A quoi servent les prisons ?

Je suis juriste et fondatrice de l’association Femmes de Droit. J’y travaille depuis de nombreuses années à présent. Par exemple, j’y accompagne des femmes victimes de violences. Parfois, ce sont des enfants qui me consultent. Plus rarement, des hommes. En effet, ma spécialisation concerne les violences faites aux femmes et aux enfants.

Et à chaque fois, ou presque, je fais plusieurs constats concernant la Justice.

Tout d’abord, le processus de la justice est long. Trop long. Même lorsque le traitement du dossier se fait rapidement, il faut compter plusieurs mois avant d’obtenir une décision de justice.

Et dans ce parcours, les victimes souffrent. Certaines souffrent parfois plus du processus judiciaire que des faits qui mènent au procès. Elles ne trouvent que trop rarement leur place. Et elles ont souvent l’impression de se battre contre une machine plus forte qu’elles.

Sans parler du taux ridiculement faible de condamnation.

Tout cela mène à une impunité quasi-totale des agresseurs. C’est encore plus le cas quand il s’agit de violences faites aux femmes et aux enfants.

Dès lors, en tant que féministe, je milite contre cette impunité. Et je m’entends réclamer des peines de prison plus importantes et systématiques.

Mais, cette revendication m’interpelle. Est-ce que je veux vraiment plus de prison et de répression ? Est-ce le monde que je souhaite développer ?

A priori, non. Mais, pour répondre réellement à la question, j’ai besoin d’en savoir un peu plus.

Depuis quand les prisons existent ?

Pour savoir, j’effectue une recherche sur le sujet, dans notre culture occidentale. Cela m’informe que les premières prisons apparaissent au 8ème siècle au plus tard. Mais leur rôle diffère de celui que nous leur connaissons aujourd’hui. A l’époque, elles servent seulement de lieu d’attente du procès pour les personnes accusées. Les sanctions prévues par le système pénal de l’époque ne prévoient pas de séjour en prison.

A partir du 13ème siècle, l’idée des prisons en tant que peine répressive se développe. Nous sommes encore en plein Moyen-âge. En effet, ce dernier prend fin définitivement au 16ème siècle. Mais, dès le 13ème siècle, des idées nouvelles apparaissent en ce qui concerne les prisons.

Au 18ème siècle, ces idées ressortent. Les penseurs et penseuses « des Lumières » les remettent au goût du jour.

Il faudra cependant attendre le 19ème siècle avant de voir une évolution marquante du rôle des prisons. Celles-ci deviennent une façon de sanctionner la délinquance. A l’époque, on punit encore les crimes de peine de mort.

Or, il faut bien se rendre à l’évidence. On met les gens en prison mais cela ne fonctionne pas.

Mais, qu’est-ce qui ne fonctionne pas, au juste ?

Le rôle de la justice pénale

Revenons sur le rôle de la justice pénale.

Hannah Arendt a beaucoup écrit sur le sujet. Elle a analysé, notamment, la question de la responsabilité (morale et pénale) de celles et ceux qui ont contribué à la Shoah.

Selon elle, la justice pénale rencontre 4 objectifs :

  • Le besoin de la société de se protéger contre les crimes ;
  • L’amélioration du/de la criminel.le ;
  • La vertu dissuasive de l’exemple pour les criminel.le.s potentiel.le.s ;
  • La justice rétributive.

La réforme du Code pénal, qui entrera en vigueur en 2026, suit la même logique. Selon ce dernier, la sanction pénale vise à :

  • Exprimer la désapprobation de la société à l’égard de la transgression de la loi pénale ;
  • Promouvoir la restauration de l’équilibre social et la réparation du dommage subi ;
  • Favoriser la réhabilitation et la réinsertion sociale de l’auteur.e ;
  • Protéger la société.

La prison répond-elle à ces objectifs ?

Il me semble dès lors important de vérifier si la prison répond à ces objectifs.

Se protéger contre les crimes

En enfermant une personne en prison, on protège, un temps, la société de celle-ci. Mais, cette protection reste très relative. En effet, la prison à vie n’existe plus dans notre système pénal. Dès lors, sauf si elle meurt avant, la personne retournera forcément dans la société.

L’amélioration du/de la criminel.le

Le système actuel des prisons ne permet pas vraiment aux criminel.le.s de s’améliorer. En effet, les prisons sont surpeuplées. On y entasse les individus dans des conditions inhumaines. Et très peu de moyens sont déployés pour assurer une possible prise de conscience et donc une amélioration des prisonniers/prisonnières.

La vertu dissuasive de l’exemple

A nouveau, il semble que la prison ne rencontre pas cet objectif. En théorie, le Code pénal punit de lourdes peines de prisons les violences faites aux femmes et aux enfants. Or, cela ne dissuade pas les agresseurs d’agresser.

Pire, il arrive parfois que la sanction trop sévère encourage à faire pire. Ainsi, on a vu une augmentation des meurtres de femmes lorsque le viol a été puni de peine de mort dans certains Etats américains. En effet, le risque de peine de mort n’a pas dissuadé les agresseurs de violer des femmes. Il les a juste incités à les tuer. Cela leur permettait de limiter les risques de se faire prendre.

La justice rétributive

La prison ne permet pas à la victime de retrouver ce qu’elle a perdu. Au mieux, elle nourrit son envie de justice. Au pire, son envie de vengeance.

Il existe, pourtant, d’autres façons plus intéressantes, de parvenir au même résultat.

Exprimer la désapprobation de la société

En effet, on peut dire que la prison exprime la désapprobation de la société. Cependant, nous pouvons convenir, à nouveau, qu’il existe d’autres moyens pour y parvenir.

Promouvoir la restauration de l’équilibre social et la réparation du dommage subi 

Le législateur a réuni ces deux critères. Mais, selon moi, il s’agit de deux choses fort différentes.

Sanctionner lourdement une personne par un séjour en prison peut apporter une sorte d’équilibre social. En effet, la personne a commis un acte absolument inacceptable et elle en paie le prix.

Cependant, je n’aperçois pas en quoi cela permet de réparer le dommage subi par la victime.

Favoriser la réhabilitation et la réinsertion sociale de l’auteur.e

Comme mentionné plus haut, les conditions de vie en prison ne permettent ni l’un ni l’autre. Les juges internationaux condamnent régulièrement la Belgique pour les conditions inhumaines et dégradantes de vie en prison.

En outre, plus la peine de prison est longue, plus le risque de récidive augmente ! Et cette comparaison se fait, évidemment, à infraction égale. La prison ne répond pas du tout à cet objectif. Il fait même tout l’inverse.

Protéger la société

Comme mentionné plus haut, cette protection ne dure que le temps de la peine. Et vu que les risques de récidives augmentent avec la durée de la peine, la protection reste très faible.

Un parallèle avec l’éducation des enfants

Je vais me permettre ici un parallèle un peu étonnant, peut-être.

Lorsque ma fille fait une bêtise, je pourrais la punir et la mettre au coin. Mais, je n’agis pas ainsi. Voici pourquoi.

Imaginons qu’elle brise un vase que j’aime beaucoup. La mettre au coin lui montrerait, certes, que je suis en colère. Et qu’elle a dépassé une limite. Mais en quoi ça « réparerait » mon dommage ? En quoi ça me rendrait mon vase ou un autre équivalent ? Et qui devra ramasser les morceaux de vase cassé ? Moi, assurément.

Qu’aura appris ma fille avec sa punition ? A ne pas se faire prendre en train de casser un objet. Mais moi, ce que je veux, c’est lui apprendre à respecter les objets qui l’entourent. Tout en assurant aussi le respect essentiel des humain.e.s et des animaux.

A la place des punitions, je prône donc une éducation basée sur le respect et la responsabilisation.

A elle de ramasser les morceaux brisés. Evidemment, je lui donne le matériel adéquat pour qu’elle ne se blesse pas. Et à elle de trouver comment réparer sa bêtise. Elle propose différentes solutions et nous en discutons pour choisir la meilleure. Prendre sur son argent pour me racheter un vase ? Faire des tâches supplémentaires ?

Qu’importe. Tant que c’est juste pour tout le monde.

Evidemment, les violences faites aux femmes et aux enfants ne se situent pas au même niveau que des bêtises d’enfant. Cependant, l’éducation des enfants nous montre que les punitions ne sont que peu efficaces pour leur apprendre les limites. Pourquoi cela deviendrait soudainement efficace avec les adultes ?

Quoi d’autre que la prison ?

Se pose alors la question : quoi faire d’autre que mettre les criminel.le.s en prison ?

Et, en vérité, je n’ai absolument pas la réponse. Mais, je suis certaine d’une chose. Des hommes et des femmes bien plus brillant.e.s que moi ont déjà du y réfléchir. En effet, je ne suis pas la seule à faire ces constats.

Dès lors, il me faut m’informer. Me nourrir de réflexion et de savoirs en la matière.

Pour ce faire, j’ai proposé à mes collègues de la Coalition Feminists for Justice d’y réfléchir ensemble.

L’idée d’organiser des webinaires à ce sujet a donc émergé. Le cycle de webinaires s’intitule : « La place de la justice pénale dans la prévention des violences faites aux femmes ».

Le premier s’est déroulé le 12 décembre 2024. Nous y abordions les notions de récidive, de victimisation secondaire ainsi que des besoins des victimes au cours de la procédure. Il a déjà été l’occasion de riches échanges.

D’autres suivront.

Ainsi, le 28 janvier, nous parlerons des différents systèmes alternatifs qui existent en parallèle de la justice pénale. Le 11 mars, nous parlerons des auteur.e.s de violence. Le 4 avril, nous développerons les besoins des victimes. Enfin, le 27 mai, nous nous concentrerons sur le système belge et la lutte anti-carcérale.

Nous pensons que d’autres thématiques vont encore émerger. Dans ce cas, nous organiserons d’autres webinaires.

Et en décembre, nous prévoyons une grosse journée d’étude pour en parler toutes ensemble. A cette occasion, nous essaierons de voir quel serait le meilleur système à mettre en place en Belgique.

J’espère vous y voir nombreux et nombreuses. Car, comme le dit le proverbe, seul.e.s, nous allons plus vite. Mais, ensemble, nous allons plus loin.

Miriam Ben Jattou

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