On voit fleurir partout l’expression « abus sexuel » et autres « abuseur » ou « situation d’abus ».
Cette expression, bien ancrée dans le langage courant, est pourtant extrêmement problématique.
Plus je travaille sur les questions des violences sexuelles intrafamiliales, autrement nommées inceste, plus il m’apparait clairement que nous devons cesser immédiatement de l’utiliser.
Le sens des mots
Nous utilisons un vocabulaire plus ou moins riche et plus ou moins diversifié en fonction de notre éducation, du milieu dont on est issu.e mais aussi de notre langue maternelle et de l’usage de la langue qui nous entoure.
Cependant, certains mots ont une signification spécifique qui peut se déduire de leur étymologie ou de la façon dont ces mots sont utilisés.
Même si nous ne sommes pas linguistes, nous sommes imprégné.e.s de ces significations par le simple fait de faire partie de la société.
En outre, les mots nous servent à penser le monde qui nous entoure.
Certains penseurs regrettent, d’ailleurs, l’appauvrissement du langage ou la « novlangue » (voir la vidéo de Franck Lepage à ce sujet).
Réfléchir aux mots que nous utilisons, c’est réfléchir au monde que nous construisons, à celui que nous souhaitons mais aussi à celui dans lequel nous baignons.
Et le terme abus ?
Pour en revenir au terme « abus », pensons à sa signification.
Abuser vient du latin abusus.
En droit romain, la propriété d’un objet se divisait en trois partie : usus, abusus, fructus.
L’usus, c’était le droit à l’usage exclusif de la chose. En d’autres termes, le droit de se servir ou non d’un objet, d’en faire ce qu’on souhaite, d’interdire ou d’autoriser quelqu’un à l’utiliser.
Le fructus, c’étaient les droits qui découlaient de tous les « fruits » de l’objet, c’est-à-dire les choses accessoires produites par la chose principale. Ainsi, en droit romain, les pommes produites par le pommier dans le jardin dont je suis propriétaire me reviennent. Je deviens automatiquement propriétaire de ces pommes.
On en vient à l’abusus. Il s’agissait du droit de disposer juridiquement et matériellement d’une chose. En tant que propriétaire d’un objet, on peut décider de le vendre, de le modifier voire de le détruire.
Comment définir l’abus sexuel ?
Le droit d’abusus, c’est donc le droit de disposer juridiquement et matériellement d’une chose.
En langage moins juridique, c’est le fait d’user d’un droit ou d’une chose jusqu’à l’excès. Cela vient également du latin, abuti, user d’un objet jusqu’à sa disparition. Abuser de savon, c’est utiliser trop de savon, jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus ou presque.
Dans ces conditions, comment définir l’abus sexuel ?
Peut-on abuser d’un droit que nous n’avons pas ? Cela me semble vraiment difficile voire impossible.
En effet, on use d’un droit. Si on va trop loin, on en abuse.
Dès lors, abuser sexuellement quelqu’un, c’est aller au-delà de notre droit d’user sexuellement cette personne. En mots plus adéquats, on pourrait dire qu’abuser sexuellement quelqu’un, ce serait abuser de notre droit d’avoir des relations sexuelles avec cette personne.
Or, il n’y a aucun droit sexuel sur personne. On n’abuse pas d’un droit préexistant. On s’octroie un droit qui n’existe pas.
Aller au-delà du droit de la victime
Certains s’offusquent en disant que s’il n’existe pas de droit sexuel sur les gens, il existe cependant un droit sexuel individuel et que l’abus signifie alors « aller au-delà du droit sexuel individuel en l’imposant à l’autre ».
Cependant, cela ne me convainc pas. En effet, on pourrait tenir un raisonnement similaire avec le vol. Le vol est défini comme la soustraction frauduleuse d’un bien appartenant à autrui. Il ne viendrait à personne l’idée de qualifier le vol « d’abus de propriété ». Or, c’est rigoureusement pareil. Le propriétaire a le droit de me vendre ou de me donner l’objet. Il n’en a aucune obligation. Personne ne peut s’approprier le droit de propriété de l’objet, sauf à le voler.
En matière sexuelle, c’est la même chose. J’ai le droit d’avoir des relations sexuelles avec qui je peux. Mais, personne ne peut m’en imposer. Si on m’en impose, c’est une agression, qualifiée par le Code pénal comme un viol ou un attentat à la pudeur.
Abus intrafamilial
En matière de violences sexuelles intrafamiliales, d’inceste donc, ce mot est encore pire.
Il ne s’agit pas d’abuser du droit de l’enfant à avoir des relations sexuelles avec qui il ou elle veut. Il s’agit d’imposer une relation sexuelle à un enfant qui, quoi qu’il en soit, ne sera jamais consentant.
Quel que soit le bout par lequel on le prend, il est inadéquat de parler d’abus.
Il n’y a aucun droit préexistant.
Le père n’a aucun droit sexuel sur ses enfants. Les oncles, frères, cousins, mères, tantes non plus.
Il ne s’agit donc pas d’aller trop loin dans un droit que nous avons mais de s’arroger un droit inexistant.
Anecdotique ou essentiel ?
On pourrait penser que c’est anecdotique. Que l’on sait ce qu’on vraiment dire par là. Que ce mot, avec l’usage, signifie à présent « faire quelque chose de moralement répréhensible ». Du reste, c’est ce qu’indiquent certains dictionnaires.
Cependant, il n’en est rien.
Le travail de terrain avec les victimes et les auteurs démontrent que de très (trop) nombreux auteurs estiment avoir un droit sur leurs enfants. Un droit sexuel. Que les actes sexuels qu’ils ont commis ne sont pas problématiques, à leurs yeux. Que c’était leur droit de les imposer. Parfois, ils admettent « avoir été trop loin » en parlant de l’une ou l’autre agression, sans jamais se rendre compte que le moindre début de commencement d’acte était déjà de la violence.
On a, ainsi, pu lire Richard Berry affirmer qu’il n’avait jamais eu aucun acte déplacé ou incestueux. Comme si les actes déplacés n’étaient pas incestueux. Comme si ce qu’il avait fait était OK.
Dans d’autres circonstances, il m’a été donné d’assister à des audiences où les accusés, des pères, confirmaient les relations sexuelles avec leurs enfants (3 ans dans la première affaire et 11 dans la seconde) en argumentant qu’il n’y avait pas d’abus mais seulement de l’amour. Comme si les actes d’amour sexuel envers un enfant étaient la norme et que parfois, ça « allait trop loin » et devenait de l’abus.
Pourtant, il n’en est rien. Les relations sexuelles, avec ou sans pénétration, n’ont pas leur place dans une relation de famille avec des enfants. Il n’y a pas de limites floues. La limite est très claire : acte sexuel ? Non.
Et l’amour dans tout ça ?
L’amour se matérialise par bien d’autres actes et comportements que le sexe (heureusement).
Le sexe, dans un cadre sain, entre adultes consentants, dans les limites de chacun.e, c’est merveilleux. Expliquer ça aux enfants, c’est important. Ne pas diaboliser la sexualité, c’est précieux pour leur vie d’adulte.
Cependant, en tant qu’enfant, ils n’ont pas de besoins sexuels à partager avec les autres. La découverte de leur sexualité est intime, d’eux-mêmes sur eux-mêmes. Dès qu’un adulte intervient dans cette sexualité-là, c’est de la violence.
Pas un abus.
Un crime.
Notons d’ailleurs que l’inceste n’est jamais une question d’amour mais une question de domination et de violence, qu’importe ce que les auteurs en disent.
Et dans le Code pénal ?
Dans le Code pénal, les mots abus et abuseurs n’apparaissent pas. D’un point de vue juridique, ce n’est que dans les jurisprudences (les décisions de justice) et la doctrine (les articles écrits par des expert.e.s du droit) qu’on les retrouve.
Il n’existe donc, à ma connaissance, aucune définition légale de l’abus sexuel.
Conclusion
Cessons de parler d’abus. Nommons les choses par leur nom.
Viol. Agression sexuelle. Crime. Pédocriminalité. Inceste.
Notre langue regorgent de mots autrement plus adéquats pour nommer ce fléau.
Miriam Ben Jattou
Très intéressant très juste très clair en ce qui concerne l expressions abus sexuels et son ethymologie latine très surprenant aussi qu en a son usage puisque totalement inapproprié comme quoi la sémantique les mots reservent quelques surprises parfois souvent mm quand a leur origine et l usage commun qu on peut en faire et dans ce cas spécifique concernant la sexualité qui est très clair
A ce qu il me semble ce terme est utilisé en matière juridique abus de confiance abus de biens sociaux abus de faiblesse peut on considèrer sinon est propriétaires de la confiance des biens sociaux ou de la faiblesse d une personne pour autant ????
Pour ce qui est de la New langue pour moi c est une grave atteinte au ‘niveau psychologique et emmotionelke une dérive du langage très dangereuse
Article limpide qui inspire une conclusion brutale.
Une grande partie de notre population souffre de phobie sexuelle.
Notre corps n’est pas un sexe!