Les sites de rencontre

Outils de libération pour les femmes ou instruments patriarcaux de domination ?

Match.com, est un site de rencontre américain. Ce premier site de rencontre a vu le jour en 1995 via l’avènement des nouvelles technologies. Depuis, on a vu apparaître un large panel de sites de rencontre. Ces applications se démarquent plus ou moins les unes des autres. Mais toutes proclament l’objectif de permettre à des individus d’échanger, de se rencontrer,… Et de faciliter la création de relations de couple, de relations purement sexuelles,…

Ces plateformes peuvent paraître libératrices. En effet, elles permettent à des femmes et des hommes d’exprimer librement leurs envies en s’échappant de leurs cercles sociaux définis. Pour autant, des constats ont été rendus. Les applications de rencontre n’apparaissent finalement pas tant bénéfiques pour les utilisateurs et utilisatrices.

Comment envisager l’action des sites de rencontres, les relations qui en découlent, et les conséquences d’un marché libre aux relations amoureuses ?

Il s’agit ici, d’analyser les conséquences de ces application dans un cadre féministe.

Les sites de rencontre comme libérateur des envies des femmes

Échapper à son cercle social

Telle est l’expérience que revendiquent certaines femmes au sujet des sites de rencontre. Ces plateformes virtuelles apparaissent alors comme libératrices des pressions patriarcales de notre société sur les femmes. Ces dernières pourraient ainsi définir librement le type de relation qu’elles recherchent. Sans être soumises aux représentations sexistes. Avec une parole libératrice des envies et des besoins sexuels.

On reconnait ainsi que les femmes aussi, bénéficient d’envies sexuelles. Mais également que celles-ci ne sont pas seulement à visée reproductrice. « La femme » ne naît donc pas seulement pour se reproduire grâce à ses organes sexuels. Elle existe également comme bénéficiaire de besoins qui étaient, depuis longtemps, uniquement reconnus aux hommes. « Se sentir désirées et respectées. » Ce sont bel et bien les revendications des utilisatrices des sites de rencontre.

Politique féministe des sites de rencontre

L’application Adopte un mec s’est ainsi déclarée :

fière d’avoir contribué à ce que les femmes soient libres d’entreprendre les relations qu’elles souhaitent et puissent le revendiquer sans peur”.

Par ailleurs, certaines plateformes élaborent une véritable politique commerciale soi-disant féministe. Ainsi, elles inversent les codes de séduction. Elles offrent alors aux femmes la démarche de contacter en premier des hommes. Dès lors, ces dernières deviennent instigatrices de la démarche de séduction. Elles inversent ainsi le rôle sexiste de la « femme » séduite par un « homme » avenant. Par conséquent, ces applications prônent une nouvelle vision de la séduction. Elles déchargent alors les hommes de la pression du “premier message”.

Les applications de rencontre comme menace au féminisme

Les applications de rencontre se présentent comme fournissant un espace virtuel merveilleux dans lequel des adultes échangeraient en âme et conscience des messages. Ils entreraient donc ainsi dans un schéma de séduction.  Cependant, dès lors que l’on s’intéresse à la réalité des échanges, on se rend compte que la domination masculine est bien présente.

En vérité, les sites de rencontres renvoient une image d’émancipation féminine faussement révélatrice d’une égalité entre les sexes. Comme si les échanges n’étaient pas marqués par un rapport dominé/dominant.

Les sites de rencontres destinés soi-disant à donner la parole aux femmes et à ce qu’elles expriment leurs besoins/envies, ne sont en vérité, dans la plupart du temps, qu’instrumentalisés inconsciemment par les hommes pour assouvir leur domination sur les femmes.

Les agressions verbales et physiques facilitées par les sites de rencontre

Photos à caractère sexuel non consenties

Et c’est notamment le cas, lorsque l’on souligne le nombre de femmes utilisatrices qui témoignent avoir reçu des photos à caractère sexuel sans émettre un quelconque consentement. En effet, nous avons questionné, par le biais d’un sondage, les utilisatrices de ces applications de rencontre. La moitié d’entre elles avait au moins reçu une photo à caractère sexuel non désirée.

On remarque par ailleurs, que les femmes prennent l’habitude de recevoir ces photos. Elles bloquent alors systématiquement la personne concernée. Cela devient presque un réflexe, une habitude. Et cela entraîne une réaction quasilment automatique. Notamment dans une volonté de ne pas perdre du temps avec l’auteur de ces photos. Rares sont les femmes qui décident de répondre de manière soit agressive ou éducative auprès de ces hommes. Elles considèrent, en effet, que c’est une perte de temps. Une perte de temps, parce que les hommes remettent rarement en question leurs actions. Ils ne réfléchissent pas aux conséquences que celles-ci peuvent avoir sur les femmes.

Jeu de séduction ?

On remarque d’ailleurs que l’envoi de ces photos à caractère sexuel s’inscrit presque dans un jeu de séduction hétéronormé.

D’autant plus que cette pratique est banalisée. En effet, le consentement des femmes est rarement déduit au moment des faits. Concrètement, de nombreux hommes considèrent qu’une femme est consentante à cause de son comportement précédant les faits. Ainsi, l’inscription sur un site de rencontre est presque révélatrice, pour certains, du consentement des femmes à recevoir des photos sexuelles.

Par ailleurs, on observe que 70% des utilisateurs/utilisatrices de sites de rencontres continuent leurs échanges sur les réseaux sociaux[1]. Par conséquent, l’envoi de photos à caractère sexuel est facilité. L’échange de réseaux sociaux apparaît alors pour certains hommes, comme le signe du consentement des femmes à recevoir des messages ou des photos à caractère sexuel.

Rencontres traumatisantes

Les sites de rencontre et notamment les dates qui en découlent s’avèrent être, parfois, traumatisants pour les femmes. Puisque toujours dans une logique de consentement par les actes antérieurs, les femmes sont confrontées à des actions malveillantes. En effet, 15,5% des femmes affirment avoir été victimes d’actes dégradants ou irrespectueux lors d’un date organisé après un échange virtuel sur ces plateformes.

“Malheureusement, dans ces systèmes, les femmes se retrouvent toujours dans les situations les plus vulnérables, et peuvent rencontrer via les applications des hommes qui vont leur faire subir des violences sexistes, souvent avec l’impunité liée à l’anonymat et le côté officieux des relations “plan cul ».”*

“Le soucis c’est que ce jugement permet parfois à certains d’agir impunément et ça sous couvert de relations numériques en pensant qu’il n’y aura pas de répercussions derrière”*

Cette notion d’anonymat est aussi largement problématique, puisqu’en se plaçant dans une société où l’on normalise les agressions que subissent les femmes, parce qu’elles sont femmes, l’une des seules barrières qui persistent est celle de la connaissance de l’identité de l’auteur de l’agression. Et c’est ce que retirent les applications de rencontre. Ainsi, l’anonymat s’avère être un instrument de domination pour les hommes. Ces derniers ne sont alors pas soumis aux risques de voir leurs actions révélées publiquement. En effet, la victime, par méconnaissance de l’identité de l’agresseur, ne peut adopter une stratégie de dénonciation individuelle à l’égard de l’auteur des violences.

“La virtualité déshumanise aussi un peu et je pense que cela explique en partie qu’ils soient irrespectueux.”*

Il ne s’agit pas, par ce présent article, de diaboliser les applications de rencontre mais de rendre compte que les échanges qui y prennent place s’inscrivent dans une société où le consentement d’une femme est présumé.

Les sites de rencontres comme un miroir de la société vectrice de la sexualisation du corps de la femme

Jugé.e sur le physique

De nombreuses femmes, une majorité même, ont conscience du fait que les sites de rencontres influencent positivement la vision qu’elles portent sur leurs corps. En effet, le fonctionnement des sites de rencontre repose sur le corps et l’apparence comme premier critère de séduction. Dès lors qu’un.e utilisateur/utilisatrice reçoit un like sur son profil, il/elle a conscience que celui-ci est en vérité attribué à son physique.

“Le premier contact se fait avec quelqu’un qui nous a plu physiquement dans un premier temps. Évidemment on sait qu’on va être jugé.e.s et on le fait aussi en retour.”*

Le physique des utilisateurs/utilisatrices est donc censé être jugé et/ou sélectionné par d’autres utilisateurs/utilisatrices. A court terme, ce phénomène n’est pas véritablement problématique. Mais à long terme, il a été démontré que certaines personnes peuvent être confrontées à des séquelles dues à cette course au validisme physique.

Course au validisme

Lorsque l’on se place dans notre société critérielle du corps des femmes, on comprend rapidement que cette course au validisme physique est un moyen d’asservir les stéréotypes corporels de la silhouette des femmes par le biais de sites de rencontre.

Les hommes “croient que les femmes sont à leur disposition et le physique est un souci pour eux”*.

Il ne s’agit pas ici de juger les habitudes des femmes en tant qu’utilisatrices de ces sites. Cependant, il est important de prendre en considération le fait que les femmes prennent davantage de temps à contrôler l’image qu’elles renvoient, qu’à entrer dans une démarche de séduction.

Conséquences pour la confiance des femmes

On ne peut considérer que les sites de rencontre puissent être seulement bénéfiques ou négatifs pour la confiance des femmes. Les sites de rencontre permettent aux femmes, sous le couvert de l’anonymat, de s’exprimer et de ne rendre public qu’une partie de leur personnalité. Cela peut être véritablement libérateur et émancipateur pour les femmes.

“Le souci c’est que ce jugement permet parfois à certains d’agir impunément et ça sous couvert de relations numériques en pensant qu’il n’y aura pas de répercussions derrière.”

En effet, les relations virtuelles permettent à des hommes, en toute impunité, d’opérer à des critiques basées sur le physique d’une femme, sans prendre en considération des répercussions. En d’autres termes, les sites de rencontre apparaissent comme une porte ouverte aux critiques stéréotypées sur le corps des femmes.

Vers des sites de rencontre féministes ?

Apparition de plateformes « féministes »…

Ces dernières années, on a vu apparaître de nombreuses plateformes de rencontre se distinguant comme féministes. Celles-ci prônent l’existence d’un espace dans lequel les hommes et les femmes s’émancipent des stéréotypes imposés par la société. Un espace dans lequel les femmes ne seraient soumises à aucune pression patriarcale. Un espace dans lequel les hommes n’exercent pas leurs domination de figure toute puissante à l’égard de femme.

… dans une société patriarcale

Pour autant, ces sites de rencontre s’inscrivent dans une société patriarcale, dans laquelle les femmes sont dominées. Les violences sexistes et de genre existent bel et bien sur ces plateformes. On observe par ailleurs que les sites de rencontre féministes peuvent parfois être aussi un lieu propice aux violences de genre. C’est notamment le cas, sur les sites de rencontre de type Bumble, dans lequel les hommes ne sont pas les instigateurs de la démarche de séduction, laissant ainsi libre court aux femmes d’entrer ou non en contact avec un homme.

Confrontés à une obligation de passivité, les hommes ne sont plus maîtres de séduire directement les femmes. Ils se sentent ainsi inférieurs à celles-ci, puisqu’ils sont confrontés à des femmes qui se comportent comme des hommes. Et répondent ainsi à une vision genrée de la séduction uniquement amorcée par les hommes.

Ainsi, dès lors que les hommes ne sont pas sensibilisés à la question du féminisme et n’ont pas déconstruit la vision genrée qu’ils posent sur notre société, il leur sera impossible d’admettre un potentiel renversement des normes de séduction. Rendant, ainsi, l’homme comme le seul et unique pionnier dans la séduction.

Donner la parole aux femmes

Les applications de rencontre redonnent, en partie, le droit de parole aux femmes, uniques et seules dépositaires de leurs envies. Pour autant, s’inscrivant dans un contexte patriarcal, les sites de rencontre n’apparaissent pas comme un instrument à disposition des femmes pour affirmer leurs envies.

“J’ai rencontré pleins d’hommes et souvent ils n’étaient intéressés que par du sexe mais sans le dire directement, j’ai quand même trouvé l’amour mais nous avons discuté longuement pendant des mois avant de se rencontrer ça fait 8 ans maintenant”*

Cependant, il existe des situations dans lesquelles ces plateformes s’avèrent être la source de relations respectueuses tant à l’égard des femmes qu’à l’égard des hommes, qu’elles soient sérieuses ou non. Il n’est pas nécessaire de pousser au Boycott de ces plateformes. Mais il est nécessaire d’accéder à une utilisation saine et en conscience des enjeux sociétaux qui y prennent place.

Océane Kerisit

* témoignages récoltés lors du sondage cité supra.


[1]Résultat du sondage cité supra

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