Comment recueillir le témoignage d’une victime ?

Introduction

En discutant de témoignages, de plaintes, de nos histoires personnelles, nous nous sommes demandées : comment recevoir le témoignage d’une victime ?

Même si ce n’est pas notre histoire, même si ce n’est pas nous qui avons vécu les faits, recevoir le témoignage d’une victime n’est pas évident. Il ne faut pas minimiser l’impact sur notre personne, sur nos émotions.

Lorsque l’on reçoit un témoignage, on est légitime de ressentir des émotions, d’être triste, en colère, de compatir, d’être choqué-e, étonné-e, ou même de paniquer à l’idée de devoir gérer la situation.

L’intention de cet article est donc de donner des pistes aux récepteurs de témoignages, dans le but de les aider à réagir au mieux, sans brusquer la victime, sans lui faire vivre une victimisation secondaire.

Jugement

Même si cela peut paraître évident, il ne faut pas juger la victime. Le jugement peut être naturel, acquis par l’éducation, par la société dans laquelle on vit. Il ne peut cependant pas être posé dans ce genre de situation. Demander comment la victime était habillée, pourquoi elle était seule, pourquoi elle avait bu, pourquoi elle n’a pas demandé d’aide plus tôt, pourquoi elle n’a pas porté plainte, n’est pas acceptable.  

Nombrilisme

Outre le jugement, il est important de ne pas ramener les choses à soi. Certaines victimes pourraient ressentir le besoin d’être comprises, de savoir qu’elles ne sont pas seules. Mais il faut d’abord leur laisser le temps de parler. Et les écouter, sans les interrompre, sans les brusquer.

Lorsque quelqu’un vous parle de quelque chose qui lui est arrivé, c’est que cette personne a confiance en vous. Ce que vous pouvez faire, c’est de lui dire que vous entendez ce qu’il ou elle vous dit, que vous le ou la croyez. Pour rappel, seules 2% des accusations d’agressions sexuelles sont des faux témoignages. Cela signifie que 98% des allégations sont vraies. Il n’y a donc pas de raison de mettre en doute la parole de la victime. Croyez-la.

Ecoute bienveillante du témoignage

Ce n’est pas toujours évident à accepter, mais parfois, la personne a juste besoin d’être écoutée. Parfois, elle ne veut pas agir en portant plainte, en confrontant quelqu’un d’autre. Ce n’est pas à vous de décider pour elle.

Parfois, sans spécialement le vouloir, certain-e-s vont émettre des injonctions : va porter plainte, écris à propos de ton histoire, parles-en à un professionnel.

Ces conseils peuvent éventuellement être les bienvenus par la suite, mais pas directement. Il faut laisser le temps aux choses.

Une solution pourrait être de demander à la victime ce dont elle a besoin. Est-ce qu’elle veut simplement qu’on l’écoute ? Une épaule sur laquelle pleurer ? Si c’est le cas, respectez son choix et n’agissez pas à sa place.

Report de la discussion

D’un autre côté, il est important de ne pas rester dans l’inaction. Se mettre la tête dans le sable ou fuir ne va pas aider la victime.

Sur le moment, vous pouvez ne pas vous sentir prêt-e à accueillir le témoignage. Vous pouvez alors lui proposer de rediscuter de la chose une autre fois. Si vous proposez un autre moment pour en reparler, vous aurez le temps de vous recentrer, de venir avec des pistes plus concrètes pour l’aider (encore une fois, si elle le veut).

Comme dit précédemment, ne mettez pas vos émotions de côté. Écoutez-vous également. Si vous choisissez de remettre la conversation à une autre fois parce que vous n’êtes pas prêt-e., n’hésitez pas à le dire à l’autre. Vous avez le droit de ne pas être capable de recevoir le témoignage.

Cependant, si vous choisissez cette option, il faut clairement dire à l’autre ce que vous ressentez. Vous pouvez l’exprimer en disant « Je comprends que tu as envie ou besoin de me témoigner ton vécu. Et je suis heureuse que tu m’accordes ta confiance. Et en même temps, là, je ne suis pas capable de le gérer. Est-ce que ça te va si je reviens vers toi pour en discuter ? ». Parfois, simplement dire la vérité permet de mieux réagir.

Obligation d’agir ? Cela dépend de votre âge

En tant qu’adulte, il est de votre devoir d’aider chaque enfant qui vient vers vous pour témoigner de ce qu’il ou elle a vécu. Encore une fois, si l’enfant vous parle, c’est qu’il ou elle a confiance en vous. Il vous faut agir pour son bien, et l’éloigner de la situation violente qu’il ou elle peut vivre.

Si c’est une question d’inceste, nous vous conseillons d’appeler une association qui gère ce genre de cas (Femmes de droit, SOS inceste, SOS viol, etc.). Ces professionnel-le-s pourront vous aider.

Malheureusement, les professionnel-le-s de la santé, les centres PMS, SPJ, SAJ, les policiers, les magistrats, etc. sont rarement correctement formé-e-s à la question. Appeler les associations de terrain pourrait donc vous permettre d’aider la victime de manière adéquate.

En tant qu’enfant, il est encore plus difficile de recueillir le témoignage de quelqu’un-e. Si c’était votre cas par le passé, ne vous en voulez pas de ne pas avoir réagi comme vous l’auriez voulu. Aujourd’hui, vous avez plus d’outils, plus de recul sur les choses. Il n’est pas encore trop tard pour agir si vous le souhaitez, et si la victime le souhaite.

Double peine : victimisation secondaire

Aussi, il faut éviter à tout prix la culpabilisation de la victime.

Dans les procédures administratives qui peuvent suivre un dépôt de plainte, il n’est pas rare de voir qu’une victime est culpabilisée.

Bien évidemment, ce n’est pas de la faute de la victime si elle a vécu ce qu’elle a vécu. N’hésitez donc pas à le lui dire, à le lui rappeler.

Une autre réaction souvent observée est de dire qu’elle ne devrait pas réagir comme cela. Chacun-e est légitime de ressentir ce qu’il ou elle ressent. Si la personne vous parle de son agression sur un ton humoristique, c’est un mécanisme de défense. Ne riez pas de la situation, ne vous moquez pas d’elle. Croyez-la.

En parler : oui, mais à qui ?

Entendre un témoignage d’une victime n’est pas évident. Vous aurez donc peut-être envie d’en parler à une tierce personne. Si c’est le cas, demandez à la victime si vous pouvez le faire. De cette manière, vous n’aurez pas à porter seul-e le témoignage de votre interlocuteur ou interlocutrice, tout en évitant de le partager dans sa sphère privée.

Néanmoins, il est nécessaire de prendre en compte le paramètre de danger de la personne. Si elle est dans une situation de danger imminent, parlez-en à un-e professionnel-le pour qu’il/elle vous aide.

N’hésitez pas non plus à appeler des numéros d’écoute comme le 107 pour déposer ce qui est trop lourd pour vous. L’appel est anonyme.

Contenir ses émotions lors du témoignage

Malgré la lourdeur et l’impact d’un témoignage sur votre personne, il faut contenir vos émotions pour ne pas envahir celles de celui ou celle qui vous le livre.

Ne faites pas porter à l’autre vos propres émotions par rapport à son vécu. Il ou elle a déjà les siennes à gérer. Cependant, accueillez vos émotions après la discussion. Elles sont légitimes. Vous pouvez ressentir de la tristesse, de la colère. Ces émotions peuvent être très intenses. Prenez soin de vous.

Ecoute active pendant le témoignage

Même si ce n’est pas facile, c’est important d’être à l’écoute, de montrer son empathie, d’être actif/active dans la discussion.

Le risque serait de poser trop de questions, ce qui pourrait être interprété comme de la curiosité mal placée. Poser quelques questions n’est pas spécialement un problème si vous veillez à être bienveillant-e. Mais essayez d’éviter d’en poser trop.

Exposer des faits

Certaines personnes, pour être rassurées, ont besoin d’entendre des faits. Ceci permet de contrer les émotions qui les envahissent, ou de les aider à légitimer leur ressenti. C’est pour cela que tout un chacun devrait connaitre quelques chiffres ou tendances sur les agressions sexuelles, savoir qui contacter en cas de problème, savoir ce qu’est la mémoire traumatique, quels sont les bons termes à utiliser.

Chiffres marquants

En mars 2020, SOS Viol et Amnesty International ont publié un sondage sur les violences sexuelles en Belgique. Les chiffres sont frappants : un-e Belge sur deux a déjà été exposé-e à au moins une forme de violence sexuelle ; un homme sur cinq pense que les femmes aiment être forcées ; une femme sur cinq a été victime de viol.

De plus, selon l’OMS, entre 20 et 24% des petites filles et 5 à 11% des petits garçons sont victimes de violences sexuelles, majoritairement dans le cadre familial.

Ceci montre que le viol et la culture du viol sont bien présents dans le société belge. Certainement plus que ce qu’on aimerait croire. Avoir ces tendances en tête permet de se rendre compte que la victime qui nous parle nous dit plus que probablement la vérité.

Néanmoins, malgré ces chiffres inquiétants, d’autres le sont encore plus : 53% des affaires de viol sont classées sans suite, et très peu de dossiers poursuivis aboutissent à une condamnation. C’est la dure réalité du terrain. Ceci est dû à la culture du viol, où certains faits sont considérés comme « pas si graves », où des violeurs sont relâchés parce qu’ils n’ont pas le profil du « monstre violeur ».

Sauf que malheureusement, la grande majorité des viols sont commis par des personnes issues d’un milieu familier. La plupart des violeurs sont des gens que l’on connait, des amis, des membres de notre famille, des pères qui semblent parfaitement bienveillants.

Dire à une victime que ce n’est pas possible que telle ou telle personne l’ait violée, c’est participer à la culture du viol. C’est une double peine infligée à la victime. C’est accepter que les agressions continuent. Il faut donc sortir de la vision faussée du violeur de parking, même s’il existe également.

Mémoire traumatique

Savoir ce qu’est la mémoire traumatique semble aussi primordial. Même si la mémoire traumatique n’est pas uniquement liée à des agressions sexuelles, elle est très courante dans ce genre de situations.

Cette mémoire n’est pas la même que la mémoire intégrative, elle se constitue uniquement lors d’un moment de grand stress, où le cerveau décide de disjoncter pour nous protéger. Ainsi, les personnes avec une mémoire traumatique font de la dissociation traumatique et/ou de l’amnésie traumatique. Elles peuvent ne plus se souvenir des événements traumatiques qui leur sont arrivés. Cette amnésie peut se lever à tout moment. Mais cela se produit généralement autour des 35 ans de la personne.

Toutes les victimes d’agressions sexuelles n’ont pas nécessairement de mémoire traumatique. Mais il est prouvé que tous les enfants qui ont été agressés avant six ans en ont une.

Forcer un réveil d’amnésie traumatique ne va pas aider la personne. Si quelqu’un-e vous a parlé d’une agression, puis que vous lui en reparlez et qu’il/elle nie les faits, c’est qu’il/elle ne s’en rappelle plus. N’insistez donc pas. Il/elle n’y peut rien. Vous non plus. Dans tous les cas, l’obliger à se souvenir ne sera nullement bénéfique. Car si l’amnésie est toujours là, c’est que son corps n’est physiquement pas prêt à gérer ces souvenirs.

Lorsqu’une victime a un discours confus, qu’elle ne se souvient plus d’éléments dont vous avez déjà discutés, si elle a des contradictions, qu’elle raconte les choses de façon détachée, ce sont des preuves que les faits ont bien eu lieu, pas l’inverse. Ceci montre qu’elle y a bel et bien une amnésie traumatique, qui se lève petit à petit. Au lieu de douter de la parole de l’autre, soutenez-la.

Prendre les choses en main lors du témoignage

Après avoir pris soin de l’émotion de l’autre, lui avoir dit que vous le croyez, lui avoir proposé un câlin, un mouchoir, quelque chose à boire, à manger, ou toute autre action qui lui ferait du bien, plusieurs options s’offrent à vous.

Vous pouvez, par exemple, lui proposer de comprendre ensemble ce qu’il s’est passé, dans le but d’y voir plus clair à deux. Prendre les choses en main permet souvent à l’autre d’avoir l’impression de ne pas être seul-e à porter un poids. Désormais, il/elle est accompagné-e.

Par la suite, vous pouvez lui suggérer d’élaborer ensemble une stratégie, s’il ou elle en a envie. Encore une fois, ne l’obligez pas à agir.

Comme énoncé ci-dessus, la plupart des plaintes ne mènent pas à des condamnations. Une seconde option est donc de dire à la personne que vous savez que déposer plainte n’est pas quelque chose d’évident. Vous pouvez donc proposer votre aide ou votre accompagnement dans ces démarches.

Enfin, il peut être intéressant pour vous de lui exprimer vos émotions, tout en n’accaparant pas la discussion, en ne retournant pas la situation pour vous plaindre. Vos émotions sont légitimes, tout comme celles de votre interlocuteur ou interlocutrice. Mais vous devez pouvoir vous contenir. Si c’est impossible, trouvez un autre moment pour en discuter lorsque vous serez prêt-e. Ainsi, vous aurez plus facilement des outils concrets pour l’aider si besoin.

Activité de partage

Si c’est ce dont la victime a besoin, vous pouvez lui proposer une activité de partage pour l’aider à se sentir mieux, et à montrer votre implication.

Pourquoi pas pratiquer de l’art-thérapie ? Faire une activité de cuisine ? Regarder un film, une série, écouter de la musique ? Lors de ces activités, libre à vous de lui demander s’il/elle voudrait reparler de ses émotions, s’il/elle voudrait entendre des témoignages d’autres victimes pour voir qu’il/elle n’est pas seul-e.

Ceci pourrait permettre de rendre la conversation moins lourde et pesante pour l’autre. Avoir un « safe space » permet de se sentir à l’aise. Et c’est important que ça soit le cas pour ce genre de discussions.

Réseaux sociaux

Sur internet, bon nombre de hashtags sont apparus ces dernières années dans le but de dénoncer les agressions sexuelles, les viols, les atrocités lors de dépôt de plainte (#metoo, #jetecrois, #incestemoiaussi, #doublepeine, etc.). N’hésitez pas à explorer les témoignages d’autres victimes pour mieux comprendre l’étendue du problème.

Organigramme

Pour vous aider, nous comptons mettre en place un organigramme pour savoir qui appeler dans telle ou telle situation. En effet, il est parfois plus utile d’appeler directement l’association spécialisée dans l’inceste, dans le viol, pour qu’elle puisse vous aider rapidement, tout en répondant à vos questions et en vous écoutant.

Conclusion

En tant que personne qui reçoit le témoignage d’une victime, vous allez ressentir beaucoup d’émotions à la fois, car ce n’est pas anodin. Vous avez été choisi-e comme personne de confiance et ce n’est pas pour rien. Vous êtes capables de gérer la chose, même si vous ne devez pas être seul-e. pour le faire.

Des associations de terrain spécialisées sur le sujet peuvent vous guider. N’hésitez donc pas à les appeler. L’important est pour vous de veiller à ne pas juger la victime, de l’écouter, de ne l’obliger en aucun cas à porter plainte ou à agir particulièrement.

Si elle veut simplement vous raconter son histoire, accueillez-la avec bienveillance. Si vous n’êtes pas prêt-e. à l’instant où cette personne veut vous en parler, dites-le. Mais précisez bien que vous l’avez entendue et que vous reviendrez vers elle pour en discuter. Et que vous la croyez, que vous êtes juste dépassé-e. par vos émotions. Trouver des activités à faire pour discuter de ce genre de choses peut être une façon de rendre la discussion moins lourde pour vous et pour la victime. Veillez cependant à trouver une activité adéquate et propice à la discussion au calme, dans un endroit qui sera agréable pour vous deux. 

Marie Darcis

1 réflexion sur “Comment recueillir le témoignage d’une victime ?”

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