À propos du long métrage Dalva

Introduction

Le mardi 28 mars 2023, l’Université des Femmes et  Femmes de droit ont assisté à la projection du long métrage Dalva  au cinéma Vandom de Bruxelles. Réalisé par Emmanuelle Nicot, il met en scène le parcours d’une jeune fille prénommée Dalva, victime d’inceste par son père, et tentant de vaincre son emprise.

Suite au visionnage de celui-ci, Valérie Lootvoet et Mirim Ben Jattou sont intervenues pour répondre aux questions des personnes présentes dans la salle, en y apportant une analyse juridique et sociologique.  

Ledit long métrage franco-belge a été présenté au festival de Canne. Il a remporté les prix FIPRESCI et du Rail d’or.

Par la porte du cinéma, Emmanuelle Nicot exprime un message de sensibilisation aux violences incestueuses. Riche tant d’un point vu sociologique que juridique, ce long métrage aborde un sujet bien souvent oublié de nos débats publics. Lutter contre l’inceste, c’est rendre compte de l’existence de ces crimes dans notre société.

C’est ainsi que nous avons décidé de revenir sur ce long métrage et sur les thématiques qu’ils portent. Il s’agira aussi de démontrer que la réalisation d’œuvres cinématographiques permet de lutter contre la volonté sociétale de taire la problématique de l’inceste de la scène publique.

L’inceste, fruit du masculinisme et du patriarcat

Dans ce film, l’inceste, c’est le crime orchestré par un père, dont la victime est Dalva. C’est la séparation avec la mére de Dalva, à l’origine du comportement incestueux de son pére. Mais comment l’expliquer ?

Dès les premières minutes du long métrage on remarque la volonté du père d’instrumentaliser Dalva comme une femme de substitution, transformée par des artifices (coloration de cheveux, maquillage, vêtements…). Une ressemblance frappante apparaît alors entre le physique de la mère et celui de Dalva.

Il s’agit ici de comprendre que le père de Dalva n’agit pas dans un contexte de pulsions pédophiles. L’enlèvement et l’inceste qu’il fait subir à sa fille est marqué par sa volonté de dominer la femme en général, et Dalva plus particulièrement.

L’inceste est l’une des conséquences de notre société patriarcale, dans laquelle les hommes apprennent rapidement à dominer. Et notamment : les femmes et les enfants. C’est le continuum des violences sexuelles qui incarne les crimes incestueux des hommes. Un continuum caractérisé par la domination des minorités par les hommes.

Dans le cadre du long métrage, on constate une domination du père sur son enfant, mais aussi sur son ex-conjointe. L’inceste est une façon pour le père de dominer Dalva, de faire sienne cette jeune enfant. L’enfant est ainsi considérée comme un prolongement de lui-même. S’ajoute à cette domination parent/ enfant, le continuum de violences genrées. Cette petite fille est d’ailleurs non seulement dominée sexuellement, mais aussi socialement, ne pouvant sortir de l’appartement familial, privée d’enseignements et de relations sociales nécessaires à son développement. D’un point de vue comportemental, Dalva est aussi sous l’influence de son père. Sa façon de parler, de s’habiller, ses habitudes etc.. semblent motivées par la domination paternelle.

Une retranscription des conséquences de l’inceste sur l’enfant.

Au cours du film, nous assistons à l’évolution du personnage de Dalva. Puisque son âge n’est pas mentionné dans le film, il est frappant de constater à quel point l’estimer est difficile. En effet, elle paraît souvent en décalage avec les autres enfants de sa classe.

Dalva s’affirme déjà comme une femme. En témoignent sa coiffure, le choix de ses vêtements et son maquillage. En découvrant son personnage, on constate le fossé entre elle et les autres enfants. À mesure que le film avance, Dalva (ré)apprend à être une enfant, aidée par sa nouvelle amie du foyer, Samia.

L’hypersexualité et l’incapacité émotionnelle chez l’enfant

Chez l’enfant, l’hypersexualité peut se manifester par des comportements qui semblent en profond décalage avec son âge. Pouvant s’apparenter à une sexualité abusive, venant entraver son processus de développement, son propre rythme d’appropriation de la sexualité, ainsi que la construction de sa vie psychique.

Cette hypersexualité peut naître de plusieurs facteurs. Les plus fréquents étant le fait d’avoir été ou d’être victime d’inceste, ou d’avoir grandi ou de grandir dans un climat incestuel. Le climat incestuel n’est pas forcément synonyme de viol à caractère incestueux, mais expose l’enfant à des comportements, des images ou des propos non adaptés, violents et à connotation sexuelle, pouvant lui engendrer de lourds traumatismes.

Ainsi, bien qu’aucune certitude ne peut être garantie en la matière, certains comportements anormaux chez l’enfant peuvent être le signal que celui-ci est victime d’inceste.

De plus, cette hypersexualité caractérisée peut être la conséquence de traumatismes lourds, comme l’inceste qu’a vécu Dalva. En effet, enlevée et isolée depuis l’âge de cinq ans, elle n’a pu se construire que par le modèle de son père. Déscolarisée, elle n’a pas pu se comparer aux autres enfants de son âge.

En grandissant dans un climat incestuel, elle n’a jamais appris à dissocier l’amour d’un enfant envers son parent, de l’amour charnel. Elle est ainsi convaincue qu’elle doit accorder des faveurs sexuelles à son père pour lui montrer son amour, et réciproquement. Ce dernier lui a d’ailleurs appris à se méfier des autres hommes qu’il qualifie de prédateurs. C’est donc pour “protéger” Dalva d’hommes malintentionnés qu’il entretient avec sa fille des rapports sexuels, et lui apprend à “devenir une femme”.

Une fois placée en foyer, Dalva est fatalement confrontée à son passé et ses traumatismes. Doucement, elle parvient à se les approprier et à réaliser ce qu’elle a vécu. Puisqu’elle ne connaît aucune autre figure paternelle que son père incesteur, la jeune fille est convaincue que ce qu’elle vit est normal. Elle éprouve alors une immense colère envers la justice qui l’a enlevée et placée en foyer, ainsi qu’envers ses éducateurs.

Ses comportements déviants se manifestent notamment par une forme d’hypersexualité, à la fois intégrée dans l’image qu’elle a d’elle-même, et l’apparence qu’elle aime se donner. Face aux adultes, elle est persuadée que l’affection qu’elle éprouve à leur égard doit se traduire par des avances, et inversement. Le film témoigne de la difficulté qu’ont les adultes qui entourent Dalva, et notamment Jayden son éducateur, à réagir à ses comportements. L’équipe de l’ASE, et un peu plus tard sa maman, vont donc à nouveau apprendre à la jeune fille à aimer et à être aimée.

Le rapport entre l’enfant incesté et le parent protecteur

Le long métrage d’Emmanuelle Nicot est une excellente représentation de la réalité très complexe des rapports entre l’enfant victime et l’adulte protecteur.

En effet, il est très fréquent que l’enfant prenne le parti du parent agresseur, et aille même jusqu’à éprouver de la colère à l’encontre de l’autre parent.

Séparée depuis très jeune de sa mère, Dalva a toujours été convaincue par son père incesteur que celle-ci les avait abandonnés. La manipulation affective et le développement de la colère envers le parent sain, est un mécanisme très fréquemment utilisé. Instrument de l’agresseur, puisqu’à force, l’enfant par lui-même, choisit de le protéger.

Le profil de l’incesteur

Parmi les incesteurs, qui sont en grande majorité des pères, se dessine un portrait type. Puisque l’inceste est une violence qui naît au sein d’un foyer, elle est à l’abri des regards extérieurs. Ainsi, l’agresseur n’a pas besoin de vivre caché. Il apparaît bien souvent aux yeux de tous comme un individu parfaitement lambda.

L’incesteur n’est donc pas, comme il est parfois décrit par l’imaginaire collectif, un homme monstrueux, voire atteint d’une pathologie ou d’un trouble. L’agresseur n’est pas un “simple” pédophile, mais est animé par des pulsions de domination. Il se satisfait par le pouvoir et l’autorité qu’il exerce sur sa victime.

Comme en témoigne le film, le père de Dalva mêle autorité, chantage affectif et manipulation. Il profite du fait qu’il soit la seule figure référente pour sa fille pour exercer sa domination.

Déconstruire sa réalité

Il est donc extrêmement difficile pour la victime de déconstruire une image ancrée en elle depuis si longtemps. En effet Dalva, comme beaucoup d’autres victimes, a grandi en étant persuadée que sa mère l’avait abandonnée. Elle a ainsi appris à développer rancœur et colère. Confrontées d’un coup à une réalité dure, le chemin est parfois long avant que les victimes ne réalisent quel parent leur veut véritablement du bien. 

À noter que bien qu’il soit possible que l’enfant victime n’ait pas immédiatement conscience du soutien du parent protecteur, savoir, même des années après qu’il a continué à se battre pour lui, est plus que bénéfique dans son processus de reconstruction.

Le regard de la société sur la victime incestée

Le rapport entre  la victime et la société est bien souvent difficile, mêlant incompréhensions, aprioris, jugements et processus de victimisation secondaire.

L’inceste aux yeux des enfants

Grand tabou de notre société, la plupart des enfants ne sont pas sensibilisés à la réalité de l’inceste. Ainsi, ils s’approprient et interprètent à leur manière ce qu’ils entendent et comprennent des faits divers. Diabolisé et parfois euphémisé par les adultes pour ne pas effrayer les enfants, l’image que ceux-ci ont de l’inceste peut en être fortement impactée.

À cela s’ajoute le très cruel côté “sans filtre” des enfants, qui peuvent être particulièrement blessants entre eux. La petite Dalva en fait les frais dans le long métrage, lorsqu’après s’être présentée, plusieurs camarades l’interpellent en lui demandant si elle a connaissance du père qui a enlevé sa fille pour la violer dans la ville où elle habite. C’est d’ailleurs la première fois que quelqu’un emploie le terme viol devant Dalva pour qualifier les agressions de son père. Cette confrontation si soudaine et si violente est vécue comme un traumatisme supplémentaire. Cela est alors trop difficile à gérer pour la jeune fille de douze ans, encore persuadée que son père lui veut du bien.

Quelque temps après Dalva est de nouveau confrontée au regard de ses camarades, lorsqu’au cours d’un jeu d’action ou vérité, une enfant trop curieuse, l’interroge sur la nature des rapports sexuels qu’elle a été forcée d’entretenir avec son père.

Le regard et le jugement des autres enfants est vécu comme une énième violence pour Dalva, qui se sent davantage déconnectée et différente de ses paires.

Ainsi, comme en témoigne le présent film, la peur qui gravite autour de l’inceste et qui est véhiculée par les parents, a bien souvent pour effet de provoquer chez les enfants peur, dégout, et rejet du différent.

L’inceste aux yeux des adultes

Le regard que portent les adultes sur l’inceste est autre. Parfois conscients de la triste réalité, ceux-ci la taisent volontairement. D’autres en revanche ne l’imaginent pas et n’y sont nullement sensibilisés, alimentant le tabou qui gravite autour.

Inconscients ou partisans du silence de l’inceste, de nombreux adultes ne croient pas les enfants lorsqu’ils dénoncent être victimes de violences sexuelles de la part d’un parent, ou d’un membre de la famille. Bien que réfutée par une immense majorité de scientifiques, la popularisation de la théorie de “l’aliénation parentale”, selon laquelle les mères invoqueraient de telles accusations en défaveur de leur compagnon, n’a pas aidé à conscientiser l’opinion populaire sur l’inceste.

Ainsi, ce déni généralisé a pour effet de victimiser une seconde fois les victimes : elles le sont des violences qu’elles ont subies et du silence, à la fois populaire et institutionnel.

Le long métrage témoigne du fossé entre le détachement des enfants face à l’inceste, lorsque ceux-ci en parlent de manière brutale et crue, et le profond malaise qu’il provoque chez les adultes.

L’action des services de protection de la jeunesse face à l’inceste.

Le long métrage Dalva rend visible l’action des services de protection de la jeunesse auprès des enfants victimes d’inceste.

Une présentation utopiste de l’action des travailleurs sociaux

Les institutions de protection de l’enfance étant confrontées à un manque de financement étatique tel, l’action des travailleurs sociaux ne peut être optimale. Conditionnant ceux-ci à ne pouvoir agir efficacement auprès de l’ensemble des enfants à leurs charge. Une sorte de reproduction sociale s’installe ainsi dans ces institutions. Une reproduction qui ne permet pas à l’enfant de sortir de cercle de violences et de précarité.

Cependant, le long métrage Dalva est une illustration presque utopiste de ce que devrait être la protection de l’enfance. Une protection de l’enfance sensibilisée à la problématique de l’inceste et qui accompagnerait l’enfant dans une émancipation totale. Tout cela dans un monde qui lui permetterait de se développer et d’avoir autant de chances que les enfants non victimes de violences intra-familiales.

Soulignons ainsi l’action de l’éducateur Jayden auprès de Dalva. Une action bénéfique, appropriée et respectueuse de son passé et des violences qu’elle a subies. Elle prend alors conscience que les agissements de son père ne sont pas la norme. Comprenant ainsi qu’un homme se doit d’être respectueux quand bien même il représenterait une figure d’autorité. C’est ce qui lui a permis de s’émanciper, en partie, des violences sexuelles orchestrées par son père. Dalva reprend ainsi sa place d’enfant dans la société. Elle est alors légitime de recevoir l’aide des adultes qui l’entourent et du cadre bienveillant des institutions.

Une présentation du quotidien des enfants en institutions

La vie au sein des dispositifs de protection de l’enfance présentée par le long métrage rend compte, de manière plus ou moins réaliste, du parcours des enfants placés. On remarque ainsi le temps d’adaptation et d’acclimatation dont un enfant a besoin pour opérer une rupture avec son cadre familial. Cependant, il n’en demeure pas moins que la vie en institution ne se passe pas toujours dans des conditions similaires. Bien souvent les enfants quittent les violences intra-familiales pour être confrontés à une énième violence :  la violence institutionnelle.

L’action des travailleurs sociaux présentée au sein de ce long métrage n’est sans doute pas à prendre comme une illustration actuelle des services de protection de l’enfance, mais plutôt comme une ouverture vers ce dont a besoin un enfant placé en institution.

L’action des mouvements féministes face à l’inceste

Suite à la présentation du film Dalva, Miriam Ben Jattou et Valérie Lootvoet sont intervenues pour fournir une analyse aux téléspectateurs présents dans la salle. Ce que l’on retient de cette intervention est finalement le fait que l’inceste et le féminisme sont tout deux liés. Les militantes féministes ont à cœur de rendre la problématique de l’inceste visible aux yeux du public. Dès lors que l’on parle de féminisme et d’inceste, on constate une remise en question directe de l’intérêt porté par les féministes à ce crime. Celles-ci doivent ainsi justifier leurs actions dans ce domaine.

Pour autant, si l’on prend en considération l’histoire et le passé, on découvre que la prise en compte de l’inceste dans la politique publique a été permise grâce aux mouvements féministes.

En Europe, ce sont elles qui se sont intéressées à la question de l’inceste et qui ont milité pour sa prise en compte par les politiques. C’est en s’intéressant aux violences sexuelles et aux violences de genre, que ces militantes ont alors pris conscience de ce crime pourtant bien enfoui dans les mœurs européennes.

Les femmes ont considéré l’inceste dans le continuum de violences sexuelles et de violences de genre. Par cette affirmation, on peut justifiuer l’action des militantes.

Herman Judith a d’ailleurs souligné que l’inceste n’est “ni plus ni moins que le point extrême d’un continuum – une exagération des normes familiales patriarcales, et non quelque chose qui s’en départit”[1].

Il est aussi nécessaire de prendre conscience que les institutions de protection de l’enfance ne sont pas pionnières en la matière. Ce qui est paradoxal puisque les victimes d’inceste sont majoritairement des enfants et que les institutions de protection de l’enfance interviennent directement auprès de ceux-ci. Pour autant, aucun diagnostic n’a été posé à l’époque. En effet, les intervenants sociaux concentraient leurs actions en direction des victimes directes des violences intra-familiales : les femmes. L’action politique féministe apparaît nécessaire en matière d’inceste et de prise en compte de l’enfant comme victime des violences intra-familiales.

La politisation de l’inceste a permis d’inscrire cette problématique dans le champ d’action des services de protection de l’enfance.

Des services qui nient totalement le lien entre les violences patriarcales et l’inceste, passant ainsi sous silence l’intégralité de la réflexion féministe. Lutter contre l’inceste et protéger l’enfant sans prendre en considération la domination patriarcale qui entoure la relation parent/enfant, provoque l’échec de la protection de l’enfance. Quand bien même des petits garçons sont aussi victimes de violences sexuelles, et que les auteurs d’inceste sont aussi, parfois, des femmes, il n’en demeure pas moins que les violences infantiles prennent source dans l’idéologie patriarcale et masculiniste.

Aujourd’hui, on constate que les militantes féministes ont été largement dépossédées du combat contre l’inceste. Un combat qui a finalement été livré aux institutions et aux politiques de protection de l’enfance. Celles-ci étant largement soumises aux financements et aux politiques d’états et par conséquent, à leurs restrictions. Elle ne peuvent ainsi intervenir efficacement pour protéger l’enfant.

Jeanne Salliou et Océane Kerisit


[1]Father- Daughter Incest, 1981, Herman Judith L,

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