Que savons-nous de l’homicide conjugal ?

Fin 2018, j’ai assisté au 6ème module du Séminaire international d’études féministes de l’Université des Femmes.

Alexia Delbreil y a présenté son étude (française) sur les homicides et les féminicides conjugaux. Voici ce que j’en ai retenu

L’homicide conjugal est l’homicide intra familial le plus fréquent : il représente entre 16 et 20 % de l’ensemble des homicides sur tout le territoire français. L’homicide conjugal est l’homicide commis par le partenaire ou l’ex partenaire.

Crime passionnel ?

L’appellation de crime passionnel est très problématique. Il s’agit d’une expression très française. Elle nous vient du code pénal qui excusait le crime passionnel en cas d’adultère. Actuellement, l’expression : « crime passionnel » n’est pas inscrite dans le code pénal mais est très présente dans les médias.

Pourquoi ?

Lorsque le meurtre est commis par la femme sur son conjoint, souvent, la phrase qui représente ce type de meurtre peut se décliner comme suit : « c’était lui ou moi ». Lorsqu’il est commis par l’homme sur sa conjointe, la phrase emblématique se résume plutôt par : « si c’est pas moi qui l’ai, c’est personne ».

Taux

Le taux d’homicide conjugal est relativement stable depuis de nombreuses années. Le nombre de victimes aussi entre 130 et 150 par an. Il y a plus d’auteurs hommes que d’auteurs femmes. 60 % des auteurs femmes sont victimes de violences.

Au Canada, on a pu diminuer ce taux de moitié en 30 ans grâce, notamment, à la modification des lois pour élargir le secret professionnel afin de mieux dénoncer les violences et protéger les victimes.

Etude

Alexia DELBREIL nous transmet les résultats d’une étude descriptive rétrospective sur les dossiers de la cour d’appel d’une ville française entre 1993 et 2013. Dans son étude, elle observe que 85 % des auteurs sont des hommes.

Dans 88 % des cas, les femmes sont des victimes. Elles ont neuf fois plus de risques d’agression dans la sphère familiale que dans la rue par un inconnu. L’âge moyen des auteurs est de 40 ans. On observe généralement un écart d’âge entre la victime et l’auteur. Plus de la moitié des auteurs sont dans l’inactivité. On observe également que la catégorie socioprofessionnelle la plus précarisée est la plus représentée parmi les auteurs. 56 % des auteurs ont des antécédents judiciaires et généralement peu d’atteinte aux personnes. Néanmoins, 45 à 70 % des auteurs ont des antécédents de violence conjugale. Cette disparité dans les chiffres est due au fait que les violences prises en compte ne sont pas toujours les mêmes d’un département à l’autre et d’une étude à l’autre.

Maladie mentale

Si la prévalence de maladie mentale est généralement importante dans les homicides, il faut noter que la quasi totalité des auteurs d’homicide conjugal n’ont pas de maladie mentale générant une irresponsabilité pénale après expertise psychiatrique.

En France, on peut estimer que 1 % des auteurs sont atteints de maladies mentales. Au Québec, les chiffres sont un peu plus élevés : 2,2 % des hommes et 11,8 % des femmes seraient atteints de maladies mentales. Il est à noter que le Québec prend en compte les violences conjugales dans ses statistiques, ce qui explique le taux plus important de femmes couvertes par une irresponsabilité pénale.

Selon l’étude analysée, 40 % des auteurs ont des symptômes dépressifs. On repère également de nombreux troubles de la personnalité (qui ne constituent pas pour autant une irresponsabilité pénale) : cela se marque lorsque l’une des personnalités déborde. Les plus présentes sont l’immaturité affective, l’impulsivité, la défaillance narcissique, les dépendances et les carences affectives éducationnelles.

Facteurs de risques

En phase pré criminelle, 60 % des auteurs sont en couple avec leurs victimes. Néanmoins, les relations sont souvent émaillées de conflits très fréquents. On note souvent un alcoolisme chronique. Souvent (46 %), de nombreuses menaces de mort ou menaces suicidaires précèdent le meurtre. Ces menaces sont souvent banalisées, à tort. Les menaces suicidaires ne sont pas moins dangereuses que les menaces de mort : il est très difficile de se faire du mal, ces menaces se transforment donc souvent en passage à l’acte hétéro agressif.

Souvent les auteurs se disent obnubilés pour diverses raisons dans les six mois qui précèdent le passage à l’acte. Néanmoins seul un facteur précipitant va réellement motiver le passage à l’acte. Pour les hommes, on retrouve majoritairement la possession et la jalousie ainsi que les querelles et la vengeance. Pour les femmes, il s’agit plus souvent d’une libération suite à une situation conjugale humiliante et violente, d’un accident voire d’une euthanasie.

71,4 % de passages à l’acte se font dans le cadre d’une séparation qu’elle soit en cours ou déjà faite.

Les situations à fort risque létal sont principalement la séparation (les trois premiers mois jusqu’aux six mois qui suivent la séparation), le désir d’indépendance de la compagne, la recherche de contrôle, le harcèlement, l’escalade de violence, la consommation d’alcool, les difficultés financières, les menaces. Au Québec, il existe un tableau pour repérer le risque d’homicide conjugal sur lesquels se basent des professionnels pour intervenir auprès des hommes.

Les auteurs

Les sentiments qui prédominent les auteurs sont la colère, la vengeance, l’abandon, l’humiliation, la solitude,… Le facteur précipitant est souvent lié à la contrariété, la frustration ou à la provocation.

Pour certains, l’homicide est l’apogée de leur domination.

Le mode opératoire le plus fréquent se déroule au domicile de la victime de l’agresseur, sans préméditation, avec des armes d’opportunité.

62 % des auteurs restent sur les lieux du crime mais très peu d’entre eux se dénoncent. Ils inventent alors des histoires pour justifier leur présence ou les faits. Certains auteurs vont par contre revendiquer les actes et ses victimes misées. Il s’agit principalement de profil paranoïaque.

La peine moyenne infligée est de 15 ans.

Comportements protecteurs

Les comportements protecteurs sont d’informer l’entourage, de signaler les faits aux autorités, de retirer les armes à feu de la maison, d’éviter la solitude avec le conjoint, de quitter le domicile conjugal et d’initier une prise en charge.

Des études ont démontré l’importance de l’intervention policière afin de diminuer les récidives. De nombreuses victimes ne veulent pas porter plainte pour des motifs parfois fort différents : elles n’ont pas envie qu’on s’immisce dans leur vie privée, elles ont peur des représailles, elle minimise les violences, elles craignent que la police ne prendra pas leur plainte ou encore que la police protégera leur agresseur.

Notre commentaire

Cette étude montre à quel point l’analyse de genre est importante. Ce qui motive hommes et femmes à commettre un homicide ou un féminicide conjugal varie énormément d’un genre à l’autre.

Par ailleurs, il ne s’agit pas de culpabiliser les victimes qui ne souhaitent pas porter plainte mais de s’informer sur les mécanismes en jeu. Dans les relations de violences, il y a généralement une emprise de l’auteur sur sa victime qui n’est pas simple à dénouer.

Enfin, il est urgent de travailler sur les causes de ces féminicides et de ces homicides afin d’assurer à toutes et tous une vie plus sereine.

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