Imprescriptibilité des crimes sexuels ?

Voici le texte d’Anita, qui réagit à cet article paru sur RTBF Info concernant le « Vote en commission d’une proposition de loi supprimant la prescription des délits sexuels graves sur des mineurs« .

Nous partageons son point de vue et la remercions pour ces mots si justes et si pertinents.

Miriam

D’un autre point de vue, sur le vif et à vif.

Parce qu’il a quand même fallu accuser le coup et trouver la répartie pour répondre, mon texte se base sur la première version de l’article dans laquelle la réaction de Avocats.be et l’Association syndicale des magistrats était explicitée de long en large,

La proposition de loi est en bonne voie pour être votée et c’est tant mieux mais la réaction de ces deux institutions est et reste lamentable.

Comment osent-ils ?

Comment osent-ils parler de délits sexuels graves sur mineurs ?
Délits.
Sexuels.
Graves.
Qui a encore été inventer cette nouvelle appellation ? Ça n’existe pas.

Les termes adaptés existent. Légalement, on parle de viols (CRIME) et d’attentats à la pudeur (DÉLIT).

On aimerait que d’autres termes soient officialisés comme Inceste ou Pédocriminel. Ceux-là, on ne les aime pas trop alors on les évite. Par contre, des délits graves, ça, on peut l’écrire, c’est moins dérangeant.

Comment osent-ils avancer que le délai de prescription « contribue à la paix sociale » et qu’ « il est préférable de renoncer aux poursuites qui deviennent inutiles pour l’ordre public » ?

De quelle paix sociale parlent-ils ?

De quel ordre public parlent-ils ?

De celui qui permet aux pédocriminels d’agir en toute impunité pendant des décennies parce que leurs victimes actuelles ne sont pas en état de parler et que leurs victimes plus anciennes, quand elles trouvent enfin le courage de libérer leur parole, sont priées de se taire parce que c’est trop tard.

Parce que ça dérange la paix sociale de savoir que son gentil voisin n’était en fait qu’un prédateur sexuel qui a tranquillement fait son marché parmi les gamins du quartier…

C’est tellement vrai que tant qu’on n’en parle pas et que tout le monde se tait, la paix sociale est préservée. Tout comme la paix familiale en cas d’inceste.

C’est tellement vrai que dès qu’une, et souvent des, victimes parle(nt), c’est tout un microcosme qui éclate, une famille, un quartier, une ville, un club sportif, une paroisse et j’en passe. Tout était tellement tranquille avant que cette victime ne l’ouvre, elle aurait bien mieux de se taire. On nous la sert tellement souvent. Mais pourquoi s’étonne-t-on, au fond, quand c’est le système même qui institutionnalise ce silence. Quand ce sont les avocats, qui sont sensés nous défendre, et les magistrats, qui sont sensés porter nos dossiers devant la cour, qui nous demandent ouvertement de nous taire.

Cette paix sociale et cet ordre public qu’ils préconisent ne fait que permettre aux pédocriminels d’agir en toute impunité, encore et mieux, et tranquillement.

Comment osent-ils déclarer que l’imprescriptibilité « risque d’accroitre le nombre d’erreurs judiciaires » ?

C’est vrai, qu’en l’état, le système rend tellement justice aux victimes des pédocriminels,

Ce système judiciaire, qui est tellement avenant envers les victimes que seuls 10 % environ d’entre eux et elles oseront déposer plainte.

Et qu’au bout du compte, 1 % des victimes de pédocriminels voient leur agresseurs condamnés.

Les chiffres européens actuels parlent d’un enfant sur cinq qui est ou sera victime de violences sexuelles pendant son enfance.

De quelles erreurs judiciaires parlent-ils ?

De ces milliers de victimes qui ne sont actuellement pas reconnues par la justice. Je crains bien qu’il ne soit pas possible de faire pire. Chaque jour, ce sont des dizaines d’enfants qui sont des erreurs judiciaires.

Comment osent-ils imaginer que le traumatisme d’une justice impuissante serait symboliquement pire encore que le traumatisme des faits ?

Ont-ils la moindre idée de ce qu’est le traumatisme des violences sexuelles dans l’enfance ?

Faut-il vraiment leur ressortir toutes les études menées sur le sujet ?

Faut-il leur rappeler que 50 % des victimes ont fait ou feront une tentative de suicide ?

Faut-il leur rappeler que 50 % des victimes ont des conduites addictives ?

Faut-il leur rappeler que 50 % des victimes présentent des troubles alimentaires ?

Que la plupart des survivant.e.s connaissent des épisodes dépressifs et que 70 % d’entre eux évaluent comme important l’impact du trauma sur leur santé mentale actuelle.

Que les conséquences psychologiques sont, en vrac : Insomnie, Hypervigilance, Angoisse, Inquiétude, Pessimisme, Attaque de panique, Effroi, Malaise, Aucune confiance en soi, Conduites à risque, …

Que les violences répétées créent un traumatisme de type II, qu’ils devront se traîner toute leur vie.

Faut-il leur rappeler que certain.e.s mettront en place des mécanismes de survie tels que la mémoire traumatique, la dissociation, le clivage, le déni dont ils mettront une vie à se remettre ou dont ils ne se remettront peut-être pas.

Faut-il leur rappeler que physiquement les conséquences sont innombrables également ?

Je citerai : les Addictions, Douleur chronique, Fibromyalgie, Diabète, Risque accru d’AVC, Fatigue chronique : énergie énorme à déployer pour fonctionner « normalement ». La maltraitance augmente le stress, provoque une augmentation du cortisol, ce qui provoque une diminution physique de l’hippocampe = prédisposition aux maladies qui atteignent la mémoire, Mort précoce (perte de 20 ans d’espérance de vie estimée), Modification du génome, L’atteinte du lobe préfrontal = problèmes relationnels, L’atteinte de l’hippocampe = problèmes de mémoire…

Je m’arrête, je pourrais y passer la journée,

Comment osent-ils penser que face à cette masse de conséquences, une non reconnaissance de la justice ferait le poids ?

Actuellement, la justice n’écoute pas les victimes de pédocriminels.

Les écouter serait un bon début.

Permettre une enquête serait un bon début.

Entamer des poursuites serait une bonne continuation.

Après, on parlera des éventuels résultats des procès.

Aujourd’hui, ce qu’ils proposent, c’est que l’idée même d’un procès ne puissent même pas être évoquée. Le chemin de la justice est long, avec leur proposition, il en enlève la première dalle.

Comment osent-il prétendre savoir ce qui est bon pour les survivant.e.s ? Que l’imprescriptibilité leur rendrait un bien mauvais service ?

Ont-ils pensé, une minute, à écouter les victimes et les survivant.e.s ?

Ont-ils pensé, une minute, que les victimes savaient de quoi elles ont besoin ?

Ont-ils pensé, une minute, à leur demander ?

Ont-ils pensé, une minute, que leur ton était d’une condescendance à vomir ?

Pauvres victimes, ne leur imposons pas, en plus de tous leur traumas, la possibilité de déposer plainte contre les personnes qui ont détruit leur vie au moment où cela leur est devenu possible que ce soit 10, 15, 20 ans et même plus longtemps après les faits. Cela pourrait peut-être les laisser imaginer deux secondes que la société dans laquelle on vit les reconnaît et les voit.

Comment osent-il rappeler que le délai de prescription est déjà relativement long ?

Comment osent-ils ?

Comment osent-ils ?

Quand on sait, grâce aux avancées de la médecine et de la psychologie/psychiatrie, que la mémoire traumatique n’est pas une légende. Qu’en moyenne, une victime sortira d’amnésie traumatique 16 ans après que celle-ci se soit mise en place. Que cette sortie d’amnésie traumatique est d’une violence telle qu’elle préférerait mourir plutôt que d’avoir à passer à travers. Que le fait qu’elle reste en vie est dès lors déjà un miracle en soi. Que le chemin à parcourir pour enfin pouvoir se tenir à nouveau debout sur ses jambes est long et semé d’embûches. Que pendant longtemps, elle survivra plus qu’elle ne vivra. Et qu’ensuite, elle recommencera à respirer et à parler. Et qu’au bout de plusieurs années, peut-être, lorsqu’elle se sera réapproprié son histoire, elle pensera à déposer plainte pour que son agresseur soit poursuivi par la justice, ou pour l’arrêter dans sa carrière pédocriminelle.

Comment osent-ils, d’une part, refuser que l’amnésie traumatique ne soit reconnue comme pouvant suspendre la prescription actuelle, et d’autre part, estimer que le délai de prescription actuel est déjà relativement long ?

De quoi ont-ils peur, si ce n’est que leur cours et tribunaux ne soient submergés de travail lorsque la parole sera libre, peu importe le temps qui passe.

Comment osent-il demander à faire valoir leur point de vue ?

Quand ils n’écoutent pas celui des principaux et principales intéressé.e.s que sont les victimes et survivant.e.s de violences sexuelles dans l’enfance.

Avocats.be et l’Association syndicale des magistrats, comment osez-vous ?

Sortez donc de vos bureaux et venez vous confronter à la réalité. Venez converser avec les victimes et les survivant.e.s. Venez écouter les histoires de tous ceux et celles qui doivent se taire parce que la prescription leur interdit de parler publiquement, vu qu’ils et elles risqueraient encore de se retrouver sur les bancs des accusés pour diffamation.

Par votre demande, vous muselez de facto une parole qui commence à peine à se libérer.

Par votre demande, c’est vous qui rendez un bien mauvais service aux victimes de violences sexuelles dans l’enfance.

Par votre demande, vous jouez le jeu de notre société qui ferme les yeux sur les atrocités commises chaque jour sur ses enfants pour pouvoir dormir l’esprit tranquille.

Par votre demande, vous confirmez aux victimes de violences sexuelles dans l’enfance que si leur agresseur a le droit, au bout d’un temps, de dormir l’esprit tranquille, elles ne pourront jamais y avoir droit.

Jamais.

Anita

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

X
Retour en haut