En ce début de semaine plus que militante s’est tenu au Citizen Corner à Bruxelles (Schaerbeek) un colloque international féministe sur un évènement bien trop peu connu : le Tribunal International des crimes contre les femmes de 1976.
Aboutissement d’un travail de plus d’un an et demi et organisé par Milène Le Goff, chargée de projets à l’Université des femmes, le colloque s’est déroulé sur trois jours et a accueilli une quinzaine d’intervenantes féministes d’horizons différents. Toutes plus intéressantes les unes que les autres !
Une partie de l’équipe de Femmes de droit y était, et on n’a pas été déçues. Vraie bouffée d’air frais pour toutes les militantes présentes, ce colloque nous a fait comprendre une chose : l’importance de se réunir et de partager et discuter toutes ensemble !
Le colloque s’est voulu être un véritable lien entre le passé, le présent et le futur et s’est donc articulé de la sorte sur ces trois merveilleuses journées.
Qu’est-ce que le Tribunal International des Crimes contre les femmes de 1976 ?
The International Tribunal on Crimes Against Women est un événement qui a s’est déroulé du 4 au 8 mars 1976 au Palais des Congrès à Bruxelles et qui a réuni plus de 2000 femmes du monde entier. On note la présence de femmes de plus de 40 pays mais aussi de 46 organisations différentes.
Réponse claire aux objectifs fixés par l’Année Internationale de la Femme (1975), l’organisation de cette réunion internationale s’est voulue être une action tout aussi « radicale » que « constructive ». En effet, le recours à la notion de tribunal incite à voir les formes d’oppressions masculines comme des crimes contre les femmes.
Parce que le « privé est politique », une attention particulière est portée aux témoignages personnels. Au cours de ces quatre journées, on recensera 103 témoignages. Par ailleurs, des groupes de travail seront organisés comme par exemple, un groupe de travail sur la pornographie.
Le dernier jour se conclut sur des résolutions et propositions de changement.
Il y a différentes choses à retenir de cet événement. Tout d’abord, l’importance de la sororité internationale et de la création de liens féministes entre les pays. Ils sont une force et cet évènement en est la preuve : à l’époque où les réseaux sociaux n’existaient pas encore, elles ont réussi à se réunir et à organiser un évènement majeur de l’histoire du féminisme.
Par ailleurs, c’est lors de cet événement qu’est utilisé pour la première fois le terme « féminicide » par la sociologue et féministe sud-africaine Diana E.H. Russel. Les travaux de la doctorante à l’ENS de Lyon, Margot Giacinti, présente lors du colloque, nous montrent à quel point le Tribunal International des crimes contre les femmes de 1976 est considéré comme « l’acte de naissance collectif » du concept de « féminicide ».
Que s’est-il passé pendant ces trois journées de colloque ?
Dès le premier jour, le colloque a accueilli des féministes qui étaient présentes au Tribunal International de 1976 : Anne Tonglet, Nicole Van de Ven et Toby Gemperle Gilbert. Au cours de la première matinée, ces trois femmes nous ont raconté le tribunal dans toute sa grandeur, leurs souvenirs, leur expérience du tribunal. Moment rempli d’émotions, force est de constater que ces instants intergénérationnels sont d’une utilité majeure pour le développement et la compréhension de nos actions de lutte. L’après-midi s’est déroulé en table ronde autour de l’évolution des militances féministes depuis les années 1970. On a notamment eu l’occasion de rencontrer Françoise Tulkens, magistrate belge et ancienne juge et vice-présidente de la Cour européenne des droits de l’Homme (1998-2012).
La deuxième journée s’est déroulée autour de tables rondes portant sur le corps des femmes et sur les discriminations et les inégalités. De nouveau des doctorantes et intervenantes ont pu réagir sur des sujets plus qu’interpellant. Sarah Jean-Jacques, doctorante en sociologie à l’Université Paris-Diderot et co-fondatrice de l’Observatoire de la lesbophobie a notamment eu l’occasion d’évoquer la dimension spatiale des inégalités à l’intersection du genre et de la sexualité.
Enfin, le 8 mars, journée internationale de lutte pour les droits des femmes et dernier jour du colloque s’est de nouveau déroulé en table ronde, d’abord sur le sujet des femmes et de leurs droits en tant de guerres et de conflits. La journée a été introduite par Sarah Schlitz, Secrétaire d’Etat à l’Egalité des genres, à l’Egalité des Chances et de la Diversité. Nous avons eu la chance d’entendre la juriste internationale et fondatrice de la Fondation We are NOT Weapons of War, Céline Bardet ainsi que Dominique Deshayes, coordinatrice des droits des femmes à Amnesty International Belgique. Puis, la doctorante Margot Giacinti a évoqué les prémisses de la conceptualisation du féminicide lors du Tribunal International des crimes contre les femmes. L’après-midi s’est de nouveau déroulé en table ronde autour du futur des combats féministes. L’occasion d’entendre la blogueuse féministe Bettina Zourli sur l’utilisation des réseaux sociaux comme outils militants ou encore la militante et formatrice LGBTQIA+ antiraciste Aïda Yancy sur l’intersectionnalité dans les combats féministes.
Pour clôturer ces trois jours en beauté, on est allées défiler à la Marche Mondiale des Femmes à Bruxelles. Et c’était fantastique. Plus de 5000 personnes étaient présentes, il pleuvait mais ça chantait, ça dansait…Bref, un vrai moment de bonheur !
Ce qu’on retient de ces trois jours…
Tout d’abord, la joie ! Nous étions toutes contentes de pouvoir discuter, partager nos savoirs et nos expériences, en physique. Par ailleurs, on retient l’importance de la transmission des expériences et vécues de chacune : nous ne sommes pas les premières à avoir lutter et il est plus que nécessaire de le rappeler. Enfin, il nous a toutes donné la motivation de continuer à lutter pour un avenir meilleur, sans patriarcat et de garder en tête ces mots toujours aussi actuels de l’avocate féministe et femme politique franco-tunisienne, Gisèle Halimi : « Ne vous résigniez jamais ».
Quelques notes complémentaires…
On vous conseille vivement l’exposition sur le Tribunal International des crimes contre les femmes de 1976. Elle est traduite en anglais et se déroule du 6 au 16 mars 2023 de 10h à 19h au Citizen Corner à Bruxelles (Schaerbeek). Petit plus : elle est gratuite ! Raison de plus pour ne pas la louper, alors foncez-y !
Merci à Milène Le Goff, à l’Université des femmes qu’on a la chance d’avoir comme partenaires mais aussi à toutes les intervenantes. Des remerciements particuliers aux personnes qui ont contribué à l’organisation de quelque manière que ce soit, on a toutes été bien soignées et ça fait plaisir ! Et puis, merci à toutes les intervenantes grâce à qui on a continué d’apprendre davantage sur les questions féministes.
Juliette Lebatteur