Lettre ouverte - Inceste

L'inscription de l'inceste dans le Code pénal

Lettre ouverte sur l’inceste

Publiée dans Le Soir

Introduction

Actuellement, la Belgique connaît un manque cruel de protection des mineur.e.s victimes d’inceste. En effet, le système juridique tend plutôt à protéger les auteurs présumés, victimes de fausses allégations, laissant des enfants sans protection. Pourtant, l’OMS estime que l’inceste concerne 24 % des filles et 5 à 10 % des garçons[1].

Etat des lieux

Lorsqu’une mère apprend que son enfant est victime d’inceste et tente de le ou la défendre, elle peut être accusée d’aliénation parentale. Elle peut même être condamnée pour non-représentation d’enfant voire pour kidnapping si elle décide de ne pas confier son enfant au père incestueux. Elle risque également de perdre la garde de son enfant. 

En effet, le syndrome d’aliénation parentale (SAP), trop souvent invoqué, est un concept fallacieux selon lequel un parent utilise son enfant pour nuire à l’autre parent, en l’influençant contre ce dernier. Ce concept prétend que si une mère dénonce des violences sexuelles dont son enfant est victime et que l’enfant le confirme, cela signifie que l’enfant a été manipulé par sa mère, qu’il/elle doit être éloigné.e d’elle et confié.e à la garde principale de son père.

Bien sûr, la manipulation parentale existe bel et bien. Cependant, les critères de diagnostic ne sont pas ceux du SAP, concept inventé par Richard Gardner, grand défenseur de la pédocriminalité, puisqu’il estime que les pères ont le devoir d’initier leurs enfants à la sexualité par de la mise en pratique[2]

Bien que le concept de SAP ait été critiqué par des juristes et des spécialistes de la santé mentale pour son manque de fiabilité et de validité scientifique, les mouvements masculinistes sont arrivés à ce que ce syndrome prenne une énorme place dans la jurisprudence d’abord canadienne, puis française et maintenant belge. 

Tel qu’il est mis en œuvre aujourd’hui, le SAP met en danger l’intégrité de trop nombreux enfants.

Dans la mesure où ce soi-disant syndrome ne repose sur aucun symptôme médical défini ni sur aucun diagnostic précis, il est nécessaire que les cours et tribunaux cessent de l’employer sans remise en question. 

Force est de constater que notre système judiciaire accorde plus d’importance au maintien du lien parental, quelle que soit la qualité de la relation, qu’à l’intégrité physique et psychologique de l’enfant.

Tout se passe comme si les mères faisaient passer leur propre intérêt avant celui de leur.s enfant.s. 

Pourtant, la réalité est toute autre. Elles ne cherchent qu’à le.s protéger. Rappelons que plusieurs études[3] montrent que le taux de fausses allégations de viol ne dépasse pas les 2 %…

Être privé de lien avec un parent de façon injustifiée serait évidemment dommageable pour un enfant mais certainement beaucoup moins que des années de violences sexuelles cautionnées par la Justice. 

Par ailleurs, le système juridique actuel condamne très peu les violences sexuelles, quelles qu’elles soient. Déjà, peu de victimes déposent plainte. Parmi ces plaintes, trop peu donnent lieu à des poursuites. Lorsqu’il y a poursuite, le taux de condamnation reste extrêmement faible, sans parler des condamnations elles-mêmes qui se limitent, souvent, à des courtes peines avec sursis.  

Illustration émanant du Monde selon les femmes[4].

Infographie relative aux violences sexuelles en Belgique
Illustration émanant du Monde selon les femmes : https://www.mondefemmes.org/produit/les-violences-sexuelles-basees-sur-le-genre-en-contexte-de-migration/

De manière générale, cela peut être imputé à la violence de la procédure judiciaire. Cela est encore plus vrai lorsqu’il s’agit d’inceste. Un jeune enfant peut se retrouver fort démuni, surtout face à une équipe non formée sur cette question. Les mesures existantes ne sont pas suffisantes pour protéger les enfants de cette violence. 

De plus, durant le temps de l’enquête parfois très long, l’enfant continuera, bien souvent, à être sous la garde (exclusive ou non) de l’auteur présumé des faits, sans aucune protection. Le refus de l’enfant à aller en visite chez son parent accusé ne sera pas pris en compte pour permettre sa protection.

Pire, même si le parent agresseur est condamné pour violences sexuelles sur son enfant, lorsqu’il aura purgé sa peine, l’enfant pourra à nouveau lui être confié. Plus tard, une fois l’enfant victime devenu majeur, il pourrait être obligé de contribuer financièrement aux besoins de son parent agresseur si celui-ci demande une aide au CPAS, selon l’obligation alimentaire des enfants à l’égard de leurs parents.  

Connaissant les failles du système juridique dans son devoir de protection des enfants, il arrive que l’entourage d’enfant le protège en recourant à des solutions illégales.

Prise en charge

Nous demandons au monde politique de s’emparer de cette question et de prendre urgemment les mesures qui s’imposent pour les milliers d’enfants concernés. 

Il faut, notamment : 

– Que les enquêteurs et enquêtrices mais aussi les expert.e.s nommé.e.s au cours des procédures soient spécialisé.e.s et bien formé.e.s sur la question de l’inceste et de la mémoire traumatique ;

– Que le dépôt de plainte pour inceste par un parent soit reconnu comme cause d’excuse à la non-représentation d’enfant, c’est-à-dire autoriser la suspension du droit de visite au parent accusé jusqu’à ce qu’une protection de l’enfant puisse être mise en place ;

– Que durant le temps de l’enquête, la garde du parent soupçonné soit suspendue et que les droits de visite soient aménagés au sein d’espaces rencontres (lieu de rencontre supervisé par des professionnels) ;

– Que des moyens soient mis en œuvre pour permettre aux enquêteurs et enquêtrices de faire toute la lumière sur les faits dans un laps de temps le plus court possible ;

– Que le parent condamné pour violence sexuelle sur son enfant soit automatiquement déchu de son autorité parentale ; 

– Que le SAP ne permette plus d’évacuer des soupçons d’inceste sans une enquête approfondie ;

– Que l’enquête porte principalement sur l’enfant et non sur le parent dénonçant les violences. 

Conclusion

Cette liste ne se veut pas exhaustive et bien d’autres demandes concernant la prévention, la prise en charge psycho-médico-sociale, le suivi des victimes et des auteurs pourraient venir la rallonger. Nous avons choisi, ici, de n’aborder que quelques questions relevant du monde juridique et judicaire et concernant particulièrement les victimes encore mineures. Le défi est, pourtant, déjà de taille.

Mesdames et Messieurs les politiques, de nombreux enfants comptent sur vous. Les clés sont entre vos mains. 

Cliquez ici sur le lien vers notre vidéo sur le sujet.

Signataires

Femmes de Droit – Droit des femmes, asbl

Miriam Ben Jattou, juriste féministe

Emérance Ponlot, étudiante en droit et féministe

Anne Piccin, militante féministe

Sébastien Baudoux, allié féministe

Mina Ahmya, graphiste féministe

Amélie Duprez, militante féministe

Catia Freitas Da Silva, juriste féministe

Cindy Decroës, juriste

Yassin Ahmya, étudiant en philosophie et droit

Anita Biondo, féministe et bénévole chez SOS Inceste Belgique, asbl

Sylvie Lausberg, présidente du conseil des femmes francophones de Belgique

Océane Lestage, féministe

Synergie Wallonie pour l’Egalité entre les Femmes et les Hommes, asbl 

Louise Delette, étudiante féministe

Marie Denis, psychologue et cofondatrice de l’observatoire féministe des violences faites aux femmes, asbl

Fatma Karali, Collectif Des Mères Veilleuses

Maison Plurielle, asbl

Les Femmes prévoyantes socialistes

La Fédération des Centres de planning familial des FPS

Blandine Poitel, autrice, féministe

Justine Debailleul, criminologue et militante féministe

Antoine Lanckmans

Alexandra Coenraets

Lucie Goderniaux, Anthropologue

Mères en résistance, Collectif

Isabella Lenarduzzi, fondatrice et directrice de JUMP

Daniel Guimond, Psychologue

Marie Eve Vieslet, assistante sociale

Stéphanie Simon, Assistante Sociale

Anne Ketelslegers, Psychologue

Fabienne Richard, Directrice du GAMS Belgique

Guillaume Lohest, chargé d’études en éducation permanente

Kaïs Ben Jattou, étudiant en commerce et développement

Tatiyana  Gladkow, bénévole

Valérie Van Heer, féministe

Achaïso Ambali, Journaliste

Jérôme Duprez

Valérie Lootvoet, directrice de l’Université des Femmes

Christine De Craemer, employée

Marion Debacker

Le Monde selon les femmes, asbl

Garance, asbl

Alex, Psychologue

Melyssa Chambard, Sage-femme

La Bulle, Maison de naissance

Stéphanie Baudoux

Dana Drehsen

Corinne Dacquin, juriste et féministe

Liana Cozigou, femme, maman, juriste & conseillère communale

Réseau International des Mères en Lutte

Juliette Sampsakos

Sabrina Van Aelst

Emily Bendib

Esmeralda Gonzalo Cordero

Deborah Kupperberg (féministe)


[1] Rapport de situation 2014 sur la prévention de la violence dans le monde : www.who.int/violence_injury_prevention/violence/status_report/2014/fr/

[2] Richard Gardner, psychiatre nord-américain, estime que les relations sexuelles entre adultes et enfants font parties du répertoire naturel des activités sexuelles humaines, qu’elles sont saines et bénéfiques pour les enfants.

[3] Par exemple, l’étude Heenan & Murray de 2006 ou encore l’étude du British Home Office de 2005.

[4] https://www.mondefemmes.org/produit/les-violences-sexuelles-basees-sur-le-genre-en-contexte-de-migration/

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