Justice familiale en Belgique : quand la loi fait taire la voix des enfants et des mères

Que se passe-t-il quand la loi punit une mère qui cherche à protéger son enfant ? Quelle valeur donne-t-on à la parole d’un.e enfant dans les procédures judiciaires ? Et surtout, comment comprendre une justice qui défend l’intérêt de l’enfant, tout en l’invisibilisant ?
En Belgique, l’infraction de non-représentation d’enfant souligne les tensions du système judiciaire. En effet, elle illustre les contradictions d’un système qui réduit l’enfant à un objet d’échange entre parent.e.s. Derrière les décisions judiciaires, des réalités complexes se jouent. Les plus vulnérables (enfants et mères) voient alors leur parole minimisée.
À travers ce texte, nous vous proposons une analyse juridique, sociale et féministe de cette infraction. Nous explorons les outils légaux, les limites du système et ses conséquences.
1. L’infraction de non-représentation d’enfant
1.1. La définition légale de la non-représentation d’enfant
En droit belge, l’article 432 du Code pénal punit la non-représentation d’enfants. Notons qu’à partir du 1er janvier 2026, nous ferons référence à l’article 677 du nouveau Code pénal.
Cette infraction s’applique quand un.e parent.e refuse volontairement de respecter une décision de garde ou de droit de visite. Il ne s’agit pas d’un simple oubli. En effet, il faut prouver une intention claire d’empêcher l’autre parent.e de voir l’enfant.
Chaque refus de remettre l’enfant constitue une infraction dite « instantanée ». Cela veut dire qu’à chaque fois qu’on ne remet pas l’enfant, on commet une infraction.
Par exemple, si imaginons qu’un.e parent.e doive rendre l’enfant à l’autre parent.e le samedi. Si il/elle ne le fait pas, il s’agit d’une infraction.
Ne pas rendre l’enfant est donc interdit par la loi. Et si cela se répète une deuxième fois, une nouvelle infraction est constatée, etc.
1.2. Les éléments nécessaires pour qu’il y ait non-représentation d’enfant
En la matière, pour qu’il y ait infraction, il faut réunir deux éléments.
D’abord, un élément matériel. Le/la parent.ee refuse ou oublie volontairement de remettre l’enfant.
Ensuite, un élément moral. Ce refus doit être intentionnel. Il faut vouloir empêcher l’autre parent.e de voir son enfant. Il ne s’agit pas d’une simple erreur ou d’un oubli. Au contraire, il s’agit d’un acte délibéré.
1.3. Les exceptions à la non-représentation d’enfant
Cependant, la loi prévoit aussi d’autres infractions. Par exemple, le défaut d’entretien oblige les parent.e.s à prendre toutes les mesures nécessaires pour ne pas compromettre la santé de son enfant ou porter atteinte à son développement physique ou mental. Les articles 336 et suivants du nouveau Code pénal décrivent les conditions et les facteurs aggravants.
Dès lors, on pourrait estimer que lorsqu’il y a danger, l’obligation de représentation d’enfant se suspende. Par exemple, si remettre l’enfant exposé.e à un danger grave ou immédiat, comme en cas de violences, compromet sa sécurité, le/la parent.e pourrait temporairement s’y opposer. Mais il/elle devrait prouver ce danger. Cependant, en cas de jugement, en général, ce danger ne suffit pas à suspendre les visites.
En outre, le simple fait que l’enfant ne veuille pas aller chez l’autre parent.e ne suffit pas à justifier un refus. Il faut donc le motiver par des raisons sérieuses liées à la sécurité ou au bien-être de l’enfant.
Par ailleurs, à Femmes de Droit, nous constatons parfois que des mères suivent des conseils pleins de bonne volonté mais malheureusement faux. Ainsi, il arrive que des agent.e.s de police conseille à une mère de ne pas respecter le jugement de garde le temps de l’enquête.
Evidemment, nous comprenons ce conseil. Et nous aimerions que les mères protectrices puissent l’appliquer. Malheureusement, nous avons déjà assisté à des dossiers dans lesquels des femmes ont été condamnées car elles ont suivi ces conseils.
Avant de prendre le moindre risque, n’hésitez jamais à demander conseil à des personnes spécialisées.
2. La parole de l’enfant, un droit ignoré en pratique
2.1. Un droit reconnu par la loi
La parole de l’enfant est importante. L’article 22 bis de la Constitution affirme que tout.e enfant a le droit d’être entendu.e dans toute procédure le/la concernant. Il faut prendre son avis en compte selon son âge et sa maturité. Plus l’enfant est grand.e, plus son opinion doit compter.
Cependant, dans la pratique, ce droit n’est pas toujours respecté. Souvent, les juges n’entendent pas l’enfant. Et s’ils/elles l’entendent, ils/elles ne tiennent pas forcément compte de son avis. C’est le cas si l’enfant est jeune ou si les juges estiment qu’il/elle ne comprend pas la situation. Cela peut poser problème, car l’enfant a le droit d’être entendu.e.
Ne pas écouter l’enfant peut être vu de deux façons. D’un côté, certain.e.s pensent que cela le/la protège d’un stress inutile. De l’autre côté, d’autres y voient une manière de le/la mettre de côté et de l’exclure des décisions qui le/la concernent.
2.2. Le vécu de l’enfant laissé de côté
Souvent, la justice tend à privilégier la parole des adultes. Ainsi, un.e avocat.e ou un.e représentant.e légal.e assiste rarement l’enfant pour défendre ses intérêts. Or, sans cette représentation, l’enfant arrive difficilement à faire entendre son vécu et ses droits.
Dès lors, ne pas l’écouter peut entraîner des décisions contraires à son bien-être. Il peut se sentir invisible et impuissant.e. Et cela rend la situation encore plus difficile à vivre.
Par exemple, dans certaines affaires de garde, des enfants ont exprimé un refus clair et répété d’aller chez un.e parent.e en raison de comportements violents ou menaçants. Pourtant, faute d’audition officielle, leur parole a été écartée. Le/la juge a maintenu les droits de visite, exposant l’enfant à un environnement potentiellement dangereux.
Cette situation pose question. Peut-on parler d’intérêt supérieur de l’enfant, quand son ressenti est ignoré ? Pour renforcer sa place, il faut que l’audition devienne systématique et qu’on désigne des professionnel.le.s formé.e.s pour défendre ses droits.
3. Les mères protectrices punies par la non-représentation d’enfant
3.1. Une criminalisation injuste
On observe que la justice poursuit certaines mères pour non-représentation d’enfant alors qu’elles cherchent simplement à le/la protéger. Même quand l’enfant exprime une peur persistante ou un mal-être profond, la justice impose que la décision soit appliquée.
En théorie, donc, la personne chez qui l’enfant vit doit tout faire pour le/la convaincre de suivre les règles de visite. Si l’enfant ne veut pas aller chez l’autre parent.e, celui/celle qui a la garde doit essayer de le/la persuader. Cela concerne aussi les cas où l’enfant a de bonnes raisons de ne pas vouloir y aller. Même les cas où l’enfant subit de graves violences.
En réalité, on aperçoit que la justice part du principe qu’en cas de refus de l’enfant, il s’agit forcément d’une manipulation parentale. C’est ce qui justifie l’obligation de convaincre l’enfant malgré tout.
Mais, le problème est bien plus compliqué que cela. Car parfois l’enfant refuse vraiment un.e parent.e, sans manipulation de l’autre. Par exemple, il/elle peut avoir peur, être triste ou avoir vécu des expériences difficiles avec cet.te autre parent.e. Pire, il/elle peut subir de graves violences.
Pourtant, la justice peut punir le/la parent.e « défaillant.e » qui « refuse » de remettre l’enfant à l’autre.
Et dans la majorité des cas, on constate qu’il s’agit de mères. Des mères qui veulent simplement protéger leur enfant.
Ces situations montrent que la loi a du mal à penser d’abord au bien-être de l’enfant. Ce principe dit que toutes les décisions doivent viser ce qui est le mieux pour lui/elle. Mais parfois, la justice préfère faire respecter les règles plutôt que de vraiment protéger l’enfant.
3.2. Des biais de genre persistants dans l’infraction de non-représentation d’enfant
On l’a dit, la plupart des personnes condamnées pour non-représentation sont des mères. Cette inégalité s’explique par le fait qu’elles ont souvent la garde principale de l’enfant. Elles ont donc l’obligation de le/la remettre. Si elles ne le font pas, l’autre parent peut les accuser. Et la justice peut les poursuivre.
Cette situation est peu remise en question. En effet, le système repose sur des stéréotypes de genre. Ainsi, on perçoit la mère comme naturellement responsable du bien-être de l’enfant. Si elle échoue à faire respecter les règles, on la juge fautive. Ces mères font alors face à un choix difficile, sans que la justice écoute leurs raisons.
En outre, la parole des mères est souvent mise en doute, notamment lorsqu’elles dénoncent des violences. Dans ces cas, la justice tend à privilégier l’équilibre entre les parents plutôt que la sécurité de l’enfant. C’est ce qui favorise les droits des pères. Et cela peut nuire à la sécurité et au bien-être de l’enfant et de la mère.
4. Le féminisme face à l’injustice
4.1. Les structures de pouvoir
Le féminisme ne se limite pas à revendiquer des droits individuels (comme l’avortement ou le droit de vote). Il interroge aussi les structures de pouvoir.
Dans la justice familiale, il met en avant les rapports inégalitaires qui pèsent sur les femmes et les enfants. Ce sont des lieux où on perçoit les mères comme les seules responsables des conflits parentaux.
Dès lors, on les assigne à un rôle de gardiennes, même dans des contextes de violence ou de maltraitance.
Par conséquent, les mères se retrouvent face à une double contrainte. D’un côté, elles sont tenues de respecter les décisions judiciaires, sous peine de sanctions pénales. De l’autre, elles sont criminalisées lorsqu’elles cherchent à protéger leur enfant d’un parent violent.
Ainsi, lorsqu’elles privilégient la sécurité de leur enfant, leur comportement devient suspect aux yeux de la justice.
Cette tension montre un système qui valorise l’équilibre formel entre les parents, au détriment de la sécurité de l’enfant. Tout se passe comme si les violences du père n’avaient aucune importance.
De la sorte, la justice minimise la parole de la mère, comme celle de l’enfant.
L’exigence d’équité parentale l’emporte sur la nécessité de protéger les plus vulnérables. Par exemple, on peut poursuivre une mère pour non-représentation d’enfant si elle refuse de remettre son fils à son père, alors même que l’enfant a signalé des attouchements survenus lors d’un week-end précédent. En effet, malgré ces signaux d’alerte, la justice maintient l’exécution des droits de visite.
Cela met ainsi l’expérience de l’enfant au second plan.
4.2. Les enfants comme sujets de droits
Par ailleurs, le féminisme insiste sur la nécessité de considérer les enfants comme des sujets de droit à part entière. Il faut, dès lors, prendre au sérieux leur vécu, même s’il dérange.
On le voit, on ne peut pas comprendre la question de la non-représentation d’enfant sans analyser les inégalités que vivent ensemble les femmes et les enfants. Car, ces luttes sont intimement liées. Les ignorer revient à perpétuer une justice sourde à leurs besoins.
5. Les constats internationaux
5.1. L’ONU
À l’échelle internationale, la Convention internationale des droits de l’enfant (ONU, 1989) rappelle que l’enfant doit pouvoir participer à toute procédure le/la concernant.
Cette convention établit un cadre légal pour garantir la protection et le respect des droits de chaque enfant. Cela concerne notamment le droit d’être entendu.e et pris.e au sérieux, quel que soit son âge.
5.2. Le Comité des droits de l’enfant
Pour veiller à la bonne application de cette convention, l’O.N.U. a créé un organe spécialisé : le Comité des droits de l’enfant.
Ce comité a pour mission de surveiller comment les États protègent les droits des enfants sur leurs territoires. Il émet régulièrement des recommandations pour renforcer l’écoute effective des enfants dans les contextes familiaux et judiciaires.
Le Comité encourage les pays à garantir ce droit à la participation de l’enfant dans toutes les procédures le concernant. Il rappelle que cette participation ne doit jamais être purement symbolique. Les États doivent adapter leurs systèmes judiciaires pour respecter la parole de l’enfant de manière concrète.
Par ailleurs, le Comité alerte également sur l’usage abusif du concept d’« aliénation parentale ». Ce terme signifie désigne l’idée qu’un.e parent.e aurait influencé l’enfant pour qu’il/elle rejette l’autre. Pourtant, cette notion est controversée. Au minimum, elle risque de faire taire l’enfant et de ne pas prendre au sérieux ses sentiments.
Ainsi, la communauté internationale insiste sur la nécessité de reconnaître l’enfant comme un sujet de droit à part entière, capable d’exprimer ses besoins, ses expériences et ses émotions sans crainte d’être jugé.e ou ignoré.e. Il ne faut pas considérer l’enfant comme un simple objet du conflit parental, mais comme un.e acteur/actrice à part entière des décisions qui le/la concernent.
Pour aller plus loin sur le sujet de la non-représentation d’enfant
Comme mentionné plus haut, la loi encadre l’infraction de non-représentation d’enfant. Seulement, elle entre parfois en contradiction avec l’intérêt supérieur de l’enfant. En effet, on utilise cette infraction de manière rigide, sans tenir compte du contexte. Cela peut entraîner des conséquences graves, notamment pour les mères protectrices.
Pour rééquilibrer les rapports de force dans les procédures familiales, plusieurs changements sont nécessaires :
- Reconnaître l’enfant comme un sujet de droit ;
- Former les magistrat.e.s aux violences intrafamiliales ;
- Renforcer la représentation judiciaire des enfants.
Face à ces constats, la justice familiale doit placer au centre la sécurité, l’écoute et la dignité des personnes les plus vulnérables : les enfants et leurs mères.
Maëlle Hornberger
Références juridiques
Article 432 du Code pénal belge (non-représentation d’enfants)
Article 22bis de la Constitution belge (droit de l’enfant à être entendu.e)
Convention internationale des droits de l’enfant (ONU, 1989)
Ressources
A venir
Pour aller plus loin
- Comité des droits de l’enfant de l’ONU : https://www.ohchr.org/fr/treaty-bodies/crc
- Défense des Enfants International : https://www.dei-belgique.be/
- Couples et Familles – Article sur la Justice et la non-représentation d’enfants : https://couplesfamilles.be/index.php?Itemid=108&catid=6&id=203%3Ala-justice-etles-non-representations-denfants&option=com_content&view=article
- Amnesty International Belgique – Article, Écouter les enfants et les jeunes ? Oui mais