Sous-représentation des femmes en politique

Représentation des femmes en politique

Dernière modification : 13/07/2021

Un point sur la représentation politique actuelle des femmes

Peut-on parler de sexisme, ou de sous-représentation des femmes en politique en 2021 ? Après tout, le nombre de femmes au Parlement n’a cessé d’augmenter ces dernières années. Ceci est notamment dû à l’adoption de la loi du 18 juillet 2002 qui instaure des quotas genrés.

De plus, Sophie Wilmès a été nommée Première Ministre intérimaire entre 2019 et 2020. Cela pourrait, dès lors, nous porter à croire que si l’on n’a pas encore atteint la parité parfaite entre hommes et femmes, nous sommes du moins sur le bon chemin.

Or, si nous regardons les chiffres de plus près, nous pouvons voir une autre histoire se profiler.

En effet, en 2021, la part de femmes élues aux Parlements en Belgique s’élevait à 41,4 %. D’après une analyse que l’on trouve sur la page officielle de indicators.be, l’objectif des 50% ne sera pas atteint d’ici 2030. « La part des femmes parlementaires évolue donc de façon défavorable »

On pourrait toutefois se poser la question suivante : Et alors ? Est-ce si grave si les femmes ne sont pas exactement 50% au sein des institutions politiques ? 

Pour mieux comprendre les enjeux qui se cachent derrière la (sous-)représentation des femmes, il convient de faire la distinction entre deux types de représentation : la représentation substantive et la représentation descriptive.

La représentation descriptive et la représentation substantive

Définitions

« Dans la représentation ‘descriptive’, les représentants sont, dans leur propre personne et leur propre vie, en quelque sorte typiques de la classe plus large de personnes qu’ils représentent » (Mansbridge 1998, p. 629).

En d’autres mots, les représentants partagent certaines caractéristiques avec les représentés. Une femme serait donc mieux placée pour représenter les intérêts des femmes.

En revanche, la représentation substantive consiste en ce que les représentants élus défendent les intérêts de leurs électeurs sans pour autant forcément en partager les caractéristiques ethniques, sociales et sexuelles. Un parlementaire homme pourrait donc très bien représenter les intérêts des femmes.

Enjeux

En l’occurrence, une partie de la communauté scientifique a rejeté la représentation descriptive de manière relativement sommaire. Elle, notamment, a souvent invoqué le commentaire tranchant de Pennock :

« personne ne soutiendrait que les crétins devraient être représentés par des crétins » (cité dans Mansbridge 1998, p. 629).

Toutefois, la représentation descriptive, à savoir la parité numérique entre femmes et hommes, présente des avantages indiscutables.

Mansbridge (1998) identifie deux avantages principaux à la représentation descriptive. Elle aiderait les communautés jusqu’ici sous-représentées à se voir dans les institutions décisionnelles. Cela pourrait créer une « capacité autoperçue à gouverner », un cercle vertueux qui attirerait davantage de femmes en politique.

Elle contribuerait également à donner plus de légitimité aux institutions politiques. En effet, celles-ci souffrent d’une méfiance croissante de la part de la population.

Ensuite, si la parité entre femmes et hommes est si importante c’est pour ce qu’elle « symbolise en termes de citoyenneté et d’inclusion – ce qu’elle nous transmet sur qui compte et ne compte pas en tant que membre à part entière de la société » (Phillips 2012, p. 517).

Ces chiffres de la sous-représentation des femmes peuvent paraître en déclin ou relativement peu alarmants. Mais c’est surtout en regardant les raisons de cette disparité  que l’on voit se dessiner un bien sombre tableau. La professeure et chercheuse Lovenduski (2005) estime que la meilleure grille d’analyse des barrières du côté de l’offre et de la demande est particulièrement pertinente pour comprendre la sous-représentation des femmes au sein des institutions. Cette grille d’analyse a l’avantage de dévoiler des discriminations systémiques plus larges qui entravent la représentation des femmes.

Les barrières qui entravent les femmes

Les barrières du côté de la demande

Lorsqu’on parle de barrières du côté de la demande, l’on se réfère principalement au processus de sélection des candidats aux postes représentatifs. On analyse également en quoi ce processus est biaisé contre les femmes.

Etant donné que l’écrasante majorité des représentants élus ont une étiquette partisane, il convient de s’intéresser au processus de sélection des partis politiques. Pour bien comprendre ce qui est en jeu dans ces processus de sélection, Norris et Lovenduski (1989) estiment qu’une distinction importante doit être faite entre la discrimination directe et indirecte.

Discrimination directe

Premièrement, par discrimination directe on entend tout comportement ou perception discriminatoire envers les candidates femmes parce qu’elles sont femmes. Ceci peut se traduire par des remarques sexistes ou bien la perception du rôle que la femme doit jouer en société et dans la sphère politique.

Ici, bien que certains témoignages de discrimination directe à l’égard des femmes aient été rapportés, Norris et Lovenduski ont conclu : 

« Notre enquête sur les personnes qui ont réussi à être nommées candidates ne confirme pas l’hypothèse selon laquelle les comités de sélection locaux discriminent directement les candidates potentielles » (1989, p.559).

En d’autres termes, il n’existe pas de  preuve d’une discrimination directe systémique à l’encontre des femmes au niveau des partis.

Discrimination indirecte

En revanche, la discrimination indirecte est plus difficile à identifier car elle est plus subtile.

Norris et Lovenduski la définissent comme une discrimination qui construit une vision des qualités, des attributs et du rôle que doivent jouer les candidats élus (1989, p.535). En d’autres termes, la discrimination indirecte ne favorise pas explicitement un sexe par rapport à l’autre. Cependant, elle définit les attributs appropriés pour un candidat au poste de député. Cela aura pour conséquence que les comités de sélection auront tendance à favoriser les hommes.

Selon les autrices, « le système a été conçu pour sélectionner un candidat modèle standard ». Ce dernier est un bon orateur, bien éduqué et généralement employé dans une carrière professionnelle, que ce soit dans le monde des affaires en tant que cadre ou gestionnaire, ou dans le domaine de l’éducation en tant qu’enseignant ou professeur d’université, ou encore dans le domaine juridique en tant qu’avocat en exercice (1989, p.559).

Conséquences

Objectivement, ces critères désavantagent les femmes. Cela est d’autant plus vrai si l’on considère que ces critères sont plutôt arbitraires.

En effet, ces compétences sont utiles pour une carrière de politicien, mais seulement jusqu’à un certain point.

« Si les compétences en communication et une formation crédible sont importantes, tous les députés ne doivent pas nécessairement être des orateurs ou des universitaires doués. En effet, le député d’arrière-ban d’aujourd’hui partage son temps entre le travail de circonscription (à la fois les visites et les lettres) et la participation régulière à plusieurs commissions » (Norris et Lovenduski 1989, p.559).

Les barrières du côté de l’offre

En plus des barrières institutionnelles qui entravent la représentation des femmes, il convient de s’attarder sur les barrières du côté de « la demande ». En effet, les femmes sont confrontées à toute une série d’obstacles qui les dissuadent d’entreprendre une carrière en tant qu’élue.

Une culture patriarcale au sein des institutions

Tout d’abord, la persistance d’une culture patriarcale sous-tend les institutions politiques. C’est, malheureusement, une barrière à laquelle de nombreuses femmes se heurtent.

Selon Allen (2016) si nous voyons si peu de femmes au Parlement, c’est parce que : 

« Les barrières informelles persisteront, tout comme le pouvoir de longue date du groupe dominant, souvent inscrit dans la conception et le fonctionnement même des assemblées et autres structures politiques. Leur pouvoir se trouve, pour ainsi dire, là, dans les briques des institutions » (p. 102).

Maguire (2018) parle d’un « public-school boy ethos » (ethos fratriarcal) à la fois dans les institutions locales et nationales.

En effet, un questionnaire et des entretiens menés avec des femmes politique issues de différents parlements belges en 2017-2018, ont révélé que plus de 77 % des sondées déclarent avoir entendu au moins une fois (54 %) voire souvent (23 %) des blagues sexistes à leur encontre. Des « blagues » telles que « Madame F. ferait mieux d’aller passer l’aspirateur ! ». Ou encore « Vous allez faire le Kâma-Sûtra pour les handicapés ? ».

Ces blagues sexistes sont loin d’être anodines. En effet, elles entretiennent un climat discriminant envers les femmes. Elles renforcent également la cohésion du groupe dominant.

Agressions sexuelles

Plus grave encore est le taux d’agressions sexuelles et de menaces envers les femmes politiques.

En effet, « 34 % des élues interrogées affirment qu’elles ont été harcelées sexuellement « au moins une fois » en dehors de leur mandat.

Le score diminue au cours de la période de mandat parlementaire (18 %). Mais, près d’une femme sur cinq déclare avoir été harcelée sexuellement au moins une fois en tant qu’élue.

Par ailleurs, le questionnaire révèle un taux préoccupant de menaces physiques (menaces de mort, de viol et de coups) : « la proportion de répondantes qui déclarent que cela leur est arrivé au moins une fois ou souvent totalise 30 % ».

Inégalités économiques

Qui plus est, les femmes sont également confrontées à des obstacles financiers.

En effet, le Statbel constate qu’en 2019, les femmes continuent de toucher un salaire en moyenne 5,8% inférieur à celui des hommes. Cet écart salarial monte d’ailleurs à 14,1% à l’échelle de l’Europe.

Les femmes se heurtent ainsi à plusieurs obstacles : l’écart salarial entre les sexes, la propension de nombreuses femmes à se tourner vers un emploi à temps partiel, leur probabilité accrue d’être employées dans des secteurs d’activité moins bien rémunérés ainsi que dans des secteurs qui permettent des horaires moins flexibles. Tous ces obstacles rendent considérablement plus difficile pour elles de se présenter à un mandat électif.

En effet, Murray souligne :

« [Le] coût le plus important est dû à un manque à gagner lié à l’investissement en temps nécessaire pour être sélectionné comme candidat et pour entreprendre la campagne nécessaire » (cité dans Maguire 2018, p.30).

L’autrice affirme en outre que la plupart des candidats comptent sur des fonds privés pour soutenir leurs ambitions politiques. Cela désavantage inévitablement celles et ceux qui n’ont pas les moyens de le faire.

Le coût de vivre sous les yeux de tous : normalisation du sexisme dans l’espace public

Enfin, les questions liées à la confiance et à l’image publique peuvent également constituer un facteur dissuasif pour les femmes qui souhaitent se présenter à des mandats électifs.

Elder (2004), par exemple, a examiné les études de socialisation menées aux États-Unis entre les années 60 et les années 80. Il a conclu que «  l’hypothèse de la socialisation des rôles politiques selon le genre» représente un obstacle. Ainsi, les garçons ont tendance à être encouragés à poursuivre une carrière politique alors que les filles le sont moins. En effet, les enfants sont encore amenés à croire que la politique est un monde d’hommes.

Ainsi, une recherche a été menée par la Speaker’s Conference on Parliamentary Democracy en 2010. 

« Le manque de confiance est la principale raison invoquée par les femmes qui ont déclaré qu’elles ne se présenteraient pas aux élections » (Maguire 2018, p.31).

Ce manque de confiance pourrait également être attribuable à l’impact que le regard du public peut avoir sur les députées.

En effet, selon Maguire : 

«  L’image publique négative de la vie parlementaire, y compris les récentes plaintes pour sexisme et harcèlement, ainsi que le scandale des dépenses et les intrusions et abus en ligne et dans la presse que les députés attirent, ont un impact négatif sur l’élargissement de la représentation féminine » (2018, p.33).

Conclusion

La pérennité de la sous-représentation des femmes en politique constitue une inégalité intolérable. D’autant plus qu’elle est également révélatrice d’inégalités systémiques et sous-jacentes plus larges.

En effet, nous pouvons constater que des barrières, tant du côté de « l’offre » que de la « demande », se dressent sur le chemin des femmes qui aspirent à devenir politiques. Alors que les témoignages de sexisme direct, bien que réels, restent trop rares pour être qualifiés de « systémiques », les discriminations indirectes se trouvent « là, dans les briques » des institutions politiques.

De plus, les normes sociétales qui définissent le rôle de la femme en société et qui normalisent le sexisme font que les femmes (et les autres groupes sous-représentés) luttent toujours pour faire entendre leur voix.

Raphaël Pierfederici

Références juridiques

  • – Loi du 18 juillet 2002 assurant une présence égale des hommes et des femmes sur les listes de candidatures aux élections des Chambres législatives fédérales et du Conseil de la Communauté germanophone
  •  
  • – Loi spéciale 18 juillet 2002 assurant une présence égale des hommes et des femmes sur les listes de candidats aux élections du Conseil régional wallon, du Conseil flamand et du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale

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