En tant que féministe, j’ai toujours crié haut et fort que je soutiens et soutiendrai toutes les femmes. Qu’elles soient cis ou trans, hétéro ou queer, blanches ou racisées, femmes au foyer ou travailleuses du sexe, mères de famille ou célibataires sans enfant, riches ou pauvres, toutes les femmes subissent des oppressions et des violences parce qu’elles sont des femmes.
Cependant, depuis quelques temps, cette question de sororité inébranlable prônée par le mouvement féministe me pose question. Parce que certaines de ces femmes sont elles-mêmes du côté de l’oppresseur. Parce que certaines de ces femmes instrumentalisent notre cause pour servir leurs idéaux racistes, islamophobes, transphobes, homophobes ou putophobes. Parce que ces femmes elles-mêmes n’ont rien compris, selon moi, à la sororité et au féminisme. Parce que ces femmes passent leur temps à remettre en question les témoignages de victimes de comportements sexistes, au lieu de remettre en question ces comportements. Parce que ces femmes considèrent que, si elles ne sont pas victimes, ça veut dire que ça n’existe pas.
Je pense à ces femmes qui font partie de l’élite, et qui se disent féministes pour flatter l’opinion publique. Je pense à ces collectifs, qui s’auto-définissent comme féministes, mais qui ne relatent les féminicides – ou autres formes de violences – uniquement si l’auteur est un homme racisé. Ces mêmes collectifs, qui rencontrent avec fierté des membres de l’extrême droite pour lutter contre les violences faites aux femmes. Violences qui d’après eux, sont exclusivement le fruit de l’immigration. Je pense aussi à ces femmes, qui se cachent derrière la science pour affirmer qu’une femme est une personne qui a quatre lèvres entre les jambes. A celles qui remplacent une injonction par une autre, en forçant les femmes musulmanes à se dévoiler, sous couvert de lutte contre « la soumission ». Celles qui préfèrent couvrir leurs hommes que soutenir leurs sœurs. Celles qui estiment qu’un homme qui ne bat pas sa femme, c’est un héros.
Dans une moindre mesure, je pense à ces femmes qui considèrent que je vais trop loin, parce que je suis une féministe radicale. Celles qui n’ont rien déconstruit, parce qu’elles n’en ont pas envie ou pas le courage. Je tiens cependant à préciser que je comprends totalement que la déconstruction soit un processus long, lent et douloureux. Je comprends que certaines femmes choisissent de ne pas l’entamer, pour se protéger. Parce que la déconstruction fait souffrir, frustre, enrage. Néanmoins, je ne comprends pas pourquoi ces mêmes femmes me reprochent à moi de vouloir me battre pour nos droits, pour notre respect, pour notre sécurité, pour notre place. Je ne demande à personne de se mettre à militer publiquement. Je demande qu’on respecte celleux qui l’ont choisi.
Et puis je culpabilise. Je me dis que je devrais plutôt m’insurger contre le réel ennemi : la société patriarcale, au lieu d’être en colère contre des femmes qui devraient être mes sœurs. Est-ce que je me range du côté de l’oppresseur, en essayant de faire taire ces femmes qui prônent la violence et l’exclusion ? Est-ce que je « dessers ma cause », en dénonçant un discours produit par des femmes mais qui, selon moi, est extrêmement dangereux et ne renversera jamais l’ordre établi ? Suis-je en train de perdre du temps précieux en écrivant cet article, au lieu de lutter contre un « vrai » problème sexiste ?
Je ne sais pas. Voilà ce que j’en pense aujourd’hui. Je suis perdue entre toutes mes contradictions. Je suis sans réponse face à une situation qui me semble tellement dangereuse. J’ai peur d’assumer que ces femmes ne sont pas mes sœurs. Je suis en colère parce que notre cause est légitime et juste. Pourtant elle est décrédibilisée par des collectifs aux convictions scandaleuses qui, au lieu de s’opposer au système patriarcal qui prend toute la place, lui donne encore plus de poids et de pouvoir.
Toutes ces questions occupent mon esprit pendant de longs moments. Elles me font peur, elles me mettent en colère, elles me donnent envie de m’enterrer au fond de mon lit et de pleurer. Mais elles me donnent aussi envie de me battre encore plus.
Alors à toutes ces femmes, voilà tout ce que je veux dire. Les femmes transgenres sont des femmes. Les hommes blancs violent – en masse – aussi. Les femmes voilées sont aussi féministes. Le travail du sexe est un travail. Le système est pourri. Les femmes sont soumises, partout dans le monde, par les injonctions à la beauté, à la maternité, au silence, à l’adaptation à ce qui les entoure. Nous n’avons pas besoin de vos discours oppressifs dans notre lutte. Nous n’avons pas besoin de votre haine de l’autre pour légitimer notre combat. Ouvrez-les yeux sur les réels problèmes sexistes. Fermez vos bouches si vous refusez de les comprendre. Femmes oppressives, vous n’êtes pas mes sœurs.
Manon L’Hoir