisibilisation des femmes. Par conséquent, les figures féminines importantes de l’histoire, et pas seulement de l’histoire islamique, ne sont pas suffisamment reconnues.
Cette situation est problématique. En effet, elle renforce les structures patriarcales. C’est peut-être aussi la raison pour laquelle l’interconnexion entre l’islam et le féminisme est parfois difficile à saisir. Il est donc utile de mettre en lumière quelques figures féminines importantes au sein de l’Islam.
Khadija, l’entrepreneuse
Tout d’abord, la première femme du prophète Khadija bint al-Khuwaylid est une figure majeure de l’Islam.
On la considère souvent comme la deuxième musulmane, après le prophète lui-même.
Khadija est une marchande de 15 ans l’aînée du prophète. Elle est veuve. Cette femme d’affaires engage le prophète. Elle le rencontre donc alors qu’elle bénéficie d’une position hiérarchiquement supérieure à lui.
C’est elle qui lui propose de se marier.
Khadija meurt en l’an 620. Et il est parfois dit que le prophète a lui-même creusé sa tombe.
Le prophète ne se remarie qu’après sa mort.
Il est intéressant de constater à quel point Khadija représente une figure de pouvoir au sein de l’Islam. En effet, c’est son indépendance et son travail qui permettent de financer les projets du prophète.
Khawlah, la guerrière
Un autre exemple concret est celui de Khawlah bint Al-Azwar, la femme guerrière d’Arabie.
Née au septième siècle, cette guerrière, déguisée en homme, est présente aux côtés du prophète durant les conquêtes musulmanes.
Véritable stratège, cette femme joue un rôle clé dans plusieurs batailles. On la compare souvent aux plus braves guerriers. Ainsi, on fait parfois référence à Khawlah bint Al-Azwar comme la Mulan musulmane.
A’isha, femme politique
La place d’Aisha, troisième femme du prophète est particulièrement intéressante.
Après la mort du prophète, Aisha s’oppose à Ali, nouveau calife après l’assassinat de l’ancien calife Othman (dans un épisode appelé la bataille du chameau).
L’un des résultats de la confrontation entre Ali et A’isha est la division des musulmans entre chiites et sunnites.
Les chiites sont alors pour Ali et, par conséquent, contre A’isha. Pour eux, A’isha représente, en effet, la désobéissance civile et le droit de contester le calife lorsqu’on estime qu’il est dans l’erreur.
Le cas d’A’isha illustre à quel point la revendication pour ou contre les droits politiques des femmes est liée à la recherche et à l’interprétation de l’islam.
Un exemple du travail des féministes islamiques
Un extrait du Coran souvent l’objet de débats : la sourate 4 :34.
Ainsi, on mentionne toujours cet extrait lorsqu’on aborde le sujet de l’égalité. En effet, il définit les relations entre les hommes et les femmes au sein de la société.
Le Coran utilise le mot qawwamun dans ce verset. Le verset explique que les qawwamun sont en charge des femmes.
Dans certaines versions du Coran, ce mot est traduit par le terme «homme » ou « gardien masculin ».
Cette traduction confère aux hommes le pouvoir d’affaiblir et de contrôler les femmes dans de nombreux aspects de la vie.
Les féministes islamiques soutiennent que le mot pourrait simplement signifier soutien de famille. Cette réinterprétation changerait alors toute la signification du verset. Cela aurait un impact sur les relations hommes-femmes au sein de la communauté musulmane.
De plus, on conteste souvent la présence du verbe daraba.
Dans certaines versions du Coran, ce verbe se traduit par « frapper » ou « flageller ». Cette traduction confère donc aux qawwamun, le pouvoir de frapper les femmes lorsque celles-ci sont désobéissantes.
On utilise, dès lors, souvent ce verset pour légitimer le droit de violenter son épouse.
Les féministes islamiques soutiennent, quant à elles, que le verbe peut se traduire de plus de 26 façons différentes. En outre, une de ces traductions est le verbe « éviter ». L’interprétation des féministes est donc qu’un qawwamun a le droit d’éviter mais pas de frapper une femme. Cela change évidemment tout.
Les féministes islamiques montrent ainsi comment on exploite les termes, dans ce cas, pour justifier la supériorité intrinsèque des hommes sur les femmes.
Une fois de plus, nous sommes confrontés à la subjectivité des textes sacrés et aux différents problèmes qui en découlent.
Emma Pecqueux
Références juridiques
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Disclaimer
En tant que femme non-musulmane, il me semble important d’expliquer mon positionnement.
J’ai écrit cet article car ce sujet que j’avais déjà abordé lors d’un cours sur l’histoire du Moyen-Orient m’intéressait particulièrement.
Cet article est publié à but informatif et adopte un point de vue objectif.
Tout au long de l’article, j’essaie de ne pas tenir de discours jugeant ou matériellement incorrect. Il est pour autant important de noter que tout texte religieux peut être sujet à plusieurs interprétations, ce qui ne rend pas cette tâche particulièrement facile.
Je me suis basée sur des recherches, cours et interviews de professionnel.le.s.
N’hésitez pas à me contacter si vous remarquez des propos problématiques.
Emma Pecqueux
Ressources
A venir
Bibliographie
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