Depuis toutes petites, on nous apprend à être en compétition les unes avec les autres. On nous apprend à critiquer, à décortiquer, à analyser, à comparer. Et plus que tout, à déterminer ce qui est bien ou mal.
Les choses sont relativement simples. Il y a d’un côté les bonnes actions et de l’autre les mauvaises.
Il y a d’un côté les bonnes personnes, et de l’autre les mauvaises.
Alors, quand on commence à être féministe, ces pratiques qui nous accompagnent depuis notre naissance continuent à alimenter notre fonctionnement.
C’est ainsi qu’on catégorise les bonnes et les mauvaises actions féministes ainsi que les bonnes ou mauvaises féministes.
On analyse une action. Dès qu’une chose s’écarte de nos convictions, c’est qu’elle n’est pas bonne. Partant de là, il est très aisé de franchir le pas de ranger les personnes à l’origine de l’action comme de mauvaises personnes.
Oh, bien sûr, le chemin de la déconstruction nous a appris à nuancer les choses. Alors, nous mettons un point d’honneur à faire le tri, à ne pas tout mettre dans le même panier, à nuancer.
Pourtant, encore et encore, nous passons notre temps à analyser et décortiquer les actions des autres féministes. Ce temps, nous ne le consacrons pas à lutter contre notre véritable ennemi : le patriarcat.
On a beau avancer sur ce chemin de déconstruction, la route est longue. Le chemin est tortueux.
En tant que féministe, j’ai à coeur de mener un noble combat. Je veux lutter contre toutes les violences faites aux femmes et à toutes les personnes minorisées. Je veux une égalité de tous et toutes. J’œuvre chaque jour à un monde meilleur. Un monde où chacun et chacune est respecté.e pour ce qu’il ou elle est. Un monde où la violence n’est plus le principal vecteur de communication.
Et pourtant, il m’arrive encore de me tromper d’ennemi. C’est ainsi, par exemple, que j’ai passé plusieurs heures à rédiger un article critique sur le colloque organisé par l’université de Namur, et plus principalement, Stéphanie WATTIER, et dont le sujet était les violences de genre au prisme du droit.
Ce temps, j’aurais pu le consacrer à quelque chose de bien plus constructif comme la rédaction d’un article pour le site internet de notre association permettant d’informer les femmes sur leurs droits.
Certes, j’ai cherché à être la plus nuancée possible et à faire une critique précise sur chaque intervenant.e du colloque. Je n’ai pas voulu tout mélanger et encore moins faire des raccourcis simplistes en dénigrant l’ensemble du colloque. J’ai donc pris le temps d’argumenter et pointer ce qui me paraissait pertinent et ce qui me paraissait problématique.
Pourtant, le résultat de toute cette énergie et de tout ce travail est décevant. Qu’a apporté ce billet de blog dans le féminisme et dans le combat contre le patriarcat ? À vrai dire, pas grand-chose.
Et pour tout dire, j’en ai un peu marre de jouer ce jeu de la concurrence. Ce jeu au cours duquel on offre des médailles aux bonnes féministes et un bonnet d’âne aux autres.
C’est oublier que le chemin de la déconstruction est long et qu’il peut prendre de multiples formes. C’est oublier que nous ne sommes pas tous et toutes au même endroit sur ce chemin. C’est presque croire qu’il n’y a qu’une seule bonne façon d’être féministe et de lutter contre le patriarcat.
Depuis la fondation de Femmes de droit, je collabore avec de très nombreuses féministes et associations féministes. Nous ne partageons pas toujours les mêmes points de vue sur toutes les questions qui concernent les droits des femmes, les violences faites aux femmes ou encore la façon dont il faut lutter contre le patriarcat. Mais nous mettons de côté nos divergences pour nous unir, pour unir nos forces et nourrir nos réflexions mutuelles nous permettant de grandir et d’avancer dans cette lutte tellement importante.
C’est de cette manière que de beaux projets ont pu voir le jour. Je pense à « justice pour tout.e.s », au groupe de politisation de l’inceste, au manuel d’auto-défense contre les violences gynécologiques et obstétricales, et bien d’autres encore.
C’est résolument sur ce chemin là que je veux continuer à militer. En travaillant sur nos points communs. En unissant nos forces. En mettant de côté nos divergences dans nos actions tout en continuant à en parler pour nourrir nos réflexions.
Il m’arrivera encore probablement de commettre des erreurs en tant que féministe. Je ne suis même pas sûre, d’ailleurs, qu’il soit possible un jour d’être parfaite ni en féminisme ni dans aucun autre domaine. Cependant, il est important pour moi de continuer à me remettre en question pour ne plus répéter inlassablement les mêmes erreurs et pour devenir chaque jour une meilleure version de moi-même.
Miriam Ben Jattou