L’affaire Pierre Palmade : Quelles incidences au regard de la loi ?

Nous avons choisi d’écrire, à propos de cette affaire, un article permettant une analyse juridique des faits et de leurs conséquences, que nous avons mis en lien avec des problématiques qui divisent la doctrine et les tribunaux.

Cette étude n’a pas gage de complétude. Elle ne permet pas de rendre un jugement prématuré. Mais elle fait état, au regard du droit positif, des enjeux de l’affaire. Toutefois, il ne s’agit pas de rebondir sur des faits médiatisés, en profitant de sa polémique.

Nos pensées vont ainsi aux victimes et leur famille.

Petit retour sur les faits

Le 10 février 2023, l’humoriste Pierre Palmade, sous l’emprise de cocaïne, a provoqué un terrible accident de voiture, sur une départementale de Seine-et-Marne. C’est en sortant de sa voie qu’il a percuté un véhicule arrivant de face. Puis, un troisième véhicule  a heurté violemment le second. Quatre personnes ont été blessées, dont une femme enceinte, qui a perdu son enfant à naître.

Une autopsie a révélé que le fœtus était vivant et viable au moment de sa naissance, entraînant la responsabilité pénale de l’auteur de sa mort, et mettant ainsi fin au questionnement autour de la notion du statut du fœtus. Cette affaire tendait, par sa gravité, à remettre en cause une jurisprudence française vieille de vingt ans. 

Ainsi, le problème à nouveau soulevé par l’actualité, est celui de l’impact considérable qu’aurait la reconnaissance d’un statut au fœtus sur le droit à l’avortement. Autour de ce débat,  gravitent donc des incompréhensions et des ambiguïtés liées à l’absence d’un consensus européen sur les définitions du début de la vie, et de la notion de personne.

Au regard de l’application du droit en vigueur par la Cour européenne des droits humains (CEDH), on pourrait considérer que la notion de droit à la vie varie au gré des différents milieux culturels. Toutefois, la prise en considération de la diversité culturelle de tous les États, a fait renaître l’éternel débat quant à l’universalité des droits humains, tout-à-fait pertinent dans le contexte de mondialisation des droits humains. 

Le fœtus peut-il être considéré comme une personne pouvant bénéficier du droit à la vie ? 

À cette question controversée, trois thèses s’affrontent : 

  • La première défend que l’enfant à naître est une personne juridique dotée de la même protection juridique que les individus nés vivants et viables ;
  • A contrario, la deuxième soutient le contraire et affirme que l’enfant à naître n’est pas une personne et n’a donc droit à aucune reconnaissance, ni protection juridique ;
  • Enfin, la troisième soutient que l’enfant à naître est bien une personne juridique, mais dont les droits sont atténués.

Ainsi présentées, ces divergences rendent flous la nature et le statut juridique du fœtus, allant jusqu’à rendre incertain le fondement juridique de l’avortement. 

Certaines pratiques communes à certains des États-membres se distinguent tout de même. Ainsi, nombreuses sont les législations qui s’entendent sur le fait que la personnalité juridique ne prendra effet qu’à la naissance, à condition que l’enfant naisse vivant et viable. Avant cela, l’enfant à naître n’a donc aucune personnalité juridique autonome par rapport à celle de la femme enceinte.  Les intérêts de l’enfant sont tout de même protégés par certaines mesures, bien qu’ils ne peuvent  s’imposer comme des droits sanctionnables. Ainsi, aucune plainte ne peut être reçue pour une atteinte subie in utero.

Le statut juridique du fœtus au niveau européen

L’article 2 de la Convention européenne des droits humains affirme que « le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi ». Il est considéré comme le premier droit substantiel octroyé par la Convention et comme le « droit suprême de l’être humain », ainsi que « la condition d’exercice de tous les autres ». 

Celui-ci dispose que : 

  1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi. 
  2. La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire :
  • pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;
  • pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue ; 
  • pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection.

L’article énonce deux éléments fondamentaux : l’obligation générale de protéger la vie par la loi et l’interdiction de donner la mort volontairement. 

Ainsi de cette obligation européenne, naît une problématique : Le foetus est-il soumis à la protection accordée à « toute personne » par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme ? 

Cette interrogation est source de grandes réflexions au sein de la Cour de justice de l’Union Européenne, mais aussi au sein des États-membres. 

Que dit la Cour de justice de l’Union européenne à ce sujet ? 

Puisque l’article 2 ne définit véritablement ni le terme « vie » et ni celui de « droit à la vie », bien qu’essentiels à l’interprétation de ses dispositions, la Cour de justice de l’Union Européenne est souvent consultée sous forme de questions préjudicielles par les États-membres, pour statuer quant à la reconnaissance ou non d’un statut juridique à l’enfant à naître.

Ainsi, la véritable problématique est de déterminer qui est la « personne » dont la « vie » est protégée par l’article 2.

La Convention d’Oviedo sur les droits de l’homme et de la biomédecine[1] ne donne aucune définition de l’être humain, ne permettant aucun consensus européen sur la définition de l’humain et de sa protection. Ainsi, puisque le fœtus n’est pas véritablement considéré comme bénéficiaire du droit à la protection, sa reconnaissance est soumise à l’appréciation des États-membres. 

Le refus de la Cour de justice de l’Union Européenne de reconnaître un statut juridique au fœtus 

La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme n’admet aucun statut juridique au foetus, mais lui reconnaît tout de même parfois une forme de protection.

Ce fut le cas dans l’affaire Sayan c/ Turquie[2], en date du 11 octobre 2016, dans laquelle la CEDH a admis une protection au fœtus en lien avec celle du droit à la vie de la mère.

En l’espèce, une ressortissante turque enceinte de 9 mois est décédée aux urgences à la suite de difficultés respiratoires. Une césarienne a alors été effectuée d’urgence, mais l’enfant, vivant lors d’un contrôle médical quelques heures auparavant, est mort-né.

Son mari et ses trois filles saisirent alors la CEDH, affirmant que l’État turc n’avait pas satisfait à son obligation positive de protéger le droit à la vie tant de la femme que de l’enfant à naître, en vertu de l’article 2 de la Convention.

À cela, la Cour rappelle et réitère la jurisprudence de son arrêt Vo c/ France[3], et affirme ainsi que :

« en l’absence d’un consensus européen sur la définition scientifique et juridique des débuts de la vie, le point de départ du droit à la vie relevait de la marge d’appréciation que la Cour estime généralement devoir être reconnue aux États dans ce domaine. La Grande Chambre a ainsi estimé qu’il n’est ni souhaitable, ni même possible actuellement de répondre dans l’abstrait à la question de savoir si l’enfant à naître est une « personne » au sens de l’article 2 de la Convention ».   

Puis, elle considère que « la vie du foetus en question était intimement liée à celle de [la mère] et dépendait des soins prodigués à celle-ci ». La Cour se prononce alors sur les faits, en liant le droit à la vie de la mère et le droit à la vie de l’enfant à naitre.

Les juges européens ne donnent ainsi pas de réponse quant à la reconnaissance d’un statut juridique du fœtus, qui possède partiellement un droit à la protection mais ne dépendant pas véritablement de sa propre existence. Il bénéficie seulement d’un droit sous le couvert de sa mère.

Quand commence et où s’arrête la vie humaine ? 

L’absence de définition du mot « vie » a également un impact sur la définition du mot « personne », ce qui contraint les juristes à se référer à l’appréciation de la doctrine. L’absence de définition du terme « droit à la vie », a, quant à elle, une forte incidence sur son encadrement.

De nombreuses interrogations divisent alors la doctrine, et notamment autour du point de départ de la vie, puisque ni la science, ni la loi ne sont aptes à le définir. 

L’existentialisme[4] du philosophe Jean-Paul Sartre, qui considère que « l’existence  précède l’essence », et donc que l’homme existe d’abord et se définit après, est ainsi remis en cause par la Cour.

Malgré tout, la Cour continue de refuser de se prononcer sur l’application du droit à la vie au fœtus, affirmant néanmoins que les dispositions de l’article 2 ne peuvent être interprétées comme applicables à celui-ci, puisqu’il concerne uniquement la vie des personnes déjà nées vivantes. 

Elle considère également que l’application de l’article 2 au fœtus viendrait le placer, lui et sa mère, sur un même pied d’égalité.

Ainsi, privilégier la protection du droit à la vie du fœtus aurait pour effet de contraindre la protection et les droits octroyés à la mère. 

Cette position entraînerait par ricochet un retour en arrière considérable, à la fois social et historique, et remettrait en cause une partie des législations internes en vigueur des États-membres. 

Une fois de plus confrontée au silence des textes, la Cour renvoie par conséquent ces questions aux juridictions internes.

La large marge d’appréciation laissée aux États-membres

Parmi les affaires portées jusqu’à la Cour Européenne, un grand nombre d’entre elles ont fait référence à des spécificités culturelles des États-parties, et auxquelles les juges ont laissé place à une « marge nationale dappréciation »

Cette marge d’appréciation naît donc de l’absence de consensus des États membres de l’Union, et notamment ici, sur le statut octroyé au fœtus. Puisque fondamental et point de départ d’un ensemble d’autres droits, il représente de lourds enjeux. 

Le cruel manque de définitions

Des divergences autour de cette problématique apparaissent également en raison de l’absence d’harmonisation de termes et de définition. Ainsi, « l’enfant à naître » n’est défini nulle part dans la Convention Européenne, et les termes « fœtus », « enfant conçu », et même « embryon », sont employés synonymement voire maladroitement. 

Puis, s’ajoute à ces disparités, la complexité juridique du sort de l’enfant à naître. En effet, il est depuis le droit romain considéré comme une forme de fiction juridique, faisant de lui un être humain à la fois inexistant juridiquement, faute de personnalité juridique, mais également apte à acquérir certains droits. Puis, une fois né, sa personnalité juridique agira rétroactivement, sous réserve de vie et de viabilité. 

Ainsi, face à une telle division, les juges de Strasbourg ont toujours préféré éviter de se prononcer sur le statut juridique de l’enfant à naître, et sur la possibilité ou non de lui octroyer le droit à la vie au sens de l’article 2 de la Convention, en renvoyant systématiquement ces questions à la marge nationale d’appréciation. 

Sur des problématiques sensibles liées à l’humain, ce sont souvent des arguments d’ordre moral ou religieux qui sont avancés, et qui rendent l’unification des États difficile. 

La mainmise laissée par la Cour européenne aux États-membres

C’est en l’absence de droit conventionnel à l’avortement, que la Cour européenne des droits de l’homme s’efface, pour laisser sa place aux valeurs morales et culturelles des États, jugées prépondérantes. 

Une partie de la doctrine s’accorde ainsi pour dire que la marge d’appréciation est l’outil permettant le respect du pluralisme européen, caractéristique de son système juridique. La Cour apparaît alors seulement comme un organe subsidiaire. 

Le droit à la vie de l’enfant à naître et le droit à la vie de la femme enceinte, sont donc en conflit perpétuel, et n’ont pas le même poids, selon les prismes culturels internes de chaque État. Cette situation fait donc naître des débats incessants sur le droit à l’avortement, tantôt en faveur des droits de la femme et de l’être vivant, tantôt en faveur des droits de l’enfant à naître.

La position jurisprudentielle constante : une position en faveur des droits de la femme enceinte

En l’absence de consensus européen sur la situation juridique de l’enfant à naître, la Cour européenne des droits humains ne souhaite pas se positionner. Elle fait ainsi peser la charge de cette appréciation aux États-membres. 

La Cour fait donc application du postulat selon lequel l’expression « toute personne » figurant à l’article 2 de la Convention Européenne « tendait à étayer la thèse qu’elle ne s’appliquait pas au fœtus ».

Elle affirme alors que :

« La vie du fœtus est intimement liée à la vie de la femme qui le porte et ne saurait être considérée isolément. Si l’on déclarait que la portée de l’article 2 s’étend au fœtus et que la protection accordée par cet article devait, en l’absence de limitation expresse, être considérée comme absolue, il faudrait en déduire qu’un avortement est interdit, même lorsque la poursuite de la grossesse mettrait gravement en danger la vie de la future mère. Cela signifierait que « la vie à naître » du fœtus serait considérée comme plus précieuse que celle de la femme enceinte ».

Deux droits sont ainsi mis en balance : le droit à la vie de l’enfant à naître, d’une part, et le droit à la vie ou le droit à l’autonomie et au développement personnel de la femme enceinte, d’une autre. 

Ainsi, la Cour penche davantage vers une position médiane, qui protège la potentialité du fœtus et sa capacité à devenir une personne au nom de la dignité humaine, sans pour autant en faire une personne qui aurait un droit à la vie au sens de l’article 2 de la Convention. 

Une application presque homogène en Europe

En Europe, trente-neuf États-membres du Conseil de l’Europe s’alignent quant à la possibilité pour les femmes de mettre un terme à leurs grossesses, selon certaines conditions.

Néanmoins, certains États tels que Andorre, l’Irlande, le Liechtenstein, Malte, la Pologne, et Saint-Martin, n’ont pas suivi la même direction, et appliquent encore une réglementation encore très sévère.

Le statut juridique du fœtus en France

Le refus de la France de reconnaître un statut juridique au fœtus  

En France, les institutions connaissent un large contentieux lié à la reconnaissance d’un statut juridique à l’enfant, et notamment, autour de la notion d’homicide involontaire. 

L’homicide involontaire est une infraction punie par le Code pénal, en son article 221-6, qui dispose que :

« Le fait de causer, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements, la mort d’autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 F d’amende ».

Ces dispositions sont en adéquation avec celles de l’article 2 de la Convention des droits humains, qui imposent aux États-membres de l’Union européenne de protéger le droit à la vie des personnes. 

S’agissant du statut de la personnalité juridique, lorsqu’une personne physique en est titulaire,  en découle alors automatiquement son droit à la protection. Elle est octroyée à la naissance, à condition que l’enfant naisse vivant et viable.

Mais qu’en est-il du fœtus ? 

En droit, le fœtus ne détient pas de personnalité juridique. Il ne peut donc pas bénéficier du droit à la vie. C’est notamment la garantie de ce postulat qui permet le droit à l’avortement. 

Malgré cela, les tribunaux français ont eu de nombreuses fois à trancher sur l’application de l’article 221-6 du Code pénal dans le cas de la mort d’un fœtus à naître. La tendance jurisprudentielle étant de considérer que l’enfant à naître ne possède aucun statut juridique. 

Une reconnaissance paradoxale du statut juridique du foetus 

Par la loi du 6 décembre 2021, le législateur a confirmé le droit d’inscrire un enfant né sans vie dans le livret de famille de ses parents. Toutefois, la circulaire de 2009 qui avait largement confirmé ce droit, excluait l’inscription d’un nom ou d’un prénom sur de ce même acte. Cette nouvelle loi de 2021 l’envisage désormais, pour permettre une reconnaissance sociale totale de l’enfant né sans vie, et faciliter ainsi le deuil des parents. 

Néanmoins, puisque l’attribution d’un nom et d’un prénom peuvent prêter à confusion avec l’octroi d’une personnalité juridique, l’ancienne disposition permettait d’exclure tout doute.

Cependant, le législateur affirme que cette inscription n’emporte aucun effet juridique, bien que ce postulat demeure fragile, puisque certains militants contre l’interruption volontaire de grossesse, utilisent cette inscription pour confirmer leurs propos. 

Le statut du foetus en Belgique

En Belgique, le droit n’accorde pas la personnalité juridique au fœtus. Ce statut correspond à l’aptitude à être sujet de droit, et est accordé aux enfants né vivant et viable. Par définition, il est donc refusé au fœtus. 

Toutefois, des droits lui sont accordés dans certaines situations : il peut notamment s’agir des cas où la viabilité de celui-ci n’a pas été suffisante pour assurer la fin de son développement, la mère ayant accouché d’un enfant mort in utero. 

Par la loi du 18 juin 2018, entrée en vigueur le 31 mars 2019, le législateur a modifié et étendu les réglementations relatives aux enfants sans vie.

Deux situations sont alors distinguées : 

  • S’agissant des grossesses ayant duré plus de 180 jours, les parents ont obligation d’enregistrer l’acte d’enfant sans vie. Ils peuvent également souhaiter que l’on attribue un nom de famille à l’enfant.  Néanmoins, cette attribution ne crée aucun lien de filiation entre le foetus et les parents. 
  • S’agissant des grossesses ayant duré plus de 140 jours et moins de 179 jours, ils peuvent faire ou non le choix d’enregistrer l’acte d’enfant sans vie. Seule l’attribution d’un prénom est possible. 

L’acte d’enfant sans vie peut ainsi être établi lorsque le fœtus ne présente aucun signe de vie à l’accouchement, ou avant celui-ci.

Il peut être demandé à l’initiative de la mère, de la personne mariée ou ayant fait une reconnaissance prénatale, ou par la personne non mariée et n’ayant pas reconnu l’enfant, à la condition qu’elle ait eu l’autorisation de la mère.

Selon l’article 59 du Code civil, l’acte d’enfant sans vie fait état de :

  • la date, le lieu, l’heure et le sexe du fœtus ;
  • la durée de la grossesse de la femme ;
  • le nom, les prénoms, la date de naissance et le lieu de naissance de la mère ;
  • les mêmes informations concernant la personne qui est marié.e avec la mère, ou a fait une reconnaissance prénatale, ou la personne qui n’est pas mariée ou qui n’a pas effectué de reconnaissance prénatale mais qui a l’accord de la mère ;
  • les prénoms de l’enfant si les parents le demandent.

Ainsi, le facteur qui distingue le fœtus de l’enfant est son caractère vivant et viable. Cependant, confusions et idées conservatrices viennent menacer cette distinction, et par ricochet, mettre en danger certains droits accordés aux femmes.

La reconnaissance d’un statut au fœtus, une menace pour l’IVG ? 

Ces récentes modifications de la loi ont ouvert une réelle brèche juridique, venant mettre en danger le droit des femmes, et notamment celui à l’IVG. 

En droit, la naissance de l’enfant constitue le point de départ de sa personnalité juridique à condition que celui-ci naisse vivant et viable. Ce sont ces deux éléments qui déclenchent automatiquement la rétroactivité de la personnalité juridique au jour de sa conception. 

À contrario, en reconnaissant le fait qu’un fœtus né sans vie est un enfant mort-né, cela implique que le fœtus in utero et non né est aussi un enfant. Cette qualification n’est pas anodine, puisqu’elle impliquerait que l’avortement tardif d’un fœtus pourrait être considéré comme le meurtre d’un enfant à naître. 

Ce statut d’enfant sans vie va de paire avec le mécanisme de reconnaissance anténatale qui constitue lui aussi une sérieuse menace, à la fois sur le libre recours à l’IVG, ainsi que sur celui à la PMA. 

La question de l’avortement divise ainsi la doctrine et la jurisprudence, puisque intrinsèquement liée à celle du droit à la vie.

Celui-ci s’inscrivant dans le principe de la dignité humaine, et tantôt considéré comme constituante des droits humains, ou tantôt des droits fondamentaux, il fait l’objet d’une large protection.

Néanmoins, puisque la création du statut de l’enfant mort-né est une réponse à la demande des familles endeuillées, il nous paraît tout de même important d’en tenir compte, tout en veillant à ne pas compromettre le droit à l’IVG. 

Un ensemble de droit commun serait-il une solution ? 

Face à ce pluralisme juridico-culturel, les questions liées au statut du fœtus ne cessent de faire débat, aussi bien dans la jurisprudence interne qu’internationale. 

Puisque ni la médecine, ni la science et ni la loi ne permettent d’affirmer un consensus quant au moment permettant de déterminer le point de départ de la vie du fœtus, la main est laissée aux États. Toutefois, il est important de souligner que l’article 2 de la Convention européenne ne protège pas le droit à la vie du fœtus en qualité de personne. 

Il semble néanmoins souhaitable d’envisager un ensemble de droit commun, en réponse aux nouveaux besoins liés à la mondialisation du monde juridique. Ainsi, le devenir de la question devra trouver sa place, sans bousculer le fragile équilibre qui lie la conception du droit en tant qu’ensemble de normes, ou ensemble de valeurs. 

La reconnaissance d’un statut juridique au foetus serait-elle un instrument pour mettre fin à une partie des dominations sur le corps de la femme ? 

Comme il a été souligné supra, reconnaître un statut juridique à un fœtus viendrait admettre qu’il est un sujet de droit ayant une personnalité juridique. L’article 2 de la Convention européenne des droits humains lui serait alors applicable, et lui octroierait une protection à la fois internationale, européenne et nationale. Considéré comme une personne, il ne pourrait être soumis à un contrat, ou faire l’objet d’un contrat.

S’agissant d’un principe européen, cet ancien postulat a succédé à l’abolition de l’esclavage. 

Que deviendrait la gestation pour autrui face à cette reconnaissance ? 

La gestation pour autrui est l’acte par lequel des parents de substitution contractualisent auprès d’une mère « porteuse », l’enfantement d’un nourrisson puis sa donation lors de sa naissance. 

Le contrat repose sur le fait que la mère porteuse doit respecter tout au long de sa grossesse une routine particulière, pour ne pas risquer de compromettre la santé future de l’enfant. Certains parlent même d’enfant « défaillant ».

Ce terme est lourd, mais rempli de sens, puisqu’il signifie que l’embryon puis le fœtus sont considérés comme une chose tout au long de la grossesse de la femme. Ensuite, l’enfant sera, au moment de l’échange, de nouveau considéré comme telle, puisque la donation est contractualisée.

Au delà de la marchandisation du corps de la femme, qui semble parfois banalisée par le législateur, se pose une problématique annexe autour de l’enfant à naître : dans le cas où l’on viendrait à reconnaître un statut juridique au fœtus et par conséquent une protection, que deviendrait la GPA ?

En outre, puisque le fœtus serait considéré comme une personne, il serait impossible qu’il fasse l’objet d’un contrat. Il pourrait s’agir d’une situation envisageable, qu’il faut toute fois nuancer, les femmes étant constamment soumises aux dominations patriarcales du système en place.

Ainsi, le refus des législateurs de reconnaître un statut juridique au fœtus, pourrait se traduire par le besoin de continuer à permettre la GPA, et par conséquent, la monétisation du corps de la femme. Un droit qui domine et précarise davantage les femmes. 

Océane Kerisit & Jeanne Salliou.


[1]Convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine, appelée Convention d’Oviedo. Signée le 4 avril 1997 et entrée en vigueur le 1er décembre 1999, elle est, dans le domaine biomédical, le seul instrument juridique contraignant international pour la protection des droits de l’homme.

[2] Affaire Sayan c/ Turquie, 11 octobre 2016. / Lien : file:///Users/ordinateurdejeanne/Downloads/doc-1554801216-15.pdf 

[3] Arrêt Vo c/ France, 8 juillet 2004 / Lien : file:///Users/ordinateurdejeanne/Downloads/doc-1554801302-30.pdf

[4] Philosophie qui place l’existence de l’homme au cœur de sa réflexion, et donnant la primauté à l’existence vécue et individuelle. L’homme est ainsi considéré comme un être unique et libre, responsable de ses actes et de son destin, ainsi que des valeurs qu’il décide d’adopter.



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