Justice et stéréotypes de genre

Justice et stéréotypes de genre

Qu’est-ce que sont les stéréotypes de genre et leur lien avec la Justice ?

Les stéréotypes de genre perpétuent des croyances discriminatoires, même devant la Justice. Celles-ci concernent les rôles, les capacités et les droits des femmes dans tous les domaines de la vie.

Or, ces attitudes sociales enracinées dépeignent les femmes comme des êtres irrationnelles, fragiles et principalement destinées aux tâches domestiques et de soins.

De telles visions stéréotypées diminuent l’autonomie et le pouvoir de décision des femmes. Par ailleurs, cela justifie supposément aussi le refus de leur égalité totale devant la loi.

Les stéréotypes de genre sont à l’origine de nombreuses pratiques juridiques et institutionnelles qui minent les droits fondamentaux des femmes. Cela comprend les droits reproductifs, les opportunités d’emploi, la participation politique et la protection contre les violences fondées sur le genre.

Bien sûr, des lois ont été créées pour contrer la discrimination. Cependant, les stéréotypes persistants font prospérer des discriminations systémiques contre les femmes.

Malheureusement, les stéréotypes de genre ne s’arrêtent pas aux portes des tribunaux qui rendent justice. De ce fait, les décisions de justice reflètent souvent une société profondément patriarcale.

Par ailleurs, les violences sexistes et sexuelles se poursuivent au sein même des organes judiciaires.

Pourtant, ce sont eux qui sont chargés de faire respecter les lois protégeant les droits des femmes.

Cette contradiction est assez effrayante. Or, elle est bien réelle.

Ainsi, le Syndicat de la magistrature français a publié une enquête en décembre 2024. Cette dernière met en évidence les violences genrées terribles à l’œuvre au sein de la magistrature.

L’enquête du Syndicat de la magistrature français sur les violences sexistes et sexuelles

Près de la moitié des personnes qui ont répondu à l’enquête du Syndicat de la magistrature disent avoir vu ou vécu des comportements sexistes ou discriminatoires. Ainsi, les faits dénoncés vont du harcèlement à des agressions sexuelles.

La plupart des victimes sont des femmes, et la plupart des auteur.e.s sont des hommes.

Par ailleurs, l’enquête révèle que les personnes qui commettent ces actes sont souvent des supérieur.e.s hiérarchiques.

De plus, l’étude montre aussi que le sexisme est particulièrement présent quand il s’agit de la grossesse des femmes juges.

Ces comportements peuvent même avoir un effet sur le travail des juges pendant les procès.

Ce que révèle cette enquête est d’autant plus choquant que ce sont ces mêmes personnes qui doivent juger les crimes et délits sexuels dans notre société.

Dès lors, difficile de s’étonner des nombreuses décisions judiciaires qui perpétuent des stéréotypes genrés graves et néfastes pour les droits des femmes.

Les stéréotypes de genre en justice : des obstacles à l’autonomisation des femmes et à l’égalité

Les stéréotypes de genre constituent des obstacles majeurs au respect des droits des femmes et à la pleine réalisation de l’égalité des genres.

Ces croyances profondément ancrées sur les caractéristiques, les rôles et les comportements jugés appropriés pour les femmes et les hommes perpétuent les discriminations.

De plus, ces stéréotypes limitent l’autonomie et les choix des femmes, tant dans la sphère publique que privée.

Une remise en question indispensable des stéréotypes de genre dans la Justice

Remettre en question les stéréotypes de genre nuisibles à travers une perspective sensible au genre se révèle donc crucial.

En effet, cela permet d’identifier et de déconstruire les barrières structurelles qui entravent les droits des femmes.

Les instruments internationaux des droits humains, comme la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), se concentrent sur ces enjeux.

Ainsi, cette convention a explicitement mandaté les États pour qu’ils modifient les modèles sociaux et culturels fondés sur des rôles stéréotypés et des préjugés contre les femmes (CEDAW, article 5).

Les stéréotypes de genre en Justice : cause et conséquence de discriminations

En outre, les stéréotypes constituent à la fois une cause et une conséquence de la subordination des groupes défavorisés, comme les femmes. Ils limitent l’individualité et la complexité en tant qu’êtres humains de ces groupes. La discrimination résulte de cette réduction de leur humanité.

De plus, les stéréotypes de genre justifient l’inefficacité des mécanismes juridiques censés protéger les femmes contre la violence.

D’ailleurs, c’est particulièrement le cas pour les femmes issues de minorités qui subissent une discrimination cumulative. Ainsi, une hiérarchie de crédibilité qui favorise les récits des groupes dominants intervient. De ce fait, les stéréotypes entravent l’accès à la justice. Et ils autorisent une dévalorisation systémique des expériences et des voix des femmes.

Lutter contre des mythes dangereux sur le viol : responsabiliser la justice face aux stéréotypes de genre

L’influence vicieuse des mythes sur le viol dans les procédures judiciaires constitue un obstacle majeur à l’accès à la justice pour les victimes de violences sexuelles.

Ces stéréotypes sont profondément enracinés. Or, ils sont issus d’idées dépassées de culpabilisation des victimes et de normes de genre d’un autre temps.

Pourtant, ils déforment l’évaluation de la crédibilité et de la culpabilité.

En effet, les juges et les jurys, consciemment ou inconsciemment, nourrissent de nombreux préjugés. De nombreux/nombreuses juges considèrent encore que le comportement, la tenue vestimentaire ou le niveau d’alcoolisation des femmes justifierait ou inviterait l’agression sexuelle. Ainsi, cela perpétue une « culture du doute » envers les victimes.

Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (appelé Comité CEDAW) a franchi une étape importante. Elle a choisi de reconnaître l’impact délétère de tels stéréotypes sur le droit à un procès équitable.

Ce Comité CEDAW constitue un groupe d’expert.e.s de l’ONU. Il veille au respect des droits des femmes. Ainsi, il vérifie que les pays appliquent un traité international pour lutter contre les inégalités et protéger les femmes.

Par conséquent, les pays doivent expliquer au Comité ce qu’ils font pour améliorer les choses. Le Comité peut aussi aider quand une femme estime que ses droits ont été transgressés.

Son but ? Garantir l’égalité pour toutes les femmes.

L’affaire Karen Tayag Vertido contre les Philippines

Les effets terribles des stéréotypes de genre sur la Justice

L’affaire Karen Tayag Vertido contre les Philippines est un exemple des effets négatifs des stéréotypes de genre pour les victimes de violences sexistes et sexuelles.

En effet, les juges ont traité Karen Tayag Vertido avec peu de considération.

En l’occurrence, Karen Tayag Vertido avait accusé un homme de viol. Or, il s’avère que cet homme était aussi un ancien président de la Chambre de commerce et d’industrie de Davao et Karen Tayag Vertido, une employée de la Chambre.

La Cour a examiné le témoignage de cette femme avec une « extrême prudence ».

De plus, les juges ont remis en question sa crédibilité. Notamment, ils ont affirmé qu’une accusation de viol pouvait être formulée facilement.

En outre, les juges ont considéré que Karen  Tayag Vertido a eu de nombreuses occasions de fuir son agresseur.

De ce fait, selon les autorités, les faits ne pouvaient pas être qualifiés de viol. Ainsi, pour un ensemble de raisons enracinées dans des préjugés sexistes, l’homme accusé de viol a été acquitté.

L’importance de remettre en question les stéréotypes de genre en Justice

Par la suite, le Comité CEDAW a réexaminé le jugement des autorités philippines.

Ainsi, le Comité a établi que le fait de ne pas avoir fui n’invalide pas l’existence du viol.

Par ailleurs, le Comité CEDAW a estimé que le tribunal des Philippines avait commis des erreurs.

Dans cette affaire, les erreurs viennent des mythes et des stéréotypes fondés sur le genre concernant le viol et les victimes de viol. Le Comité a souligné que le fait que la femme n’ait pas résisté ne signifie en aucun cas qu’il y avait consentement.

Ainsi, le Comité a affirmé qu’il ne devrait y avoir aucune présomption en droit ou en pratique qu’une femme donne son consentement lorsqu’elle n’a pas résisté physiquement à un comportement sexuel non désiré.

Le Comité a recommandé à l’État de revoir sa définition du viol. En effet, le Comité considère que l’absence de consentement constitue un élément essentiel du crime de viol.

Par ailleurs, il demande de supprimer toute disposition qui dit que la violence ou la force est nécessaire pour commettre une agression sexuelle.

Cette affaire est emblématique d’un reproche qui est souvent fait aux victimes de violences. On reproche aux femmes de ne pas s’être débattues ou de ne pas avoir « assez » lutté contre leur agresseur.

Or, il s’agit d’une méconnaissance dramatique d’un certain nombre de mécanismes de défense du cerveau. En effet, le cerveau met parfois tout en œuvre pour nous protéger de la violence lors de moments traumatiques. Cela peut se traduire par un gel total de toutes les réactions de la personne agressée.

Comprendre les réactions possibles des victimes de violences

Ainsi, lors d’un viol, une femme peut ne pas se débattre physiquement pour plusieurs raisons interconnectées.

Tout d’abord, la sidération est une réaction physiologique et psychologique courante. Elle peut provoquer une paralysie involontaire. Celle-ci empêche, par conséquent, la victime de s’opposer à l’agression.

Ensuite, le blocage des circuits cérébraux peut survenir face à une menace extrême. Ce mécanisme limite les mouvements volontaires du corps.

De plus, la peur intense peut tétaniser la victime. Or, cela l’empêche de réagir.

Par ailleurs, l’instinct de survie peut inconsciemment pousser la victime à rester immobile. En effet, cela peut éviter d’éventuelles blessures supplémentaires.

Enfin, l’état de la victime, notamment si elle est sous l’emprise de substances, peut réduire sa capacité à réagir physiquement.

Il est donc crucial de comprendre que l’absence de résistance physique ne signifie en aucun cas un consentement.

En effet, le viol se définit par l’absence de consentement et non par la présence ou l’absence de résistance physique.

La déconstruction de ces mythes nuisibles nécessite une éducation judiciaire complète et un effort concerté. Cela permettra alors de lutter contre les inégalités structurelles qui permettent leur propagation.

Il faut une déconstruction profonde des stéréotypes basés sur le genre pour que la balance de la justice puisse véritablement être rééquilibrée.

Un « style italien » des stéréotypes de genre sur les victimes de viol devant la Justice

Le « style italien » est une tendance inquiétante.

En effet, il s’agit d’un système dans lequel les stéréotypes de genre influencent les procès.

C’est particulièrement le cas lors des procès pour viol et des procédures impliquant des violences basées sur le genre en Italie.

Cette pratique renforce des idées fausses et des préjugés sexistes. Elle présente les victimes sous un angle injuste et biaisé.

De surcroît, les médias et la justice renforcent souvent la souffrance des victimes. Ainsi, elles doivent non seulement subir la violence, mais aussi agir selon les attentes de la société pour être vues comme des « victimes parfaites ».

La façon dont la justice traite les victimes peut exposer ces dernières à une victimisation secondaire.

Qu’est-ce que la victimisation secondaire ?

La victimisation secondaire constitue un problème grave, surtout pour les femmes victimes de violences sexuelles.

Elle se produit lorsque ces victimes sont à nouveau traumatisées par le traitement qu’elles reçoivent dans le système judiciaire.

Cela peut se manifester de plusieurs façons. Par exemple, leur crédibilité est remise en question à cause de stéréotypes de genre.

Cela se traduit aussi par une minimisation du traumatisme, des questions ou des remarques inappropriées. Ou encore, on leur fait porter la responsabilité de l’agression.

Ces pratiques découragent souvent les victimes de demander justice. Ainsi, cela laisse les agresseurs impunis. Dès lors, cela contribue à renforcer les inégalités.

L’exemple des faits de l’affaire JL contre Italie

L’affaire JL contre Italie montre comment les stéréotypes de genre persistent dans les procédures judiciaires, surtout dans les cas de violences sexuelles.

Dans ce cas, la Cour d’appel italienne a utilisé des stéréotypes sexistes pour fonder sa décision. Par exemple, la victime portait des sous-vêtements rouges. Les juges ont interprété cette tenue comme un signe de consentement ou de provocation.

De plus, la mention de la bisexualité de la victime, sans lien avec l’affaire, reflète des préjugés sur l’orientation sexuelle.

Ces éléments ont détourné l’attention des faits essentiels de l’agression. Et ils ont contribué à la victimisation secondaire.

Certes, la Cour européenne des droits humains a reconnu ces stéréotypes. Cependant, elle n’a pas abordé l’affaire sous l’angle de la non-discrimination (article 14).

Ainsi, la Cour manque une occasion de traiter explicitement les liens entre stéréotypes, discrimination et violence envers les femmes dans le système judiciaire.

Ce cycle renforce les stéréotypes de genre. Or, cela empêche les femmes de bénéficier d’un procès juste et équitable.

En Italie, le système judiciaire montre comment ces stéréotypes ancrés peuvent fausser la justice et maintenir les inégalités que les groupes marginalisés tentent de combattre.

La nécessité d’une approche intersectionnelle pour lutter contre les stéréotypes de genre en Justice

Il est important de souligner que les stéréotypes de genre existent dans un écosystème. Au sein de celui-ci, de nombreux autres stéréotypes dangereux prospèrent.

Ainsi, il faut prendre en compte les stéréotypes dans leur ensemble pour lutter efficacement contre leurs effets injustes.

La Cour européenne des droits humains reconnaît de plus en plus l’impact des stéréotypes de genre sur les droits des femmes. Elle prend des mesures pour condamner les stéréotypes discriminants.

Mais elle hésite à aborder les dimensions intersectionnelles. En effet, les stéréotypes de genre ne sont pas isolés. Ils s’entrelacent avec des facteurs comme la race, la classe et la sexualité.

Par conséquent, l’addition de plusieurs stéréotypes crée des formes de marginalisation cumulées.

En ignorant cette réalité intersectionnelle, la Cour risque de maintenir une approche trop simpliste. Or celle-ci ne tient pas compte des expériences diverses des femmes.

Cependant, la jurisprudence de la Cour fait progresser la lutte contre les stéréotypes sexistes, notamment ceux qui attribuent aux femmes la responsabilité principale des soins.

En tant que plus haute cour des droits humains en Europe, la Cour a un grand potentiel pour faire avancer les droits des femmes. Cela nécessite d’adopter une perspective intersectionnelle et de continuer à déconstruire les stéréotypes de genre sous toutes leurs formes.

Le grand potentiel des jugements féministes pour protéger les droits des femmes

L’utilisation des jugements féministes pourrait jouer un rôle clé dans la promotion de la protection des droits des femmes.

Les projets de jugements féministes à travers le monde montrent que réécrire des décisions sous un prisme féministe peut influencer significativement les résultats des affaires. En effet, cela mène souvent à des décisions plus justes pour les femmes.

Les juges féministes ont la capacité d’examiner comment certaines lois supposément neutres peuvent en réalité désavantager les femmes.

Ainsi, ils/elles remettent en cause les biais de genre dans le raisonnement judiciaire. En outre, ils/elles prennent en compte les expériences des femmes. Dès lors, ces jugements peuvent remodeler la culture juridique.

De plus, intégrer des perspectives féministes dans les décisions juridiques est un outil puissant pour la justice sociale et l’égalité des genres.

L’importance d’une connaissance juridique compétente en matière de genre pour la prise de décision judiciaire

Faire progresser les droits des femmes et l’égalité des sexes dans le système juridique nécessite un effort collectif.

Or, intégrer des perspectives de genre dans les décisions judiciaires se révèle essentiel pour garantir des résultats plus équitables.

Les juges doivent comprendre les questions de genre et leurs biais pour améliorer l’accès à la justice.

De plus, la prise en compte des stéréotypes de genre dans le processus juridique est une étape clé pour une magistrature sensible aux expériences des femmes et des groupes marginalisés.

La jurisprudence de la Cour européenne des droits humains montre que des progrès restent possibles.

Les tribunaux qui adoptent une perspective de genre peuvent faire évoluer le droit. En maîtrisant l’analyse de genre, les juges peuvent mieux protéger les droits des femmes et promouvoir l’égalité des sexes.

Les projets de jugements féministes repensent les décisions sous un angle féministe. Ainsi, ils démontrent le potentiel de cette approche et peuvent inspirer des changements dans le système judiciaire traditionnel.

Le potentiel des jugements féministes pour remodeler la culture juridique

L’émergence de projets d’écriture de jugements féministes

Les projets de jugements féministes ont émergé mondialement comme une forme d’« activisme académique ». Ce dernier permet de montrer que le raisonnement judiciaire dominant ignore souvent la perspective de genre.

Ces projets réécrivent des décisions majeures. Mais, les auteur.ice.s utilisent des méthodes féministes pour démontrer comment le raisonnement ou les résultats pourraient changer avec une approche féministe.

Le projet du Women’s Court of Canada (en anglais, La Cour des Femmes du Canada) est pionnier en matière de justice féministe.

Il s’inspire de projets similaires. Mais ces derniers élaboraient des jugements critiques sur des questions raciales.

Ce projet canadien a ouvert la voie à des initiatives similaires aux États-Unis, en Irlande du Nord, en Australie et en Inde.

Ainsi, ces projets abordent divers domaines juridiques, tels que les droits reproductifs, la discrimination au travail, et la justice pénale.

Ils visent à exposer l’absence de perspectives féministes dans les décisions judiciaires et à proposer des modèles pour les intégrer.

Changer de regard sur le droit pour changer les pratiques

La réécriture des jugements sous un prisme féministe montre comment les avocat.e.s peuvent intégrer la théorie féministe dans leurs plaidoyers.

En outre, ces projets permettent aussi aux étudiant.e.s en droit de mieux comprendre les approches féministes du droit.

De plus, ils aident les juges à voir l’impact de ces perspectives sur le raisonnement et les décisions judiciaires.

Avec leur développement mondial, ces initiatives offrent un cadre clé pour promouvoir l’égalité des sexes et rendre le système juridique plus équitable.

Le jugement féministe peut transformer la culture et les pratiques juridiques.

Les juges féministes ont fait avancer les droits des femmes dans des domaines comme les droits reproductifs et la discrimination au travail. Ils/elles ont remis en question les biais de genre. Et ils/elles ont intégré les expériences vécues par les femmes dans leurs décisions.

Ainsi, en Afrique du Sud, dans un contexte post-colonial, cette approche a été cruciale pour interpréter la constitution. Elle a permis de reconnaître la violence domestique comme une violation des droits humains. En outre, elle a permis d’affirmer la responsabilité de l’État de protéger les femmes.

En tenant compte de l’intersectionnalité, des dynamiques de pouvoir et des voix des groupes marginalisés, le jugement féministe aide à promouvoir l’égalité des sexes.

Les défis et limites du jugement féministe

Les projets de jugements féministes doivent jongler entre l’universalisme et le relativisme culturel.

L’universalisme pense que certaines valeurs sont valables pour tout le monde, peu importe la culture, la religion ou le pays. En revanche, le relativisme culturel, lui, dit que chaque culture a ses propres valeurs et qu’il faut les respecter. Selon cette idée, il n’existe pas de règles universelles qui s’appliquent à toutes les cultures de la même manière.

Selon Martha Chamallas et Linda Berger, la théorie juridique féministe doit souvent « utiliser des concepts originaires d’une culture pour décrire et évaluer des réalités d’une autre culture ».

Or, c’est problématique lorsque la culture décrite a été colonisée et opprimée. Cela présente le risque que les féministes occidentales imposent leurs biais culturels à d’autres contextes.

Cependant, Martha Nussbaum soutient qu’un « féminisme international » doit faire des recommandations normatives qui traversent les frontières de la culture, de la nation, de la religion, de la race et de la classe.

Les féministes doivent être prêtes à formuler des affirmations universelles sur les droits des femmes pour provoquer un changement social et juridique.

Par ailleurs, une autre limitation importante est le risque de renforcer le pouvoir du droit lui-même.

Carol Smart avertit que l’engagement féministe dans le droit peut entraîner « des effets exclusifs et nuisibles pour les femmes ». En effet,  cela peut légitimer le droit comme principal moteur de changement. Car les projets de jugements féministes opèrent dans le système juridique en place. Dès lors, ils peuvent lui accorder encore plus de crédibilité.

Néanmoins, ces projets peuvent offrir des modèles précieux pour intégrer les perspectives féministes dans la prise de décision judiciaire.

L’enjeu reste de savoir si les bénéfices l’emportent sur les risques. Mais réorienter le raisonnement juridique vers plus d’égalité de genre reste une stratégie féministe cruciale.

Briser les stéréotypes de genre en Justice : l’approche innovante de la Cour d’appel de Poitiers en matière d’égalité de genre

La Cour d’appel de Poitiers est dirigée par Gwenola Joly-Coz, première présidente. Elle a lancé une initiative pour lutter contre les stéréotypes de genre et les préjugés entourant le concept de soi-disant « bonnes victimes ».

Ainsi, elle a mis en place une formation pour les juges. Celle-ci leur permet de mieux comprendre les réactions des personnes devant le tribunal.

La Cour a aussi organisé une audience historique, où les affaires pénales et civiles liées à une même situation sont jugées ensemble. Cela permet aux juges de voir la situation d’une famille ou d’un couple dans son ensemble.

La prise en compte du contrôle coercitif dans la procédure judiciaire

Cette expérience vise à améliorer la prise en charge des femmes victimes de violence, notamment en cas de contrôle coercitif.

Le contrôle coercitif constitue une forme de violence qui prive de liberté, semblable à un emprisonnement.

En effet, le contrôle coercitif est une forme de violence discrète mais destructrice, souvent présente au sein des couples dysfonctionnels.

Dans cette situation, une personne exerce un contrôle total sur sa/son partenaire, en l’isolant de sa famille et de ses amis. Elle surveille ses actions et ses relations, la/le critique fréquemment et l’humilie. Elle prend également le contrôle de ses finances et fait des menaces pour garder le pouvoir. Des règles strictes sont imposées au quotidien. Cela crée un environnement de dépendance.

Peu à peu, la victime perd sa liberté. Elle se retrouve dans un état constant de peur et de précaution.

Ce contrôle s’installe souvent lentement. Par conséquent, cela rend difficile pour la victime de le détecter.

Ainsi, il devient très compliqué de quitter une relation marquée par cette dynamique de domination.

La mise en pratique des connaissances scientifiques sur les violences conjugales

Le 31 janvier 2024, la Cour de Poitiers a jugé cinq affaires de contrôle coercitif.

Les juges ont étudié les tactiques utilisées par les auteurs, comme la surveillance et l’isolement, pour maintenir leur pouvoir sur les victimes. Cela leur a permis de mieux comprendre l’expérience des victimes et de protéger leurs droits.

Ils/elles ont pris des mesures pour empêcher les auteurs de continuer leur contrôle. Et ils/elles ont soutenu les victimes pour retrouver leur autonomie.

Cette approche constitue une avancée pour l’égalité des sexes et pour améliorer la prise en charge des femmes victimes.

Elle montre que les juges sont prêt.e.s à adapter leurs pratiques pour mieux répondre aux besoins spécifiques des victimes, notamment en matière de contrôle coercitif.

L’expérience de Poitiers reconnaît les effets du contrôle coercitif et la nécessité d’une approche plus globale de la violence domestique. Elle met en avant une approche centrée sur la victime. Celle-ci permet alors d’offrir un soutien et une protection plus efficaces. Cela vise à créer une société plus juste et équitable.

Des critiques peu fondées sur cette approche

Evidemment, certain.e.s critiquent cette approche en évoquant l’impartialité ou la présomption d’innocence. Cependant, Gwenola Joly-Coz les écarte aisément.

Elle rappelle qu’elle défend les principes fondamentaux de la procédure pénale depuis des décennies. Il ne s’agit pas de les éliminer, mais de les repenser. Car certains peuvent nuire aux droits des femmes. Par exemple, la mémoire traumatique incite à repenser la prescription.

Enfin, elle souligne que l’impartialité des juridictions spécialisées pour juger les terroristes n’a jamais été remise en question. Dès lors, l’existence de juridictions formées pour prendre en charge les violences sexistes avec toute l’expertise nécessaire ne remet pas davantage en cause son impartialité.

La grille de lecture du contrôle coercitif arrive dans les juridictions belges

En mars 2024, la cour d’appel de Mons, en Belgique, a rendu un arrêt important en s’appuyant sur la loi Stop Féminicide de 2023.

Cette décision marque un progrès pour les droits des femmes dans le système judiciaire belge. En effet, elle concerne une affaire de garde d’enfant. Or, il s’agit de la première à utiliser explicitement le concept de contrôle coercitif pour identifier des violences intrafamiliales.

Ce jugement pourrait influencer la jurisprudence, notamment en matière de violence domestique et de décisions de garde d’enfants. En effet, ce jugement pourrait servir d’exemple ou de référence pour d’autres juges dans des affaires similaires à l’avenir.

Ainsi, cela pourrait changer ou guider la manière dont les tribunaux appliquent ou interprètent la loi.

En reconnaissant le contrôle et la domination comme des formes de violence, cet arrêt reflète un changement de mentalité dans le droit familial belge.

Enfin, il offre également un nouvel outil juridique pour protéger les victimes de violences de genre.

Eliane Le Bihan

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