Placement des enfants après le meurtre de leur mère

I.        Introduction

Il y a quelques jours, plusieurs journaux titraient que deux enfants avaient été placés en institution par décision du SAJ (service d’aide à la jeunesse). Ce dernier aurait suivi la demande du père de les placer en institution alors que depuis le décès de leur mère, ils vivaient chez leurs grands-parents. Cette décision paraît d’autant plus choquante que c’est le père lui-même qui a mis fin à la vie de la mère.

N’ayant pas accès au dossier, nous ne pouvons évidemment pas nous prononcer sur l’adéquation ou non d’une telle décision.

C’est cependant l’occasion de faire le point sur les droits de ces grands-parents par rapport à cette décision du service d’aide à la jeunesse.

II.        Droits du père

Tout d’abord, il faut noter que le père n’a pas été déchu de son autorité parentale. À ce titre, son avis est encore pris en compte par les SAJ. En effet, les SAJ travaillent sur une base volontaire. En théorie, il faut donc l’accord des personnes qui détiennent l’autorité parentale ainsi que des enfants de plus de 12 ans pour toute mesure proposée par les services.

Sur la base de l’application stricte des textes, le SAJ n’avait donc pas d’autre choix que de demander l’avis du père et de se baser sur celui-ci afin de trouver la meilleure solution. Cependant, ce service pouvait aussi transférer la demande à un service de protection de la jeunesse (SPJ). En effet, le fonctionnement du SPJ ne nécessite absolument pas l’accord des détenteurs de l’autorité parentale pour prendre des décisions.

Toutefois, il faut savoir que l’ensemble du domaine de l’aide et de la protection de la jeunesse vise à une déjudiciarisation importante de tous les dossiers et mise principalement sur la médiation et la conciliation afin de trouver des solutions.

La coutume est donc d’éviter le plus possible le recours aux services de protection de la jeunesse.

III.        Priorité à la famille

En vertu de l’article 25 du code de la prévention de l’aide et de la protection de la jeunesse, les mesures prises par le conseiller de l’aide à la jeunesse doivent tendre en priorité à favoriser le placement de l’enfant dans sa famille. On entend par famille les parents mais aussi les ascendants de l’enfant. Ce n’est qu’en dernier recours qu’on peut envisager un placement dans une institution.

L’article 42 du même code impose la même pour le SPJ ainsi que pour le tribunal de la jeunesse cette fois.

Cela fait suite à l’article 8 de la Convention européenne des droits humains, mais également à l’article 9 de la Convention internationale des droits de l’enfant. En effet, en vertu de ces textes, « le recours au placement doit être exceptionnel, temporaire, limité au strict nécessaire et respecter l’intérêt de l’enfant[1] ».

La Cour européenne des droits humains insiste sur le fait qu’il faut prendre en considération la spécificité de chaque cas au terme d’un examen minutieux des circonstances. En tout cas, la Cour précise qu’il faut maintenir l’enfant dans son milieu familial pour éviter au maximum de couper les liens entre l’enfant et ses racines. À cet égard, précise la Cour, il faut tenir compte du fait que l’éclatement d’une famille constitue une ingérence grave et qu’une telle mesure doit donc reposer sur des considérations qui sont inspirées par l’intérêt de l’enfant et qui ont un poids et une solidité certaine[2].

L’ensemble du code de la prévention, de l’aide et de la protection de la jeunesse mise sur l’intérêt supérieur de l’enfant conformément à la convention internationale relative aux droits de l’enfant.

 IV.        Droit de recours

Les mesures proposées par le SAJ peuvent faire l’objet d’un recours devant le tribunal de la jeunesse. En effet, en vertu de l’article 36 du code, le tribunal de la jeunesse connaît des contestations relatives à l’octroi, au refus, aux modalités d’application d’une mesure d’aide individuelle portée soit par une personne qui exerce l’autorité parentale, soit par une personne qui héberge l’enfant en droit ou en fait.

En d’autres termes, cela implique que les grands-parents bénéficient d’un droit de recours devant le juge de la jeunesse contre la décision du SAJ et ce, même s’ils ne sont pas détenteurs de l’autorité parentale sur les enfants.

La décision du tribunal de la jeunesse doit intervenir dans les 30 jours de la demande. Cependant, ce délai n’est assorti d’aucune sanction en cas de dépassement.

V.        Accès au dossier

Quoi qu’il en soit, aussi bien les enfants représentés éventuellement par leurs avocats que les grands-parents ont droit d’accéder aux pièces du dossier du SAJ.

Il n’y a aucune procédure particulière pour avoir accès à ce dossier, une simple demande écrite suffit. L’accès au dossier implique l’accès à toutes les pièces du dossier. Le conseiller a le droit de refuser l’accès au dossier s’il estime que l’intérêt de l’enfant l’exige. Dans ce cas, il doit mentionner qu’un recours est possible devant la Commission d’accès aux documents administratifs ainsi que devant le Conseil d’État. La Commission doit rendre son avis dans les 2 mois qui suivent la demande. Remarquons cependant que ce délai ne court pas pendant les mois de juillet et août. Remarquons aussi que cet avis n’est pas contraignant. Quant à la procédure devant le Conseil d’Etat, elle est malheureusement longue et coûteuse.

VI.        Conclusion

Il n’est pas possible, dans l’état actuel des choses, de prendre position pour les uns ou pour les autres.

Cependant, au sein de Femmes de Droit, nous partons du principe que nous croyons les victimes et nous les plaçons au centre de notre action. En l’occurrence, les deux victimes principales, en plus de la femme tuée, ce sont les enfants. Leur intérêt et leur bien-être doivent donc être prioritaires. Y compris, sur les droits de leur père.

Si les décisions du SAJ se réalisent sur une base volontaire, un droit de recours est possible et directement prévu par la loi. Aux grands-parents de saisir urgemment le Juge de la jeunesse pour faire valoir leurs arguments et espérer revenir sur la décision du SAJ.

Miriam Ben Jattou

Avec l’aimable participation de Me Guibert Debray


[1] D. De Fraene, Le Code de la prévention, de l’aide et de la protection de la jeunesse : connaître et analyser les changements, Galets rouges, Bruxelles, Bruylant, 2019, p. 40.

[2] H. Preumont et I. Stevens (dirs.), Les jeunes et le droit. Approche pluridisciplinaire, Louvain-La Neuve, Anthemis, 2017, p. 91.

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