L’oppression gentille n’existe pas

Depuis que les mouvements de libération des groupes opprimés prennent de plus en plus de place dans la sphère publique, nous nous devons tou.te.s de remettre en question nos comportements, nos paroles, mais aussi les structures qui nous encadrent. Nous nous devons de comprendre d’où viennent les oppressions. Nous nous devons d’assumer que nous les avons intégrées. Nous nous devons de les comprendre afin de les déconstruire.

Sexisme, racisme, queerphobie, validisme, psychophobie, grossophobie : notre société en est empreinte. Notre société patriarcale a été créée par des hommes cis blancs, pour des hommes cis blancs, soucieux de tenir à l’écart tou.te.s celleux qui ne correspondent pas aux critères qu’ils ont eux-mêmes arbitrairement définis. La politique, l’économie, la culture, le social, tout est envisagé avec le même regard : celui de l’homme cis blanc. En résulte que nous, membres d’une société patriarcale, avons été élevé.e.s et socialisé.e.s par ces codes oppressifs.

Qu’est-ce que ça signifie ? Cela signifie que chacun.e d’entre nous, à un moment ou à un autre, a eu ou aura un comportement ou une parole problématique. Pour sortir de ce schéma exclusif, il faut entamer le processus de déconstruction. Celui qui consiste à reconnaître, par exemple, que les différences entre les genres ne sont pas innées mais bien construites socialement. Que la couleur de peau n’a aucune influence sur la capacité à travailler. Que l’orientation sexuelle ne définit pas l’activité sexuelle. Que la maternité n’est pas une obligation pour toutes les femmes. Que l’identité de genre n’est pas déterminée à la naissance. Qu’un homme n’est pas obligé d’être violent pour être respecté. Que nous n’avons aucune raison de nous écraser face à des discours qui veulent nous exclure de toute vie en collectivité.

Soyons tout de même honnête, la déconstruction c’est long. C’est lent. C’est souffrant. Ça demande de la patience, ça demande de s’instruire par soi-même, de chercher les informations dont on a besoin. Ça demande du recul et de la remise en question permanente. Ça demande aussi, et surtout, de la tolérance envers celleux qui n’en ont pas entamé le processus. Et c’est douloureux, parce que ça met en lumière des injustices qu’on vit au quotidien, mais qui jusque-là nous paraissaient tout à fait naturelles.

Cependant, cette difficulté ne peut pas servir d’excuses à la reproduction d’actes et de paroles problématiques.

En effet, depuis quelques mois, j’entends beaucoup parler de racisme ou de sexisme « ordinaire », « gentil » ou encore « maladroit ». Ce n’est, en apparence, pas violent. Il n’y aurait aucune mauvaise intention derrière, mais ça reste discriminant. Ces termes sont notamment utilisés pour caractériser les propos de personnes plus âgées, qu’on imagine trop « vieilles » pour être capable de comprendre qu’un geste ou un mot peut blesser. Ou justement les personnes jeunes, parce qu’elles le sont encore trop pour remettre tout ça en question.

Alors on abandonne, on en rigole, parce qu’au final, ce n’était rien de bien méchant. Et si quelqu’un l’a mal pris, c’est parce qu’iel n’a rien compris, on parce qu’iel ne connaissait pas assez bien son interlocuteur.rice. « C’était sûrement une blague, t’as mal compris » ; « je le connais il ne penserait jamais une chose pareille » ; « c’était dans un certain contexte, à l’époque tout le monde pensait comme ça » ; « t’exagères aussi tu prends tout mal » ; « on ne peut plus rien dire ».

Dans ce cadre, quelle place reste-t-il pour le ressenti de la personne visée par des propos problématiques ? Pourquoi l’intention prévaut sur le ressenti ? Est-ce que, parce qu’il n’y avait pas de « mauvaise intention », la victime ne peut plus légitimement être blessée ?

Un ressenti est toujours légitime. On ne peut pas le remettre en question. Les personnes dominées savent mieux que les non-concernées si un acte ou une parole est discriminante ou non. Elles savent mieux que personne si elles se sentent opprimées ou pas. Ce n’est pas à une personne blanche d’expliquer à une personne racisée ce qui est n’est pas raciste. Ce n’est pas à un homme d’expliquer à une femme ce qui n’est pas sexiste.

Il faut cesser de minimiser les conséquences d’un mot ou d’un geste. Un mot peut paraître anodin pour la personne qui le prononce, mais peut avoir des conséquences désastreuses à long terme, pour cellui qui le reçoit. D’ailleurs ça porte un nom, c’est ce qu’on appelle une micro-agression. Ce terme désigne des comportements ou des propos, d’apparence banale, mais qui sont le reflet de préjugés envers une communauté. Les micro-agressions ont pour conséquence de renforcer la marginalisation des groupes minorisés.

Quelqu’un qui vit constamment des micro-agressions ne va pas les percevoir de la même façon que quelqu’un qui en vit peu ou pas. Aussi, ce n’est pas parce qu’une personne, membre d’un groupe opprimé, n’est pas blessé par un mot ou est geste relevant de la micro-agression, que c’est valable pour toutes les personnes qui font partie de ce groupe. On a un peu trop tendance à croire que, parce que des individus partagent une appartenance à une communauté, cela signifie que ces individus partagent exactement les mêmes points de vue sur chaque sujet. Ce n’est absolument pas le cas. Pour exemple, certaines femmes n’ont aucun souci à ce qu’on utilise encore le terme « mademoiselle ». C’est leur choix. Personnellement, en tant que femme, j’en ai horreur et je le dis haut et fort quand quelqu’un utilise ce mot à mon encontre.

Si une personne vous dit qu’elle a été blessée par quelqu’un que vous connaissez, ne défendez pas ce quelqu’un. N’essayez pas de convaincre que c’était juste de la maladresse ou que ce n’était pas grand-chose. Écoutez la personne en face de vous, dites-lui que vous la croyez et que vous la soutenez.

De même, si on vous fait remarquer que vous avez dit ou fait quelque chose de blessant pour quelqu’un, n’essayez pas de vous justifier. N’essayez pas de lui dire qu’iel a mal compris ou qu’iel prend tout mal. Présentez vos excuses et essayez de comprendre afin d’éviter que cela ne se reproduise. Attention, les concerné.e.s ne vous doivent absolument rien en matière de pédagogie. Iels ne sont aucunement obligées de vous expliquer pourquoi vous avez été blessant.

Aujourd’hui, il existe une quantité énorme de ressources qui permettent de s’instruire sur le sujet de l’oppression. Les recherches ont été faites, l’éducation est disponible. Il suffit de prendre les devants et de chercher soi-même. Évitez d’attendre que ça vous tombe dessus, la proactivité est la meilleure des alliés.

Ce n’est pas à une victime d’ajuster ses ressentis selon la bonne volonté des gens qui l’entourent. C’est aux gens qui l’entourent d’adapter leur manière de faire et de parler à l’évolution de notre société. Une évolution marquée par le refus de toute forme de sexisme, de racisme, de queerphobie, de grossophobie et de toute autre oppression systémique, qu’elle soit intentionnellement blessante ou pas.

Parce que tant qu’on continuera à justifier des agressions, aussi minimes qu’elles puissent paraitre à nos yeux d’oppresseurs, on fera du sur place. Tant qu’on considèrera qu’il existe une hiérarchie dans les discriminations, on se placera du côté des dominants.

Il est temps de reconnaître que nous pouvons tous blesser, que nous pouvons tous nous rendre oppressifs, même sans les pires intentions. Cette absence d’intention ne définit pas l’intensité du ressenti de la personne visée. Rien ne définit cette intensité d’ailleurs, à part cellui qui ressent.

Éduquons-nous, ensemble. Apprenons de nos erreurs au lieu de les justifier. Partageons nos processus de déconstruction au lieu de les freiner. Soyons à l’écoute, en particulier des concerné.e.s.

Manon L’Hoir

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

X
Retour en haut