Grossophobie
Introduction
Dans une société où l’apparence a énormément d’importance, où les réseaux sociaux et les magazines mettent principalement en avant des corps minces, la grossophobie sévit de plus en plus.
La grossophobie est l’ensemble des attitudes et des comportements hostiles à l’égard des personnes en surpoids, grosses ou obèses. Ces comportements les stigmatisent ou les discriminent, dans différents aspects de leur vie quotidienne, comme l’emploi, les soins de santé, les relations interpersonnelles, l’éducation ou l’image de soi.
Cette discrimination systémique va bien au-delà de la simple moquerie. En plus des préjugés quotidiens que subissent les personnes grosses, leur poids a un impact sur leur employabilité, leur qualité de vie, leurs relations aux autres.
L’importance des mots
Le terme « gros » ou « grosse » est souvent compris comme une insulte, alors que ce n’est qu’un adjectif comme un autre. Quand on dit qu’on aimerait avoir un gros compte en banque, avoir une grosse maison, ce n’est pas négatif. Pourquoi le serait-ce donc lorsque l’on qualifie une personne ?
Par ailleurs, « en surpoids » ou « obèse » sont des qualificatifs médicaux. Le surpoids s’évalue par rapport à un poids standard, censé être dans la même fourchette pour tous les individus d’une taille donnée. Or, il suffit d’être très sportif et musclé pour être catégorisé dans le surpoids voire l’obésité. L’obésité, quant à elle, est une pathologie médicale, ou, à tout le moins, y fait référence.
Pourquoi passer par quatre chemins pour décrire une personne grosse ? Pourquoi utiliser les expressions « bien en chair », « voluptueuse », « généreuse » pour les qualifier ? Ce choix de ne pas les qualifier de « gros » est une façon de voir la grossophobie qui existe dans notre société occidentale.
Conseils non sollicités
Il n’est pas rare que cette grossophobie se traduise par des conseils non désirés, même s’ils se veulent bienveillants : « Tu devrais faire régime, ça serait mieux pour toi », « Si j’étais toi, je ne mangerais pas ça », « Tu as déjà pensé à supprimer les féculents le soir ? », « J’ai entendu que le jeûne pourrait être utile pour les gens comme toi ».
Malheureusement, ces conseils sont plus souvent blessants qu’utiles. La plupart des personnes en surpoids, grosses ou obèses savent qu’elles sont comme elles sont, elles n’ont pas besoin qu’on le leur rappelle, qu’on les juge.
Quelques chiffres
Les études montrent que l’immense majorité des personnes grosses ont commencé par faire des régimes parce qu’elles avaient un ou deux kilos à perdre. Une fois le régime terminé, les kilos sont repris, puis d’autres kilos s’ajoutent. Au lieu de perdre deux kilos, il faut maintenant en perdre cinq, puis dix, puis quinze, vingt. Les chiffres sont d’ailleurs frappants : 95% des régimes dits « équilibrés » sont un échec à cinq ans. On monte à 99% d’échecs quand on analyse les résultats des régimes sur dix ans.
Est-ce que ces chiffres démontrent que les personnes grosses sont incapables de suivre des régimes ? Qu’elles ne peuvent maintenir une alimentation restrictive ? Ou est-ce que le problème est plus complexe qu’il n’en parait ? Certains médecins se sont beaucoup interrogés sur les raisons d’un échec aussi massif.
Conséquences des régimes
Les connaissances actuelles en psychologie montrent que les régimes induisent des comportements restrictifs. Les restrictions alimentaires conduisent à des troubles compulsifs de l’alimentation, appelés aussi TCA. Ces TCA sont plus connus sous le nom d’anorexie, de boulimie ou encore d’hyperphagie. Est-ce que c’est réellement ce que l’on veut pour les gros ?
Même si l’on préfère se dire qu’ils ne mangent que de la nourriture industrielle grasse ou des plats préparés, beaucoup de personnes grosses ont une alimentation qui respecte parfaitement la pyramide alimentaire. Cette pyramide ne date bien-sûr pas d’hier et n’est pas un objectif à atteindre absolument, mais entre respecter la pyramide alimentaire et aller tous les jours au Mc Donald, il y a une différence énorme.
Il faut casser cette image grossophobe qu’une personne grosse est quelqu’un qui mange n’importe quoi, qui grignote entre les repas, boit des litres de soda et ne fait jamais de sport. Souvent, c’est plus compliqué que cela. Evidement, ce n’est pas si simple d’aller à l’encontre de nos représentations sur l’obésité, mais c’est nécessaire.
Zoom sur les régimes « équilibrés »
Pour en revenir au taux d’échec des régimes, il est assez étonnant de constater que c’est le seul traitement médical proposé à aussi large échelle avec un taux d’échec aussi impressionnant. Après deux à trois ans, les études montrent que 95% des personnes ayant fait un régime retrouvent leur poids initial après deux à trois ans, et 40% d’entre elles le dépasse.[1]
Nulle part ailleurs en médecine on propose des traitements dont l’efficacité est à ce point faible. Bien-sûr, certains traitements médicaux ont un très faible taux d’efficacité. Mais dans ce cas, les patients en sont avertis. Les situations dans lesquelles se trouvent ces patients sont d’ailleurs souvent critiques : soit ils choisissent cette thérapie avec un probabilité d’efficacité limitée, soit ils perdent la vie ou meurent rapidement.
Dans les régimes, on va « soigner » des kilos en trop, alors même que c’est souvent inefficace, et qu’à moyen et long termes, ça a tendance à augmenter les risques de développer une obésité sévère. C’est insensé de procéder de la sorte. C’est pourquoi il est nécessaire de revenir sur les dangers des « kilos en trop » pour la santé.
Biais de confirmation
Aucune étude scientifique n’a cherché à démontrer si l’obésité était dangereuse pour la santé. En effet, les études montrent en quoi l’obésité est un danger pour la santé. Même si la différence parait minime, elle change tout. Lorsqu’un chercheur est persuadé de quelque chose, il y a plus de probabilités que les résultats de sa recherche concordent avec son hypothèse de départ. C’est ce que l’on appelle le biais de confirmation.
Par exemple, si l’on considère que tous les chauffeurs de BMW conduisent mal, dès qu’une BMW a un comportement dangereux, on va se dire que c’est parce que tous les conducteurs de BMW sont des chauffards. Bien-sûr, notre perception est tronquée, car on en oublie toutes les personnes qui conduisent leur BMW prudemment ou normalement.
Le biais de confirmation fait que l’on se souvient de tous les éléments qui viennent confirmer ce que l’on pense, et nous incite à ne pas tenir compte de tous les éléments qui vont contre nos idées préconçues, même si tous ces éléments sont majoritaires. Ainsi, les chercheurs qui veulent démontrer que l’obésité est un problème pour la santé partent du principe qu’ils ont raison, ce qui fausse leurs résultats.
Livre clé
Le livre « What’s wrong with fat ? », écrit par Abigail C. Saguy en 2013, explique comment la société occidentale a fait de la grosseur un problème central. L’auteure traite de la grossophobie en général, et s’attarde sur l’histoire de la corpulence et des jugements liés au poids qui ont existé à travers le temps[2]. Cet ouvrage permet de se rendre compte de l’étendue du problème et peut être une piste pour celles et ceux intéressés par le sujet, voulant aller plus loin que ces quelques lignes.
Opérations bariatriques
Outre les régimes, les patients se voient proposés la solution des opérations bariatriques. Il s’agit de toutes ces opérations qui visent à réduire la taille de l’estomac ou à réduire le chemin que prend le bol alimentaire dans le système digestif pour diminuer l’absorption de calories, et ainsi perdre du poids.
Physiquement, ce type d’opérations marche. Les patients et patientes perdent du poids. Cependant, ils ne le perdent pas forcément durablement. Le taux d’échec à cinq ans pour les obèses est de 38%, soit un patient sur trois qui reprend beaucoup de poids. Notons également que les statistiques sont faussées par le fait que beaucoup de patients sont perdus de vue après l’opération, car ils ne reviennent pas vers leur chirurgien ou chirurgienne[3]. Les chiffres pourraient donc être moins mauvais, ou pires.
Certains patients, vu qu’ils ont repris du poids, décident aussi parfois de passer par plusieurs opérations au cours de leur vie. Comme il est possible de se l’imaginer, ces opérations réduisent l’espérance de vie des patients et patientes, sans parler de leur qualité de vie. L’auteure et documentariste Gabrille Deydier parle d’ailleurs très bien de ce sujet dans le livre « On ne nait pas grosse ». Vaut-il mieux être mince et en mauvaise santé, ou gros.se et en bonne santé ?
Mais quelle serait donc la solution au problème de la grossophobie ? Doit-on inciter les gens à devenir ou à rester gros ? Soyons clairs : l’immense majorité des personnes grosses ne souhaitent pas être grosses et ne se complaisent pas dans leur poids. Ne fut-ce qu’à cause de toutes les conséquences que peut avoir ce poids sur leur vie. Et puis, un surpoids n’implique pas forcément un problème de santé, et ne doit donc pas forcément être traité.
Ecouter son corps
Le nutritionniste et psychothérapeute Jean-Philippe Zermati est un expert sur la question du poids. Avec d’autres experts, comme le Dr Gérard Apfeldorfer, ils ont fondé une autre vision du poids et de la nutrition. Selon J-P. Zermati, l’important est d’arriver à un état de satiété lorsque l’on mange. Ainsi, il préconise de profiter de sa nourriture, de ce que l’on ressent en mangeant. Les personnes qui appliquent cette technique ont tendance à moins manger, à plus apprécier ce qu’ils mangent. Certaines personnes ont pu perdre un peu de poids grâce à cela, même si ce n’est évidement pas magique, c’est une façon de perdre du poids sans régime.
Dans « Maigrir sans régime »[4], Zermati évoque une expérience qui a été menée pour démontrer que les personnes mangent naturellement ce qui est bon pour elles. Dans cette étude, des enfants ont été amenés devant un buffet gargantuesque, rempli d’aliments variés, allant des légumes, à la viande, aux fruits, aux autres desserts (gâteaux, biscuits, chocolat). Les enfants étaient laissés à eux-mêmes, mais surveillés grâce à des caméras. Les premiers jours, ils se sont tous jetés sur les desserts, sans toucher aux légumes. Cependant, après quelques jours, la tendance s’est inversée : ils ont commencé à prendre un peu de viande, de légumes, de féculents. Tout était dans la mesure et naturellement, ils sont revenus vers une alimentation plus « équilibrée », en tout cas plus saine qu’un repas composé d’un gâteau et de bonbons.
Validité de l’expérience sur un autre public
Cette expérience peut se transposer aux personne grosses. Même si ce n’est pas impossible, il est rare qu’elles ne mangent que du mauvais gras et du sucre. Le tout est de s’écouter. De prendre le temps de comprendre son corps, sa faim.
Souvent, on accorde beaucoup d’importance au chiffre sur la balance. C’est habituellement le chiffre que l’on voit apparaitre qui va faire que l’on entame un régime. Mais pourquoi accorder autant d’importance à cette mesure ? Pourquoi pas se concentrer sur l’état de santé global de la personne ?
Conséquences de la grossophobie dans la vie quotidienne
Soins médicaux
Beaucoup de personnes grosses remarquent que leur poids, et non pas leurs autres problèmes de santé, sont abordés durant les rendez-vous médicaux. Par exemple, si une patiente grosse va à un rendez-vous gynécologique, il n’est pas rare que le rendez-vous tourne autour de son poids, sans même qu’on réponde à ses questions liées au spécialiste qu’elle consulte. Cette grossophobie au sein du système médical peut avoir des conséquences graves, car un.e. patient.e. pourrait avoir des maladies qui n’ont rien à voir avec son poids. Ainsi, sa santé pourrait se détériorer si on ne traite pas rapidement ses symptômes ou sa maladie.
Aussi, il n’est pas rare que le matériel médical ne soit pas adapté aux personnes en surpoids, grosses, obèses. Par exemple, le brassard du tensiomètre est souvent trop petit pour leur bras, ce qui crée un mal-être non nécessaire. Cet équipement non adapté a aussi des conséquences sur la santé des patients car les résultats du tensiomètre ne sont pas fiables : la personne est en hypertension alors qu’en fait ce n’est pas le cas. Beaucoup d’appareils d’imagerie sont aussi inadaptés.
Espace public
Outre le milieu médical, l’espace public est lui aussi grossophobe. En effet, les passants, s’ils ne dévisagent pas les personnes grosses, n’hésitent pas à faire un commentaire sur ce qu’iels mangent : « Un chocolat à cette heure-ci ? Pas étonnant que tu sois si grosse », « Il est 15h, ce n’est pas une heure pour manger un sandwich, voyons ».
En plus des remarques de parfaits inconnus, les gros doivent souvent faire face à du mobilier urbain inadapté à leur morphologie. Par exemple, les chaises de café ou restaurants ont des accoudoirs trop proches et une assise trop étroite que pour leur permettre de s’assoir confortablement.
Emploi
Enfin, la discrimination vis-à-vis des gros se remarque énormément sur le marché de l’emploi. A compétence égale avec une personne mince, les minces seront plus facilement embauchés. En effet, poids rime souvent avec paresse, et personne ne veut employer quelqu’un de paresseux.
Conclusion
Par ces quelques exemple, il est facile de comprendre que la grossophobie est un problème sociétal systémique. Briser les préjugés que nous pouvons avoir sur les personnes grosses n’est pas chose aisée, car on nous éduque en nous disant qu’être gros, c’est mal. Néanmoins, une fois que l’on se rend compte du problème, il est plus simple de se mettre à la place de l’autre, d’avoir un esprit plus critique, moins jugeant. Ainsi, les personnes grosses, comme tous les autres citoyens, devraient pouvoir se sentir à leur place dans la société dans laquelle ils vivent.
Marie Darcis et Miriam Ben Jattou
Note de bas de page
[1] Evaluation des risques liés aux pratiques alimentaires d’amaigrissement, Paris, ANSES, 2010.
[2] Saguy, Abigail C. What’s wrong with fat?. Oxford University Press, 2012.
[3] http://fnamn.fr/wp-content/uploads/2016/02/sleeve-resultats-a%CC%80-5-ans-1.pdf
[4] Zermati, J. P. (2011). Maigrir sans régime: Nouvelle édition revue et augmentée. Odile Jacob.
Références juridiques
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