Mémoire traumatique
Définition
La mémoire traumatique est un trouble de la mémoire émotionnelle. Elle se construit après qu’une personne a vécu un événement traumatisant.
Introduction
Cet article a pour but d’évoquer ce qu’est la mémoire traumatique, à quoi elle est due. Par la suite, nous allons voir quelles sont les conséquences juridiques de la mémoire traumatique, si elle va être prise en compte ou non par la justice, si elle porte préjudice à la victime.
Bibliographie
Deux livres, « Dépasser la dissociation d’origine traumatique[1] » et « Gérer la dissociation d’origine traumatique[2] » peuvent être considérés comme des ouvrages de référence sur le sujet.
Outre des parties plus théoriques pour comprendre ce que sont la mémoire traumatique et la dissociation traumatique, ces livres offrent des pistes plus pratiques pour vivre avec cette mémoire traumatique.
Ces livres s’adressent aussi bien aux praticiens qu’aux patients. Ils évoquent les différentes notions de dissociation traumatique, de mémoire traumatique, d’amnésie traumatique, etc.
Quelques chiffres
Selon l’OMS, entre 20 et 24% des petites filles et 5 à 11% des petits garçons sont victime de violences sexuelles, majoritairement dans le cadre familial.
Il est important de savoir qu’à chaque fois que des études sont menées sur les violences sexuelles, les chiffres sont plus alarmants qu’à l’étude d’avant. Ceci pourrait s’expliquer par le fait que le nombre de violences sexuelles a augmenté, ou alors que les victimes sont aujourd’hui plus écoutées qu’avant. La seconde hypothèse est la plus probable.
Les victimes parlent tout autant qu’avant, mais sont plus écoutées aujourd’hui qu’il y a quelques années. Le fait qu’elles soient écoutées leur permet d’avoir une audience plus importante, impliquant que d’autres victimes se sentent légitimes à en parler à leur tour.
Il serait donc plus juste de dire qu’on détecte plus les violences sexuelles qu’avant.
Mémoire traumatique
Toutes les personnes victimes de violences sexuelles ne développent pas de mémoire traumatique. Cependant, avant l’âge de 6 ans, 100% des victimes sont concernées par la mémoire traumatique. C’est donc important que les professionnel.le.s soient formé.e.s à la question.
La mémoire traumatique n’est pas uniquement liée à des agressions sexuelles. Face à une situation violente, qu’elle soit sexuelle ou non, le corps peut répondre de trois manières différentes : se battre, s’enfuir, se figer. Pour nous battre et pour fuir, le corps a besoin de pas mal d’énergie.
L’hormone qui va nous permettre d’agir de la sorte est l’adrénaline. Une fois que le taux d’adrénaline est assez important, on peut se battre ou fuir. Ainsi, le cœur bat plus fort, le visage blanchit, le corps picote, transpire, etc. Le cerveau produit de l’adrénaline que l’on soit dans une situation de bagarre, de fuite, de paralysie. Ce choix est reptilien, on ne peut pas le contrôler.
Par exemple, un enfant agressé dans sa famille n’a pas d’autre choix possible que de se figer, car il est chez lui et ne peut pas fuir. Il ne peut pas se battre face à un adulte. Le chemin cérébral sera fait pour l’enfant. Ainsi, la quantité d’adrénaline dans le corps est si élevée que le cerveau décide de faire une disjonction pour protéger le système.
Cette disjonction a lieu car la situation de violence est telle que le cerveau doit faire comme si ce n’était pas en train d’arriver. Certaines personnes ont d’ailleurs l’impression de flotter au-dessus de la scène qu’elles ont vécu. D’autres vont s’imaginer être ailleurs. D’autres encore vont faire comme si l’agression n’était pas si désagréable. C’est faux. Vous n’êtes pas responsables des agressions que vous avez subies. Le seul fautif est l’agresseur, personne d’autre.
Décision du cerveau, pas de la victime
Les victimes d’agression ayant fait une dissociation traumatique ne sont pas moins fortes que celles qui ont réagi en se battant ou en fuyant. Leur cerveau a décidé pour elles pour qu’elles puissent survivre. C’est tout. Ce n’est pas une question de force. De cette façon, le corps réagit en mettant ce souvenir dans la mémoire traumatique.
Cette mémoire est particulière. Elle n’est pas la même que la mémoire intégrative, c’est-à-dire la mémoire principale. Le cerveau se met en mode automatique. Les souvenirs de dissociation traumatique se mettent donc dans la mémoire traumatique, aussi appelée mémoire reptilienne. Les termes utilisés par nos soins sont ceux mis en avant par Muriel Salmona, brillante psychologue qui traite énormément de mémoire traumatique.
Lorsque les victimes d’agression se rappellent de leurs souvenirs traumatiques, ils vont se retrouver dans le même état émotionnel et cognitif que quand l’agression a eu lieu. C’est pour cela que certaines personnes agissent comme des enfants alors qu’ils sont adultes. Leur discours est alors plus souvent brouillé, confus.
Activation de la mémoire traumatique
La mémoire traumatique ne s’active pas spécialement lorsque l’on veut la travailler. Elle s’active lorsque l’on sent une odeur particulière, que l’on goûte quelque chose, qu’on entend autre chose. La victime a alors le même âge que celui qu’elle avait la première fois. Imaginons qu’un enfant de deux ans se fasse violer pour la première fois à deux ans, puis une autre fois à quarante, l’adulte se figera parce qu’à deux ans, c’était le cas. Le cerveau nous trompe donc à faire comme si on avait deux ans, c’est une conséquence de la mémoire traumatique.
Ceci explique aussi pourquoi les enfants qui deviennent adultes sont violés toute leur vie par une personne de leur famille. La domination sera donc exercée toute la vie de la victime. L’inceste continuera d’arriver, même quand la victime a l’âge de se défendre, d’aller porter plainte, etc.
Impact sur la santé
Tous ces mécanismes ont un impact sur la santé des victimes. Muriel Salmona a mené une étude sur ce sujet, qui peut être trouvée sur le site « mémoire traumatique et victimologie : l’impact des violences sexuelles sur la santé des victimes ». Ces violences sexuelles, quand elles sont dans la mémoire traumatique, peuvent diminuer leur espérance de vie de vingt ans. On développe des maladies au point qu’on puisse mourir plus tôt que les autres personnes. Par exemple, cela augmente les risques de dépression, de suicides, ce qui peut paraître logique.
Mais cela peut aussi développer des cancers, des maladies de la thyroïde, des troubles du comportement, des troubles du comportement alimentaires, etc. Mais la bonne nouvelle est qu’on peut revenir en arrière sur cet impact.
Si on travaille sur les violences que l’on a vécues et qu’on passe les faits de la mémoire traumatique à la mémoire cognitive, les incidences sur la santé peuvent être moindres.
Thérapies
Toutes les violences sexuelles impactent la santé des victimes, et on ne prend pas en charge les thérapies possibles pour aider les victimes de violence sexuelles. Cependant, prendre en charge ces thérapies coûtent moins cher que de gérer toutes les conséquences (cancer, internement en hôpital psychiatrique, etc.). Outre l’impact financier, aider les victimes leur serait favorable en général.
Cependant, aussi incroyable que ça puisse paraître, la mémoire traumatique ne fait pas partie du cursus de base proposé par les universités. Ainsi, sauf les plus curieux d’entre eux, les psychologues ne savent pas prendre en charge les patients avec une mémoire traumatique.
Amnésie traumatique
On peut accéder aux souvenirs de la mémoire traumatique que dans certains cas. Mais souvent, il y a une amnésie traumatique. De cette manière, certaines personnes ont l’impression de ne pas avoir été victimes de viol, mais « seulement » d’attouchements. D’autres ont l’impression que les violences n’ont été « que » verbales.
Habituellement, l’amnésie traumatique se lève vers 35 ans. Elle va se lever progressivement, ou en un coup. Cet âge est un âge moyen car c’est souvent un moment où les personnes se sentent en sécurité, où elles ont un toit, des enfants, un mari ou une femme, etc., même si ce n’est pas une règle générale.
Du jour au lendemain, il est possible de découvrir l’ampleur de la violence que l’on a subie. Il faut être accompagné, même si trouver un thérapeute compétent n’est pas chose aisée vu qu’ils sont rarement formés.
Problèmes liés à l’amnésie traumatique et à la mémoire traumatique
Gérer cette mémoire traumatique n’est pas évident. Souvent les victimes pensent s’inventer des souvenirs. Personne ne veut croire que ça leur est arrivé, ils se sentent coupables de ne pas s’en souvenir, ou de mentir sur ce sujet. Cependant, il est important de rappeler que le problème ne vient pas de la victime, mais des agresseurs. Il ne faut pas se sentir coupable des actes que l’on a vécus.
Témoignage
Au niveau du témoignage des victimes, quand la victime témoigne elle va douter de ce qu’elle dit, et peut-être qu’en donnant des informations sur la situation, elle va pointer un détail et puis un autre la fois d’après. Cela peut sembler être un mensonge, sauf que ces informations ponctuelles qui reviennent peu à peu sont la preuve de la violence subie par la victime. Au fil des interviews avec la justice, la police, etc., la victime aura donc des discours un peu différents, ce qui peut leur porter préjudice, ce qui n’est pas juste car elles ne peuvent contrôler les souvenirs qui affluent petit à petit.
Délai de prescription
Un autre problème avec la mémoire traumatique est lié au délai de prescription. Désormais, la prescription a lieu après la majorité de la victime. A partir de ses 18 ans, le délai de 15 ans s’applique. Néanmoins, en moyenne, l’amnésie traumatique d’une victime se lève vers 30-35 ans. Il faut alors voir quelqu’un pour en parler, pour discuter de ces souvenirs. La personne qui a été victime dans sa petite enfance devrait donc déposer plainte avant ses 33 ans, ce qui parait très compliqué.
Depuis novembre 2019, il n’y a plus de délai de prescription pour les viols sur mineurs. Cependant, certains juristes ont décidé que la prescription était là pour la paix sociale, et qu’après un certain délai, on n’a plus de preuves. Mais il ne faut pas oublier que la plupart des agresseurs sont multirécidivistes. Ainsi, la paix sociale n’a pas de sens car est-ce que l’intention est de laisser les agresseurs vivre leur vie, même si le risque qu’ils récidivent est important ?
Preuves
Au niveau de la charge de preuve, quoiqu’il en soit, l’enfant ne sait pas parler directement et qu’il y arrive à en parler 6 mois après, il n’y aura pas de traces physiques sur son corps. Cela n’a donc pas de sens. Faire une enquête permet au contraire d’augmenter la preuve qu’il s’agit d’un agresseur, car d’autres victimes peuvent faire savoir qu’elles ont été agressées par telle ou telle personne.
De plus, grâce à la médecine actuelle, il est possible de faire une IRM pour voir que la personne a été victime d’agression sexuelle, de viol. Montrant encore une preuve.
Conclusion
La mémoire traumatique est bien complexe et ne peut pas être gérée seul.e. Si votre amnésie traumatique ou celle d’un de vos proches se lève, n’hésitez pas à faire appel à un professionnel pour vous aider à gérer au mieux la situation. Comme dit précédemment, tous les professionnels ne sont pas formés sur le sujet. Contacter une organisation de terrain pourrait vous être utile car les membres sauront plus facilement vous aiguiller vers un.e. thérapeute adéquat.e. Quoiqu’il en soit, vous n’êtes pas fauti.f.ve de l’agression que vous avez vécue, seul l’auteur de l’acte l’est.
Marie Darcis
Notes
[1] Fisher, J. (2019). Dépasser la dissociation d’origine traumatique: soi fragmenté et aliénation interne. De Boeck Supérieur.
[2] Boon, M. S., Steele, K., & Van der Hart, O. (2014). Gérer la dissociation d’origine traumatique: exercices pratiques pour patients et thérapeutes. De Boeck supérieur.
Références juridiques
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Ressources
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